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J’étais assis, le souffle court, je tremblais et la bile emplissait ma bouche. Murphy revint avec Carmichael.

— Très bien, Harry, on y va ? Que s’est-il passé ici, d’après toi ?

Il me fallut un moment pour reprendre mes esprits.

— Ils sont arrivés et ont commandé du champagne. Ils ont dansé un peu, puis commencé à batifoler près de la chaîne. Après, ils ont attaqué les choses sérieuses dans la chambre. Tout ça a pris un peu moins de une heure. Ça leur est tombé dessus au moment crucial.

— Un peu moins de une heure, répéta Carmichael. Comment le savez-vous ?

— Le CD fait une heure dix. J’imagine qu’ils ont pris quelques minutes pour danser et pour boire, puis ils sont allés au lit. Il y avait de la musique quand on les a trouvés ?

— Non, répondit Murphy.

— Donc, la chaîne n’était pas sur répétition. Je pense qu’ils voulaient de la musique pour que tout soit parfait, en accord avec la chambre et le reste.

— On avait déjà reconstitué tout ça par nous-mêmes, grommela Carmichael à Murphy. Il a intérêt à faire mieux que ça.

Karrin lança à son partenaire un regard qui signifiait : « Ta gueule », puis elle me souffla :

— Il m’en faut plus, Harry.

Je me passai la main dans les cheveux.

— Il n’y a que deux manières de procéder pour obtenir pareil résultat. La première, c’est l’invocation, la manifestation la plus directe, la plus brutale et la moins raffinée de la magie ou de la sorcellerie. Des explosions, des feux, ce genre de choses. Mais je ne pense pas qu’un invocateur se cache derrière tout ça.

— Pourquoi ? demanda Murphy son stylo crissant sur le calepin qui ne la quittait jamais.

— Il faut toucher ou voir ce qu’on veut affecter. Rien d’indirect. L’homme ou la femme aurait dû se trouver dans la chambre avec eux. Difficile de couvrir ses traces après un truc comme ça. Non, un tueur capable de balancer un tel sort aurait eu le bon sens d’utiliser un flingue, c’est plus simple.

— Et l’autre option ? continua Karrin.

— La thaumaturgie. Ce qui est en haut est à l’image de ce qui est en bas. Provoquer un effet à petite échelle et lui donner assez d’énergie pour qu’il se répercute à grande échelle.

— Quel tissu de conneries, grogna Carmichael.

— Comment ça marche, Harry ? On peut faire ça à distance, demanda Murphy d’une voix pleine de scepticisme.

— Le tueur a besoin de quelque chose pour le relier à ses victimes. Des cheveux, des ongles, du sang. Des trucs comme ça…

— Comme une poupée vaudoue ?

— Exactement !

— La teinture de la femme est encore fraîche, continua la policière.

— En retrouvant son salon de coiffure, vous en tirerez peut-être quelque chose. Je ne sais pas.

— Tu peux me dire un truc qui nous serait d’une quelconque utilité ?

— Oui. Le tueur connaissait ses victimes et je pense que c’est une femme.

— Bon, on a assez perdu de temps avec ces bêtises, lâcha Carmichael. Neuf fois sur dix, le tueur connaît sa victime.

— La ferme, Carmichael ! coupa Murphy. Qu’est-ce qui te fait dire ça, Harry ?

— C’est le principe même de la magie. Quand on la manipule, ça vient de l’intérieur. Les magiciens doivent se concentrer sur ce qu’ils veulent provoquer. Le visualiser et y croire à fond pour que ça fonctionne. On ne peut rien provoquer si ce n’est pas déjà en nous. La tueuse aurait pu les zigouiller et maquiller le crime en accident, mais elle a choisi une autre… option. Pour les tuer de cette manière, elle devait leur en vouloir personnellement. Elle voulait les atteindre au plus profond d’eux-mêmes. Peut-être une vengeance. Qui sait, une épouse ou une maîtresse délaissée…

— Il y a aussi le moment de la mort. En plein acte sexuel. Ce n’est pas une coïncidence. Pour la magie, les émotions agissent comme un chemin qui peut être utilisé pour atteindre une cible. Elle a choisi le moment où ils seraient ensemble et ivres de désir. Elle avait des « échantillons » pour focaliser son pouvoir et elle a tout planifié. On ne fait pas ça à des inconnus.

— Connerie, souffla Carmichael, mais cette fois, ça tenait plus du juron que de l’insulte.

— Tu n’arrêtes pas de dire « elle », lâcha Murphy. Comment diable peux-tu en être aussi sûr ?

Je désignai la chambre.

— Parce qu’on ne peut pas faire un truc pareil sans une sérieuse dose de haine, répondis-je. Les femmes manipulent la haine bien mieux que les hommes.

Elles la concentrent et l’utilisent plus efficacement. Bordel, les sorcières sont largement plus cruelles que les magiciens ! Pour moi, ça a tout l’air d’une vengeance féminine.

— Mais un homme aurait pu le faire aussi, avança Murphy.

— Ben… hésitai-je.

— Bon Dieu ! T’es vraiment qu’un porc misogyne, Dresden ! Tu crois que seule une femme aurait pu faire ça ?

— En fait, non. Je ne pense pas…

— Vous ne pensez pas, coupa Carmichael. Bonjour l’expert !

Je leur jetai un regard furibond.

— Je n’ai pas encore eu le temps de me pencher sur la méthode idéale pour faire exploser des cœurs, Murph ! Mais dès que j’en aurai l’occasion, je te tiendrai au courant !

— Et tu me diras ça quand ? lâcha Murphy.

— Je ne sais pas. (Je levai la main pour couper court à sa réponse.) Je ne peux pas faire ça selon un planning précis, Murph. C’est impossible. Je ne sais pas si j’en suis capable et… quant au temps que ça va prendre…

— À cinquante dollars de l’heure, j’espère que ça ne sera pas long, grogna Carmichael.

Murphy le dévisagea. Elle n’était pas tout à fait d’accord avec lui, mais elle ne lui donnait pas non plus entièrement tort.

J’en profitai pour me calmer en prenant de profondes inspirations, puis je revins à la charge.

— OK. Qui sont les victimes ?

— Vous n’avez pas à le savoir, déclara Carmichael.

— Ron, fit Murphy, je ne dirais pas non à un café.

Carmichael se tourna vers elle. Il n’était guère plus grand, mais il fit mine de la toiser.

— Allez, Murphy, ce type te mène en bateau ! Tu ne crois quand même pas qu’il va te dire quelque chose d’important ?

La policière contempla le visage rougeaud et les yeux porcins de son partenaire avec une certaine hauteur glaciale. Plutôt dur à faire avec un type qui vous dépasse quand même d’une dizaine de centimètres.

— Bien noir avec deux sucres.

— Bordel ! siffla Carmichael en me lançant un regard haineux.

Sans dépasser mon torse.

Il fourra les mains dans ses poches et sortit de la pièce.

Murphy alla fermer la porte en silence. Immédiatement, le salon s’obscurcit, se rétrécit, et la goule malveillante de cette sulfureuse intimité retrouvée sembla danser dans l’odeur de sang des cadavres d’à côté.

— La fille s’appelait Jennifer Stanton. Elle travaillait pour la Chambre de velours.

Je sifflai de surprise. La Chambre de velours était un service d’hôtesses aux tarifs exorbitants dirigé par une certaine Bianca. Pour plusieurs centaines de dollars de l’heure, elle louait une escadrille de filles charmantes aux hommes les plus riches de la région. Les femmes proposées par Bianca semblaient tout droit sorties de la télévision ou du cinéma. C’était aussi une vampire à l’influence considérable dans l’Outremonde. Elle avait du Pouvoir, avec un grand P.

J’avais déjà essayé d’expliquer le concept de l’Outre-monde à Murphy. Elle n’avait pas vraiment compris, mais avait saisi que Bianca était un monstre des plus agressifs, qui n’hésitait pas à agrandir son territoire de temps à autre. Et si une des filles de Bianca était concernée, la vampire l’était aussi, c’était certain.