— Ma chère petite, répliqua Teabing avec un large sourire, c'est là que le chiffre Atbash entre en jeu.
– 352 –
77
Langdon était bluffé. Teabing venait d'aligner, de mémoire, sur une feuille de papier, les vingt-deux lettres de l’alphabet hébreu certes transcrits en caractères latins, mais il les lisait maintenant à haute voix, sans aucune erreur de prononciation.
ABGDHVZChTYKLMNSOPTzQRShTh
— Aleph, Beth, Guimel, Daleth, Hé, Vav, Zayin, Kheth, Teth, Yod, Kaph, Lamed, Mem, Noun, Samkh, Ayin, Pé, Tsadé, Qoph, Resh, Shin, Tav.
L'Anglais s'épongea le front d'un geste théâtral avant de reprendre :
— En hébreu classique, les voyelles ne sont pas écrites. Par conséquent, le mot « BAPHOMET » perd son a, son o et son e.
Ce qui nous laisse...
— Cinq lettres, acheva Sophie.
Teabing se remit à écrire.
— Voici donc son orthographe en hébreu. Je n'y intercale les voyelles que pour plus de clarté :
B a P V o M e Th
— N'oubliez pas, bien sûr, que l'hébreu se lit de droite à gauche. Mais nous pouvons fort bien appliquer l'Atbash dans l'autre sens. Il suffira ensuite de créer notre propre code de substitution en superposant un autre alphabet inversé au premier...
— Il y a une méthode plus simple et plus rapide, dit Sophie en lui prenant le stylo des mains. C'est un petit truc que j'ai appris au RHI, et qui fonctionne pour tous les codes de substitution en miroir y compris l'Atbash.
Elle écrivit les onze premières lettres de gauche à droite et, au-dessous, les onze dernières, de droite à gauche.
— On appelle ça la méthode par pliage. Deux fois moins compliqué, deux fois plus net.
A
B
G
D
H
V
Z
Ch
T
Y
K
Th Sh
R
Q
Tz
P
O
S
N
M
L
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— Belle ouvrage ! siffla Teabing. Je constate que le RHI est à la hauteur de sa réputation.
Devant la grille de substitution que Sophie venait de tracer, Langdon ressentait une excitation qu'avaient dû éprouver les érudits qui avaient réussi, à l'aide du code Atbash, à percer le célèbre « Mystère de Sheshach ». Les exégètes s'étaient heurtés pendant des années aux références à la « cité de Sheshach », au
« roi de Sheshach », au « peuple de Sheshach » que l'on trouvait dans le Livre de Jérémie. Cette ville ne figurait sur aucune carte ni sur aucun autre document de l'époque biblique. Le chercheur qui avait fini par appliquer à ce mot le chiffre Atbash fit une découverte passionnante : Sheshach était le nom de code d'une autre ville légendaire de l'Ancien Testament. Le processus de décryptage avait été très simple.
En hébreu, le mot Sheshach s'épelait Sh-Sh-K.
Avec l'Atbash, il devenait B-B-L, qui se prononçait Babel.
Cette trouvaille déclencha une véritable frénésie de vérifications par l'Atbash de tous les textes de la Bible. On y découvrit en quelques semaines les significations inattendues d'un nombre impressionnant de mots codés.
— On chauffe ! chuchota Langdon, incapable de retenir son excitation.
— À deux doigts du but, Robert ! fit Teabing. Puis, se tournant vers Sophie :
— Êtes-vous prête ? Elle hocha la tête.
— Très bien. Nous avons donc les lettres B-V-P-M-Th, que nous allons inscrire dans votre grille, pour faire apparaître le mot de passe de cinq lettres.
Langdon sentait son cœur battre la chamade. B-V-P-M-Th.
Le soleil entrait maintenant à flots par les hublots. Il commença mentalement la conversion. B égale Sh... P égale V...
Teabing souriait comme un enfant le matin de Noëclass="underline"
— Et voici ce qu' Atbash nous révèle... Il s'arrêta net.
— Mon Dieu ! s'écria-t-il en pâlissant. Langdon avait relevé la tête.
— Qu'y a-t-il ? demanda Sophie.
— Vous allez avoir une belle surprise, ma chère enfant...
Une surprise rien que pour vous...
– 354 –
— Pour moi ?
— Quelle ingéniosité ! Votre grand-père était tout bonnement génial ! s'exclama-t-il en remplissant la grille. Et maintenant, roulement de tambours, s'il vous plaît ! Voilà notre mot de passe.
Il leur montra ce qu'il avait écrit.
Sh-V-F-Y-A
Le visage de Sophie se renfrogna :
— Et alors ?
Langdon se posait la même question. La voix de Teabing se mit à trembler :
— Voici un véritable vieux mot de sagesse ! Langdon relut les cinq lettres.
Dans un vieux mot de sagesse est la clé.
En un quart de seconde, il avait compris. Pourquoi n'y avait-il pas pensé avant ?
Un vieux mot de sagesse.
Teabing riait :
— On ne pouvait imaginer définition plus littérale. Sophie regardait le cadran du cryptex.
Teabing et Langdon avaient omis un détail.
— Attendez ! Ça ne peut pas être le mot de passe ! La lettre Sh ne figure pas sur les cadrans. Ce sont celles de l'alphabet latin.
— Lisez le mot à voix haute, lui dit Langdon, en vous rappelant deux choses : le symbole Sh peut se prononcer S, en fonction de son accentuation. De même que la lettre P peut se prononcer F.
— SVFYA ?
Elle ne comprenait toujours pas.
— Et le véritable coup de génie, continua Teabing, c'est que la lettre Vav sert souvent de marquage pour le son vocalique O... Elle relut les cinq lettres à voix haute :
— S... o... ph... y... a.
Elle n'en revenait pas.
– 355 –
— Sophia ? C'est Sophia ?
Langdon hochait la tête avec enthousiasme.
— Oui ! Le mot grec qui signifie sagesse. La racine de votre prénom, Sophie !
Soudain, son grand-père lui manqua terriblement. Il s'est servi de mon nom pour crypter la clé de voûte. Sa gorge se noua. Elle ne pouvait rêver plus bel hommage...
Mais en jetant un nouveau coup d'œil aux cinq lettres du cryptex, elle réalisa qu'il subsistait un problème.
— Mais... attendez... le mot Sophie comprend six lettres.
Teabing ne se départit pas de son sourire radieux :
— Regardez encore le poème : votre grand-père a écrit « un vieux mot de sagesse ».
— Oui?
Teabing lui fit un clin d'oeil :
— En grec ancien, la sagesse se dit SOFIA.
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Sophie tremblait d'impatience lorsqu'elle s'empara du cryptex pour actionner les cinq disques. Dans un vieux mot de sagesse est la clé. Se serrant autour d'elle, Langdon et Teabing semblaient s'être arrêtés de respirer.
— S...O...F...
— Doucement, implora Teabing, le plus délicatement possible !
— ...I... A.
Les cinq lettres étaient alignées en face de l'encoche.
— OK, chuchota-t-elle. J'ouvre...
— Pensez au flacon de vinaigre ! murmura Langdon d'une voix à la fois euphorique et craintive.
Sophie se rappela que, si ce cryptex était le même que ceux de son enfance, elle n'avait qu'à saisir une des deux extrémités dans chaque main, et tirer lentement. Si les cadrans étaient correctement alignés selon les lettres du mot de passe, l'une des parties du cylindre coulisserait hors de l'autre, un peu comme un télescope, dévoilant ainsi le papyrus enroulé autour de son flacon de vinaigre. Si en revanche les lettres n'étaient pas les bonnes et que l'on tirât trop fort, la pression appliquée aux deux extrémités du cryptex se transmettrait au levier articulé placé à l'intérieur qui pivoterait dans la cavité et écraserait le flacon.