Выбрать главу

— Où es-tu ? lui demandai-je.

— À l’hôtel Madison sur la Dixième Rue, au septième étage.

— C’est à un quart d’heure à pied.

— Parfait. Je t’attends dans quinze minutes.

Je lâchai un soupir dubitatif et regardai l’horloge. Monica Juste-Monica serait là dans quarante-cinq minutes.

— C’est un peu comme si j’avais un rendez-vous.

— Dresden, c’est un peu comme si j’avais deux cadavres, pas le moindre début de piste, pas l’ombre d’un suspect et un tueur en liberté. Ton rendez-vous peut attendre.

La moutarde me monta au nez, ça m’arrive parfois.

— En fait, non, il ne peut pas attendre. Mais je vais quand même venir jeter un coup d’œil, sans traîner, histoire d’être revenu pour l’autre affaire.

— Tu as mangé ? demanda Murphy.

— Comment ?

Elle répéta la question.

— Non, répondis-je.

— Évite, alors…

Il y eut un grand silence, puis elle reprit la parole d’une voix blanche :

— C’est pas beau à voir.

Sa voix se radoucit, et ça m’effraya plus que n’importe quelle vision d’horreur ou de meurtre sauvage. Murphy est une dure à cuire pur jus qui se vante de ne jamais s’émouvoir.

— C’est vraiment sale, Harry. S’il te plaît, fais vite. Les gars du bureau des Enquêtes spéciales meurent d’envie de s’attaquer à cette affaire, et je sais que tu détestes passer après quelqu’un d’autre.

— Je suis déjà là, dis-je en enfilant mon manteau.

— Septième étage, me rappela Murphy. On se voit là-bas.

— Pas de problème.

J’éteignis en partant et fis attention à bien fermer la porte. Merde ! Impossible de prévoir combien de temps l’histoire de Murphy allait durer, et il était hors de question de poser un lapin à Monica Je-Ne-Peux-Rien-Dire. J’ouvris de nouveau, pris une feuille et un crayon, et écrivis :

« Je dois m’absenter quelques instants. De retour à 14 h 30. Dresden. »

Satisfait, je m’engageai dans l’escalier. Même si je suis au cinquième étage, je ne prends presque jamais l’ascenseur. Comme je l’ai déjà dit, je me méfie des machines, qui ont tendance à me claquer dans les doigts au pire moment.

En plus, si j’étais un tueur utilisant la magie pour me débarrasser des gens par lots de deux, je m’arrangerais pour faire disparaître le seul magicien employé par la police. Je préférais largement tenter ma chance dans l’escalier quel dans la cabine exiguë d’un ascenseur.

Moi ? Paranoïaque ? Peut-être. Mais ce n’est pas parce qu’on est paranoïaque qu’un démon invisible n’est pas prêt à vous arracher la gueule…

Chapitre 2

Karrin Murphy m’attendait devant l’hôtel. On ne pourrait pas trouver un duo plus disparate. Je suis grand et mince, elle est petite et trapue. J’ai les cheveux noirs et les yeux sombres, elle ressemble à Shirley Temple. Mes traits sont marqués, j’ai un nez aquilin et le menton pointu, elle est toute en rondeurs, avec un petit nez mignon qui n’aurait pas choqué sur une majorette.

Il faisait frais et il y avait du vent. Un mois de mars classique. Murphy cachait son tailleur sous un long manteau. Elle ne porte jamais de robe, mais je suis sûr qu’elle a de belles jambes bien musclées, comme celles d’une gymnaste. Elle était taillée pour l’action, et quelques diplômes d’aïkido décoraient son bureau pour le prouver. Ses cheveux mi-longs battaient sous la brise printanière. Pas de boucles d’oreilles, et un maquillage assez discret pour être pratiquement invisible. Elle ressemblait plus à une tante sympa ou à une maman cool qu’à un implacable inspecteur de la criminelle.

— Tu n’as rien d’autre comme pardessus, Dresden ? lâcha-t-elle dès que je fus à portée de raillerie.

Debout devant quelques voitures de police en stationnement interdit devant l’immeuble, elle me regarda dans les yeux l’espace d’une seconde puis détourna la tête. Je lui tirai mon chapeau – peu de gens tiennent aussi longtemps. Ce n’est pas vraiment dangereux, sauf si on s’attarde plusieurs secondes, mais comme je suis magicien, j’ai l’habitude qu’on ne s’obstine pas à me regarder en face.

J’examinai mon vieux trench-coat noir, ses grosses coutures, sa doublure imperméable et ses manches parfaitement ajustées.

— Je ne vois pas le problème.

— Il vient du tournage d’El Dorado ?

— Et ?

Murphy haussa les épaules avant de tourner les talons pour se diriger vers l’hôtel. J’eus tôt fait de la dépasser. Elle accéléra, je passai la quatrième. Nous fîmes la course vers les portes de l’établissement sans nous soucier des flaques laissées par une averse nocturne.

Mes jambes étant plus longues que celles de Murphy, j’arrivai le premier. Je lui ouvris la porte et m’inclinai galamment. C’était un jeu entre nous. Mes manières peuvent sembler vieillottes, mais j’ai été élevé d’une manière assez traditionnelle. Je suis persuadé que les mecs ne devraient pas traiter les femmes comme des modèles réduits d’hommes avec des seins et moins de muscles. J’attends toujours qu’on me démontre que j’ai tort. J’aime me conduire en gentleman avec une femme, lui ouvrir la porte, l’inviter à dîner, lui offrir des fleurs, ce genre de choses.

Murphy ne supporte pas ça, parce quelle a dû se battre bec et ongles contre les pires machos de Chicago pour forger sa carrière. Elle me toisa tandis que je lui tenais la porte, mais son regard était calme et détendu. Notre petit rituel lui mettait un peu de baume au cœur, même si elle le trouvait horripilant.

C’était si horrible que ça, au septième étage ?

Dans l’ascenseur, nous ne dîmes rien. Heureusement, on se connaissait depuis assez longtemps pour que la situation ne soit pas inconfortable. J’étais en phase avec Murphy – d’instinct, je peux lire son humeur, le cheminement de sa pensée. C’est ce qui arrive quand je côtoie quelqu’un pendant longtemps. Franchement, j’ignore si c’est normal ou surnaturel.

Je sentais Murphy tendue comme une corde de piano. Son visage restait de marbre, mais la raideur de son cou et de ses épaules la trahissait.

Au fond, je projetais peut-être sur elle mes propres réactions. L’espace confiné de l’ascenseur me rendait nerveux. Je déglutis péniblement et regardai autour de moi. Nos deux ombres semblaient comme étendues sur le plancher. Ce jeu de lumière me dérangeait, mais j’attribuai ce tiraillement d’angoisse à un petit coup de stress. Du calme, Harry !

Murphy soupira quand l’ascenseur s’arrêta, puis elle recommença avant de sortir, comme si elle avait prévu de retenir son souffle tant qu’elle serait à l’étage, n’acceptant de respirer qu’une fois revenue dans la cabine.

L’odeur du sang est particulière, poisseuse, un brin métallique. Quand les portes s’ouvrirent, ce parfum étrange saturait l’endroit. Mon estomac se retourna, mais je me redressai et filai dans le sillage de Karrin, qui remonta le couloir gardé par deux policiers. Me reconnaissant, ils me firent un signe de la main et me laissèrent passer sans me demander la petite carte fatiguée fournie par la ville. Je veux bien admettre que la police d’une grande ville comme Chicago ne fait pas appel à une horde de consultants (dans les documents officiels, je figure comme consultant parapsychologie, je crois), mais ces poulets manquaient de sérieux.

Murphy me précéda dans la pièce, où l’odeur de sang se fit plus prononcée. Pourtant il n’y avait rien d’atroce dans la pièce numéro un. Le salon de la suite ressemblait à une salle d’attente sortie d’un film des années trente, toute en teintes rouges et dorures. Ça puait l’argent et ça sonnait faux. Les fauteuils étaient en cuir, et une épaisse moquette couleur rouille recouvrait le parquet. On avait tiré les rideaux de velours cramoisi et les lumières étaient allumées.