Les jambes tremblantes, il avança vers le cockpit :
— Je dois changer de destination.
— Vous plaisantez ? lança le pilote par-dessus son épaule.
— Non. Il faut que je me rende à Londres de toute urgence.
— C'est un avion charter, mon père, pas un taxi.
— Je paierai ce qu'il faut. Combien ? Londres n'est qu'à une heure de Paris et la direction est pratiquement la même, alors...
— Mon père, ce n'est pas une question d'argent. C'est plus compliqué que ça.
— Dix mille euros. Tout de suite. Le pilote se retourna, sous le choc.
— Combien ? Mais comment un prêtre peut-il avoir autant d'argent sur lui ?
Aringarosa retourna à sa place, ouvrit sa valise, en sortit l'un des bons du Vatican, et revint le donner au pilote.
— Qu'est-ce que c'est que ça ?
— Un bon au porteur de dix mille euros sur la banque du Vatican.
Le pilote avait l'air soupçonneux.
— C'est exactement comme de l'argent liquide, fît l'évêque.
Le pilote lui rendit le bon.
— Il n'y a que les billets qui soient du vrai liquide. Se sentant faiblir, Aringarosa s'adossa à la cloison.
— C'est une question de vie ou de mort. Je vous supplie de m'aider. Il faut absolument que je puisse me rendre à Londres.
Le pilote fixait des yeux la grosse bague de l'évêque.
– 348 –
— Ils sont vrais, vos diamants ?
— Il m'est absolument impossible de m'en défaire.
Le pilote haussa les épaules et se retourna vers le pare-brise.
L'évêque baissa les yeux sur sa bague avec une immense tristesse. Tout ce qu'elle représentait était maintenant perdu pour lui. Après un long moment d'hésitation, il la fit glisser le long de son doigt et la déposa doucement sur le tableau de bord.
Il retourna à sa place comme un voleur. Quinze secondes plus tard, l'avion pivotait de quelques degrés vers le nord.
Son heure de gloire n'était plus.
Tout avait commencé par une sainte cause. Un projet brillamment mis au point. Qui s'écroulait sur lui-même comme un château de cartes. Et dont la fin était imprévisible.
– 349 –
76
Si Sophie était encore visiblement sous le choc du souvenir qu'elle venait de raconter, Langdon était ébloui par ce qu'il venait d'entendre. Elle avait assisté malgré elle à une cérémonie intégrale de Hieros Gamos, pour constater de surcroît que c'était son grand-père qui en était l'officiant. Le Grand Maître du Prieuré de Sion avait eu d'illustres prédécesseurs. Leonardo Da Vinci, Botticelli, Newton, Victor Hugo, Jean Cocteau...
Jacques Saunière.
— Je ne sais que vous dire de plus..., dit Langdon d'une voix douce.
Les yeux verts étaient sombres et mouillés de larmes.
— Il m'a élevée comme sa propre fille.
Langdon reconnut le sentiment que leur conversation avait suscité en elle. Un profond remords, qui remontait loin. Elle commençait à voir sous une lumière différente ce grand-père qu'elle avait voulu rayer de sa vie.
L'aube commençait à poindre. Un rayon de soleil rose illuminait la gauche de l'avion. Au-dessous d'eux, la terre était encore plongée dans l'obscurité.
Teabing arrivait, brandissant quelques canettes de Coca et un paquet de crackers qui n'avait plus l'air tout jeune.
— Voici quelques victuailles !
Il s'excusa de la frugalité de son butin, tout en le distribuant à ses convives.
— Notre ami le moine refuse toujours de parler... Laissons-lui encore un peu de temps. Alors, avons-nous fait quelques progrès ? demanda-t-il en montrant le poème. Ma chère Sophie, que voulait donc nous signifier votre grand-père ? Où peut bien se trouver cette effigie vénérée des Templiers ?
Elle secoua la tête en silence.
Teabing se replongea dans la lecture du quatrain. Langdon ouvrit un Coca et se tourna vers le hublot, l'esprit bourdonnant de rituels mystérieux et de codes indéchiffrables. La tête bénie par les Templiers. Il but une gorgée tiède. La tête bénie par les Templiers.
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Le voile de la nuit sembla se déchirer soudain et la mer apparut. La Manche. Il n'y en avait plus pour longtemps. Si seulement la lumière du jour pouvait aussi l'éclairer sur ce mystère. Mais il lui semblait que plus il faisait clair dehors, plus la vérité le fuyait. Le rythme des pentamètres résonnait en lui, mêlé à celui des incantations du Hieros Gamos.
La tête bénie par les Templiers.
Alors que la côte anglaise se dessinait sous l'appareil, un trait de lumière le frappa soudain. Il posa bruyamment sa canette sur la table.
— Vous n'allez pas me croire, lança-t-il en se tournant vers ses compagnons. La tête des Templiers - j'ai trouvé !
Teabing ouvrit des yeux grands comme des soucoupes.
— Vous savez où elle est ?
— Non, mais je sais ce que c'est. Sophie se pencha pour écouter.
— Je crois que c'est une référence à la tête d'une idole, et non à celle d'une pierre tombale, déclara Langdon en savourant l'excitation de l'érudit qui vient de faire une découverte.
— La tête d'une idole ? s'étonna Teabing.
— Rappelez-vous, Leigh, pendant l'Inquisition, l'Église accusait les Templiers de toutes sortes d'hérésies...
— C'est vrai. On a inventé contre eux des tas d'accusations fallacieuses : sodomie, souillures du crucifix, culte du diable...
Une liste incroyablement longue.
— Elle comportait, entre autres, l'adoration de fausses idoles..., enchaîna Langdon. L'Église affirmait qu'ils célébraient en secret des rituels dédiés à une tête sculptée dans la pierre, qu'ils adoraient. .. celle d'un dieu païen...
— Baphomet ! s'écria Teabing. Mon Dieu, Robert ! Vous avez raison. La tête bénie par les Templiers !
Langdon expliqua brièvement à Sophie que Baphomet était un dieu païen de la fertilité, qui personnifiait la force créative de la reproduction. Il était représenté par une tête de bélier ou de bouc, deux animaux symbolisant procréation et fécondité. Les Chevaliers du Temple honoraient Baphomet en chantant des prières, rassemblés en cercle autour de son effigie.
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— Baphomet ! s’esclaffa Teabing. La magie créatrice de l'union des deux sexes. Mais le pape Clément a réussi à persuader tout le monde chrétien qu'il s'agissait de la tête du diable. Il en a fait le pivot de sa campagne de diffamation.
Langdon abonda dans ce sens. C'est à Baphomet que remontait la croyance moderne en un diable cornu. Et c'est l'Église de Rome qui était responsable de cet amalgame entre la fertilité et le démon. Elle n'avait cependant pas pleinement réussi. Les cornes d'abondance, que l'on trouvait encore sur les tables américaines lors de la fête de Thanks-giving, rendaient hommage à la fertilité de Baphomet, évoquant aussi l'histoire de Zeus qui aurait tété le pis d'une chèvre, dont les cornes se seraient miraculeusement détachées et remplies de fruits. Et c'est encore le dieu païen qui apparaissait sur certaines photos de groupe, lorsqu'un plaisantin mettait deux doigts en V
derrière la tête d'un prétendu cocu. Il ne se doutait pas que ce geste saluait en réalité le sperme prolifique de la victime de sa blague.
— Oui, oui, oui ! s'exclama Teabing avec enthousiasme.
C'est forcément Baphomet qu'évoque notre poème. La tête bénie par les Templiers.
— OK, dit Sophie. Si c'est bien Baphomet, alors nous voici confrontés à un nouveau dilemme. Son nom comporte huit lettres, et nous n'en avons que cinq à caser dans le cryptex.