... honorable chevalier Isaac Newton...
... à Londres en 1727 et...
... au-dessus de sa tombe dans l'abbaye de Westminster...
... Alexander Pope, ami et confrère...
— « Moderne », fit Sophie, c'est une façon de parler, un vieux bouquin sur Newton...
— Ça m’étonnerait que Newton fasse votre affaire, ajouta Pamela. Il est enterré dans Westminster Abbey, l'un des premiers bastions de l'Église protestante anglaise. Ce n'est sûrement pas un pape qui a pu...
Le cœur battant à tout rompre, Langdon se leva de sa chaise.
— C'est notre homme ! Sophie hocha la tête.
— Qu'est-ce que vous dites ?
— Isaac Newton était chevalier, il a été enterré à Londres.
Ses découvertes scientifiques lui ont valu la vindicte de l'Église.
Il a été Grand Maître du Prieuré de Sion. Je ne vois pas ce qu'il nous faut de plus...
— Il n'a pas été enterré par un pape, trancha Sophie.
— Qui vous parle d'un pape ? fit Langdon en s'emparant de la souris.
Il cliqua sur le mot Pope, et la phrase complète apparut :
« Le jour de l'inhumation d'Isaac Newton à l'Abbaye de Westminster, en présence de la famille royale et de nombreux membres de la noblesse, c'est Alexander Pope, ami et confrère du grand savant, qui prononça l'oraison funèbre. »
Langdon regarda Sophie.
— Nous avions le bon Pope dès notre seconde réponse.
Alexander Pope.
— « Un chevalier à Londres gît, qu'un Pope enterra... »
Sophie se leva, stupéfaite.
– 431 –
Jacques Saunière, le maître de l'équivoque, venait encore une fois de faire la démonstration de sa redoutable intelligence.
– 432 –
96
Silas se réveilla en sursaut. Il avait entendu un bruit au rez-de-chaussée du foyer.
Était-ce un rêve ? Depuis combien de temps donnait-il ?
Assis sur sa paillasse, il prêta l'oreille. La résidence était plongée dans un silence seulement troublé par le murmure d'un homme en prière dans la chambre du dessous. Un bruit qu'il aimait tant, un bruit familier qui aurait dû le réconforter...
Pourquoi, alors, éprouvait-il cette inquiétude ?
Et si quelqu'un m'avait suivi depuis Bayswater ?
Il se leva et fit quelques pas jusqu'à la fenêtre.
La cour était déserte, comme elle l'était à son arrivée.
Silas avait depuis longtemps appris à se fier à son intuition, dès l'époque où, gosse des rues de Marseille, sa survie en dépendait. C'était longtemps avant la prison, longtemps avant sa renaissance sous la houlette de l’évêque Aringarosa.
Il distingua le contour d'une voiture sombre luisant sous la pluie derrière la haie de troènes.
Silas colla le nez à la vitre. Il y avait un gyrophare sur le toit.
Se ruant d'instinct vers le palier, il stoppa net derrière la porte juste au moment où celle-ci se rabattait violemment sur lui. Un premier policier pénétra dans la chambre, la balayant de son arme de gauche à droite, prêt à tirer. Silas rabattit la porte d'un coup d'épaule, sur un deuxième agent qui s'écroula et heurta le sol de la tête. Le premier fit volte-face, Silas se jeta dans ses jambes. Un coup de pistolet partit à l'instant même où le moine percuta violemment le policier qu'il projeta contre le mur. Comme le second policier se relevait, l'albinos en sous-vêtements lui lança un coup de pied dans l'aine, avant d'enjamber le corps gisant à ses pieds pour disparaître dans l'escalier.
Presque nu, Silas se rua dans l'escalier. Il réalisait qu'il avait été trahi mais par qui ? Arrivé dans le hall, il aperçut trois autres policiers qui traversaient la cour de l'immeuble. Il fit demi-tour
– 433 –
et s'engagea dans un couloir. Il faut que je trouve la sortie des femmes. Tous les foyers de
l'Opus Dei en ont une. Il bifurqua dans un couloir plus étroit, traversa une cuisine, bousculant des cuisiniers terrifiés par l'albinos qui renversait casseroles et plats, et aperçut l'enseigne lumineuse qu'il cherchait : EXIT.
Courant toujours à pleine vitesse, il poussa la porte, sauta la marche et dérapa sur un trottoir battu par la pluie, percutant un policier qui arrivait en courant vers lui. L'épaule nue de Silas s'était enfoncée comme un bélier dans le sternum du policier. Il terrassa sans peine son adversaire suffoqué et le plaqua au sol.
Entendant des bruits de pas précipités, du côté de l'entrée de l'immeuble, il s'empara du pistolet de son adversaire, juste au moment où les policiers tournaient le coin de la ruelle. Coups de feu. Une douleur fulgurante lui transperça les côtes. Fou de rage, il tira à son tour sur ses assaillants.
Soudain, une ombre surgit de nulle part. Les deux mains qui saisirent ses épaules blanches et nues semblaient animées par la volonté du diable lui-même. Une voix rugit :
— Silas ! NON !
L'albinos se retourna et appuya sur la détente avant de croiser le regard de l'autre. À cette seconde, il hurla d'horreur, mais Mgr Aringarosa gisait déjà à terre, inerte.
– 434 –
97
L'abbaye de Westminster abrite plus de trois mille tombes et châsses. Dans ce panthéon londonien reposent, à côté des rois et des reines, des centaines de morts illustres - hommes d'État, officiers de l'armée de Sa Majesté, savants, poètes et musiciens. Ses chapelles, ses niches et ses alcôves regorgent de pierres tombales, de stèles, de gisants, d'effigies et de monuments funéraires, du plus grandiose, celui d'Elizabeth Ier, dont le sarcophage à baldaquin trône au milieu d'une chapelle absidiale privée, jusqu'au plus modeste, dont les inscriptions, foulées depuis des siècles par les visiteurs, sont devenues illisibles à force d'usure, laissant à l'imagination de chacun le soin de décider à qui peuvent bien appartenir les reliques enfouies sous la dalle qu'il piétine.
Apparentée par son style aux grandes cathédrales d'Amiens, Chartres et Canterbury, l'abbaye de Westminster n'est à proprement parler ni une cathédrale ni une église paroissiale, mais une collégiale qui relève directement de la Couronne.
Depuis le couronnement de Guillaume le Conquérant en 1066, cet imposant sanctuaire a abrité une longue série de cérémonies royales et d'affaires d'État - canonisation d'Edouard le Confesseur, noces du prince Andrew avec Sarah Ferguson, funérailles de Henry V, de la reine Elizabeth Ier ou encore de lady Diana.
Mais ce matin-là, l'unique trésor de l'abbaye qui intéressait Sophie et Langdon se trouvait être la tombe de sir Isaac Newton.
« Un chevalier à Londres gît, qu'un Pope enterra. »
Ils étaient entrés en hâte par le grand portail du transept nord où des vigiles leur avaient demandé poliment d'emprunter le tout nouveau portique de sécurité. Après être passés sans déclencher l'alarme, ils se dirigèrent vers l'entrée de l’abbaye.
En franchissant le seuil de l'abbaye de Westminster, Langdon sentit le monde extérieur s'évaporer dans un brusque silence. Ni rumeurs de trafic, ni crépitement d'averse. Juste un assourdissant silence qui semblait se réverbérer de tous côtés
– 435 –
comme si la vieille dame monologuait à voix basse. Les yeux de Sophie et de Langdon, comme ceux de presque tous les visiteurs, furent aussitôt attirés vers les hauteurs insondables de l'abbaye. Des colonnes en pierre grise s'élançaient comme des séquoias vers le ciel, enjambaient, en s'arquant gracieusement, des espaces vertigineux avant de redescendre d'un trait jusqu'au sol. Devant eux s'ouvrait, comme un canyon, la large travée du transept nord, flanqué de ses falaises de vitraux. Par beau temps, le sol de l'abbaye était un véritable kaléidoscope de couleurs. Mais en ce matin pluvieux qui ne laissait filtrer qu'une faible lumière par les vitraux latéraux, l'abbaye, quasi déserte, avait repris des teintes spectrales de crypte, ce qu'elle était en réalité.