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J’appelai les hôpitaux. Ça sortait de l’ordinaire, mais ce n’était pas non plus très compliqué, les problèmes habituels mis à part : friture, communication brouillée, d’autres conversations noyant la mienne. Quand quelque chose peut merder, ça ne rate jamais.

Un instant, j’eus l’impression de voir un mouvement du coin de l’œil : un sursaut du scorpion toujours posé sur mon bureau. Je clignai des yeux puis l’observai. Il ne bougea pas. En prenant de grandes précautions, j’étendis mes sens vers lui comme au travers d’une main invisible, cherchant une trace d’enchantement ou d’énergie magique.

En vain. Il était aussi dénué de sortilège que de vie.

Une vermine ratatinée n’était pas suffisante pour faire peur à Harry Dresden. Sinistre ou pas, elle n’allait pas ruiner ma concentration.

Je la fis glisser dans le tiroir du milieu. Loin des yeux, loin du cœur.

Oui, j’ai un problème avec les saloperies venimeuses, qu’elles soient mortes ou pas. Et alors ? ça dérange quelqu’un ?

Chapitre 5

Le pub McAnany est à deux pas de mon bureau.

Dès que j’ai des soucis ou un peu d’argent, je vais y manger un morceau. Beaucoup de marginaux le fréquentent. Mac, le propriétaire, a l’habitude des magiciens et des problèmes qui vont avec. Pas de jeux vidéo, pas de télévision ni de karaoké. Et même pas de juke-box. Mac a embauché un pianiste, qui risque moins de se détraquer en notre compagnie.

Il faut descendre quelques marches pour arriver dans une pièce au plafond bas équipé de ventilateurs. Quand on est grand, comme moi, on fait attention en se déplaçant. Il y a treize tabourets au bar et treize tables dans la salle. Treize fenêtres en haut des murs laissent passer un peu de lumière. Treize miroirs reflètent les clients sans trop de détails et donnent une illusion d’espace. Enfin, treize piliers sculptés en s’inspirant des contes et des légendes du Vieux Monde rendent les déplacements périlleux. Leur principal intérêt est en réalité de disperser le flot d’énergie et les auras qui s’accumulent autour des magiciens grincheux. Ça leur évite de se manifester et de semer la confusion. Les couleurs sont de douces nuances de marron et de vert.

La première fois que je suis entré dans ce pub, j’avais l’impression d’être un vieux loup qui retrouvait un de ses louviers favoris. Mac brasse lui-même sa bière – son ale – et c’est la meilleure de la ville. Il cuit la nourriture dans un four à bois. Quant au service, selon Mac, on a intérêt à bouger son cul jusqu’au comptoir si on veut récupérer son assiette. J’adore ce genre d’endroit.

Ayant fait chou blanc avec les morgues, j’avais soulagé l’acompte de Monica de quelques billets pour descendre ici. Après une journée pareille, j’avais bien mérité une bonne ale et un plat du jour. La nuit promettait d’être chargée aussi. À la maison, j’allais devoir découvrir comment notre inconnue avait élaboré le sort de mort qui avait effacé Tommy Tomm, le séide de Marcone, et sa petite copine, Jennifer Stanton.

— Dresden…, m’accueillit Mac, tandis que je m’asseyais au bar.

La salle aux lumières tamisées était vide, à part deux joueurs d’échecs que je connaissais de vue. Mac est un grand type d’un âge indéterminé. Pourtant, il irradie une telle sagesse et une telle force que je ne le place pas au-dessous de la cinquantaine. Il louché un peu et son sourire trop rare est malicieux. Mac ne dit pas grand-chose, mais, quand il s’y met, ce n’est jamais pour rien.

— Salut, Mac. Quelle putain de journée ! Fais-moi un sandwich à la viande, avec des frites et de l’ale.

— Ungh, répondit-il.

Il me servit ma bière sans me regarder, l’air absent. Il agit comme ça avec tout le monde. Vu sa clientèle, je ne peux pas l’en blâmer. Moi-même, je ne me risquerais pas à regarder les habitués dans les yeux.

— T’as entendu parler de l’affaire du Madison ?

— Ungh, confirma-t-il.

— Une sale histoire.

Un commentaire aussi futile sembla indigne d’un grognement. La bière servie, Mac se retourna vers son fourneau et s’occupa du feu.

Je ramassai un journal déjà corné et parcourus les nouvelles.

— Hé, regarde-moi ça ! Encore un carnage au Troisième Œil ! Bon Dieu, cette drogue est pire que le crack.

L’article décrivait comment deux drogués au Troisième Œil avaient démoli une épicerie. Convaincus que le magasin allait exploser, ils avaient décidé de prendre le destin de vitesse.

— Ungh.

— T’as déjà vu un truc pareil ?

Mac fit non de la tête.

— Il semble que cette saleté confère au camé un don de prescience, dis-je en continuant de lire l’article.

Les deux drogués s’étaient effondrés sur place et ils avaient été admis aux urgences dans un état critique.

— Tu sais quoi ?

Mac se tourna vers moi tout en continuant à cuisiner.

— Je n’y crois pas. C’est un tissu de conneries. On essaie d’arnaquer ces pauvres gosses en leur faisant gober qu’ils vont manipuler la magie.

Mac hocha la tête.

— Si c’était du sérieux, la police m’aurait appelé depuis longtemps.

Mac haussa les épaules et retourna à sa tambouille. Il releva la tête et examina le miroir derrière le bar.

— Harry, souffla-t-il. Tu as été suivi.

J’avais passé la journée tendu comme une corde de piano, du coup, il me fut impossible d’empêcher mon dos de se contracter. Je pris ma chope à deux mains et récitai mentalement quelques phrases en latin archaïque. Il est tellement plus pratique d’être prêt à se défendre quand quelqu’un vous veut du mal. Je fixai le reflet troublé d’une personne qui s’approchait dans le miroir usé et terni. Mac continuait de cuisiner sans se tracasser. Mac ne se tracasse jamais.

Je sentis le parfum de la fille avant de me retourner.

— Tiens, mademoiselle Rodriguez, lâchai-je. C’est toujours un plaisir de vous voir.

Déconcertée, elle s’arrêta à quelques pas de moi. Un des avantages de mon métier, c’est que les gens attribuent tout ce qu’on fait à la magie quand ils ne trouvent pas immédiatement une autre explication. Si elle pouvait mettre mon mystérieux pouvoir de détection sur le compte de la sorcellerie la plus noire, elle ne penserait sûrement pas que son parfum avait trahi son identité.

— Allez, asseyez-vous. Je vous offre à boire et pendant ce temps-là je refuserai de répondre à vos questions.

— Harry, me réprimanda-t-elle en prenant place sur le tabouret à côté du mien. Je ne travaille pas tout le temps !

De taille moyenne et d’une beauté sombre, elle portait un tailleur impeccable. Ses cheveux noirs dévoilaient son front hâlé pour se rejoindre à la base de son cou, faisant ressortir la séduction de ses yeux sombres.

— Susan…, la grondai-je. Seul le travail peut vous pousser à venir ici. Branson vous a plu ?

Susan Rodriguez travaillait pour Les Arcanes de Chicago, un tabloïd qui se spécialisait dans les phénomènes paranormaux du Midwest. En général, les articles n’allaient pas plus loin que « Le Yeti a enlevé l’enfant d’Elvis » ou « Le fantôme mutant de J.F.K. enlève une girl-scoute lycanthrope ». Pourtant, de temps en temps, Les Arcanes couvraient un véritable événement comme l’invasion des feys de la Cour Sombre en 1994. La ville de Milwaukee avait disparu pendant deux heures. Partie. À pus ! Les photos satellites du gouvernement montraient la vallée et sa rivière, recouvertes par la forêt – et pas la moindre trace d’une occupation humaine. Plus aucune communication. Deux heures plus tard, tout était redevenu normal et, dans la ville, personne ne s’était aperçu de rien.