— Vous ignorez apparemment que M. et Mme Wren, les descendants de sir Christopher, viennent ici une fois par an pour répandre une pincée des cendres de leur ancêtre sur le dallage de la rotonde, comme l'exige son testament ? Ce n'est pas que l'exercice nous amuse particulièrement, mais que voulez-vous...
Le sacristain, qui travaillait ici depuis deux ans, n'avait pas entendu parler de ces visites annuelles.
— Je préférerais que vous attendiez neuf heures et demie.
L'église n'est pas encore ouverte et je suis en train de passer l'aspirateur.
Le visiteur le foudroya du regard.
— Écoutez, mon brave, si vous travaillez ici, c'est bien grâce à la personne dont Madame transporte les cendres dans sa poche.
— Pardon ?
— Madame Wren, reprit l'homme aux béquilles, auriez-vous la gentillesse de montrer à monsieur le reliquaire où sont conservées les cendres de votre aïeul ?
La jeune femme, perplexe, hésita une ou deux secondes, et plongea une main dans la poche de son survêtement, d'où elle tira une sorte de tube en pierre noire enroulé dans un étui de cuir souple.
— Vous voyez ! À vous maintenant de respecter les dernières paroles du grand homme et de nous laisser accomplir notre mission, si vous ne voulez pas que je raconte au père Knowles la manière cavalière dont vous nous avez traités.
Le sacristain hésitait. Le pasteur Knowles était très à cheval sur les traditions... pire que tout, il entrait dans une colère noire chaque fois qu'un incident venait jeter un éclairage défavorable sur sa célèbre église. Peut-être avait-il oublié la visite des
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descendants du grand architecte. Auquel cas, il serait plus risqué de les éconduire que de les laisser entrer. Il a dit qu'ils n'en avaient pas pour longtemps. Ils n'ont pas l'air de vandales.
En s'écartant pour les laisser passer, le sacristain était prêt à jurer que M. et Mme Wren semblaient aussi étonnés que lui. Il reprit son aspirateur en les surveillant du coin de l'œil.
Langdon ne put que sourire.
— Vous mentez trop bien pour être honnête, mon cher Leigh.
Les yeux de Teabing pétillaient.
— Le club de théâtre d'Oxford. On y parle encore de mon interprétation de Jules César. Personne n'a joué avec autant de conviction la première scène de l'acte III.
— Je croyais que c'était celle de sa mort...
— En effet mais ma toge s'est déchirée quand je suis tombé et j'ai dû rester allongé sur la scène, dans le plus simple appareil, pendant une demi-heure. Je n'ai pas remué un cil. J'ai été magnifique, croyez-moi.
— J'aurais aimé assister à la scène..., répliqua Langdon.
En traversant l'annexe rectangulaire pour atteindre l'ogive qui ouvrait sur l'église circulaire, Langdon découvrit avec surprise l'espace dépouillé de la longue nef. Si Temple Church évoquait une chapelle traditionnelle, la décoration en était froide et dénudée, sans aucun ornement.
— Lugubre, souffla Langdon.
— Church of England ! corrigea Teabing. La religion pure et dure. Rien pour vous distraire de votre misérable condition.
— On se croirait dans le donjon d'un château fort, renchérit Sophie.
Langdon était d'accord avec elle. Les murs étaient d'une épaisseur impressionnante.
— Les Templiers étaient des guerriers. Leurs églises leur servaient de forteresses, et de banques.
— De banques ?
— Mon Dieu oui ! Ce sont même eux qui ont inventé ce concept. Les membres de la noblesse européenne estimaient dangereux de voyager avec leur or. Les Templiers leur
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permettaient donc de le déposer dans la plus proche de leurs églises, pour le retirer dans toute autre, une fois arrivés à destination. Ils ne demandaient que des preuves d'identité et, bien sûr, une petite commission. Presque les premières billetteries automatiques, en somme.
Teabing leur montra du doigt un vitrail représentant un chevalier vêtu de blanc monté sur un cheval rose.
— Voici Alanus Marcel, Maître du Temple au début du XIII e siècle. Lui et ses successeurs détenaient au Parlement le siège de Premier baron.
— Ils étaient Premiers barons du royaume ? s'étonna Langdon.
Teabing hocha la tête.
— Certains prétendent qu'ils avaient plus de pouvoir que le roi. Ils pénétraient dans la rotonde. Teabing jeta un coup d'œil au sacristain, qui passait l'aspirateur au fond du chœur.
— Vous savez, dit-il à Sophie, on dit que le Saint-Graal a séjourné une nuit dans cette église, entre deux de ses refuges successifs. Vous imaginez les quatre caisses de documents alignées sur la pierre, à côté du sarcophage de Marie Madeleine
? J'en ai la chair de poule.
Langdon aussi était émerveillé en pénétrant dans la rotonde. Il parcourut du regard le vaste espace de pierre claire, orné de gargouilles, de têtes de monstres, de démons et de visages humains grimaçants, tous orientés vers le centre du cercle. Sur le sol, un simple banc de pierre parcourait tout le périmètre de cette salle ronde.
— Un théâtre circulaire..., murmura-t-il.
Teabing dressa une béquille vers le fond gauche de l'édifice, puis vers le fond droit.
Dix chevaliers de pierre.
Cinq à gauche, cinq à droite.
Les dix gisants de Templiers reposaient paisiblement, chacun sur leur socle de pierre. Tous en armure complète, avec épée et bouclier. Langdon avait l'impression qu'un intrus avait versé sur eux, pendant leur sommeil, du plâtre encore liquide.
Les sculptures étaient assez abîmées, mais chacun des
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chevaliers se distinguait des autres - armures, positions des bras et des jambes, traits des visages, armoiries des bouclier - des différences nombreuses.
Un chevalier à Londres gît, qu'un Pope enterra.
Langdon frissonnait en avançant dans la salle circulaire.
C'était bien ici qu'il fallait chercher.
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Rémy Legaludec gara la Jaguar dans une petite allée proche de Temple Church, le long d'une rangée de poubelles. Il éteignit le moteur et regarda autour de lui. La rue, déserte, était parsemée de détritus. Il sortit de la voiture, ouvrit la portière arrière et grimpa à côté du moine. Ce dernier, sentant la présence de Rémy, sortit d'une prière qui était une quasi-transe, ses yeux rouges plus curieux que craintifs. Toute la soirée, Rémy avait été impressionné par le sang-froid de ce pauvre bougre ligoté. Après quelques accès de révolte, au début, dans le Range Rover, le moine semblait avoir accepté son sort et s'en était visiblement remis à la Providence.
Rémy desserra son nœud papillon, ouvrit la porte du minibar et se servit un verre de vodka, bientôt suivi d'un second. Il avait l'impression de n'avoir pas respiré aussi librement depuis très longtemps.
Ma nouvelle vie d'homme libre va bientôt commencer.
Fourrageant dans le bar, Rémy en sortit un tire-bouchon dont il déplia la lame qui servait normalement à décapsuler les bouteilles de vin. Aujourd'hui, elle allait servir à un usage beaucoup plus insolite. Il se retourna et fixa Silas, en brandissant la lame d'acier scintillant au-dessus de lui.
Deux yeux rouges luisaient dans la pénombre, écarquillés de terreur. Le moine se recroquevilla.
— Ne bouge pas ! ordonna Rémy. Silas ne pouvait croire que Dieu l'ait abandonné. Il avait pourtant transformé son calvaire en exercice spirituel, demandant à ses membres raidis par les crampes, à ses bras engourdis où le sang ne circulait plus, de lui rappeler la peine endurée par le Christ. J'ai prié toute la nuit pour ma libération. En voyant le couteau progresser vers lui, Silas ferma les yeux.