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— Ça fait partie d’une guerre territoriale ? me demanda Murphy.

— Non, répondis-je. À moins que ça n’implique un sorcier humain. Un vampire, même magicien n’aurait pas pu réussir un truc pareil hors de l’Outremonde.

— Elle serait en bisbille avec un magicien humain ?

— Possible, mais ça m’étonnerait. Elle n’est pas stupide.

Je ne pouvais pas dire à Murphy que la Blanche Confrérie faisait en sorte que les vampires qui s’attaquent aux sorciers mortels ne vivent jamais assez longtemps pour s’en vanter. Je n’ai pas le droit de parler de la Confrérie aux gens normaux, c’est interdit.

— En plus, continuai-je, si un humain voulait atteindre Bianca en s’attaquant à une de ses filles, il aurait plutôt tué la nana et épargné le client pour qu’il raconte tout et nuise aux affaires de la Chambre.

— Mouais, lâcha la policière.

Elle n’était pas convaincue, mais elle nota mes remarques.

— Et l’homme ? demandai-je.

Karrin leva les yeux un moment avant de répondre :

— Tommy Tomm.

Je clignai des yeux pour lui faire comprendre qu’elle ne venait pas de me livrer l’adresse de la cachette d’Elvis.

— Qui ?

— Tommy Tomm, le garde du corps de Johnny Marcone.

C’était déjà mieux. Johnny « Gentleman » Marcone, un gangster, avait su tirer son épingle du jeu quand une guerre interne avait déchiré la famille Vargassi. La police ne savait pas trop comment considérer Marcone, après toutes ces années passées à lutter d’arrache-pied contre la famille en question. Gentleman Johnny ne tolérait aucun excès dans son organisation et il détestait que des indépendants opèrent dans sa ville. Les voyous, les perceurs de coffres et les trafiquants de drogue qui ne travaillaient pas pour lui avaient la fâcheuse habitude d’être dénoncés et arrêtés. Certains disparaissaient et on n’entendait plus jamais parler d’eux.

Marcone avait une influence civilisatrice sur le crime – et sur son territoire, ce n’était pas du luxe. Homme d’affaires des plus habiles, il était protégé par une batterie d’avocats bardés de dépositions, de témoignages et d’enregistrements. Les flics ne l’avouaient jamais, mais parfois ils rechignaient presque à le poursuivre. Marcone valait mieux que ce qui aurait existé sans lui : l’anarchie dans le monde du crime.

— Il avait un homme de main, si je me souviens bien, ajoutai-je. C’est fini maintenant.

— Il semblerait, fit Karrin.

— Tu vas foire quoi ?

— Exploiter la piste du coiffeur, je pense. J’irai parler à Bianca et à Marcone, mais je sais déjà ce qu’ils me diront.

Karrin referma son calepin d’un mouvement rageur.

Je lui trouvai l’air fatigué et le lui dis.

— J’en ai marre, me répondit-elle. Marre de passer pour une dingue. Même Carmichael, mon partenaire, pense que j’ai perdu la raison.

— Et qu’en dit le reste du poste ?

— La plupart des types me tirent la gueule et font tourner leur index contre leur tempe quand ils croient que je ne regarde pas. Ils rangent mes rapports sans même les lire. Les autres, ceux qui sont tombés sur une scène atroce, chient dans leur froc. Ils ne veulent pas croire à quelque chose qu’ils n’ont pas vu dans Temps X quand ils étaient petits.

— Et toi ?

Murphy sourit, ses lèvres dessinant une expression toute féminine qui la rendit beaucoup trop belle pour qu’elle soit une vraie peau de vache.

— Moi ? Tout craque autour de nous, Harry. À mon avis, les gens sont trop orgueilleux quand ils pensent qu’on sait tout sur le monde qui nous entoure. Et puis merde ! Ça ne me dérange pas de me dire que nous pouvons de nouveau percevoir tout ce qui rôde dans l’ombre. Au fond, ça flatte la cynique qui se cache en moi.

— Si tout le monde pensait comme toi, j’aurais moins de tarés au bout du fil.

Elle eut un sourire espiègle.

— Tu imagines vivre dans un monde où toutes les radios ne passent que du Abba ?

Nous éclatâmes de rire. Cette pièce en avait bien besoin.

— Hé, Harry ! me dit Murphy en ricanant.

Je voyais les engrenages tourner dans sa tête.

— Ouais ?

— À propos de ce que tu disais au sujet de ta capacité à découvrir comment la tueuse avait procédé. Et sur le fait que tu n’es pas sûr d’y arriver.

— Ouais ?

— J’y crois pas. Pourquoi m’as-tu menti ?

Je me raidis. Bordel, elle était douée ! Ou alors je mens très mal.

— Murph, il y a des trucs auxquels on ne doit pas trop penser.

— Des fois, je n’ai aucune envie de me mettre à la place des ordures que je pourchasse… Mais je fais ce qu’il faut pour que le boulot soit bien fait. Je vois ce que tu veux dire, Harry.

— Non, tu ne vois pas.

Non, elle ne voyait pas. Elle ne savait rien de mon passé, de la Confrérie, de la Malédiction de Damoclès qui pèse sur moi. D’ailleurs, la plupart du temps, je feins de l’ignorer aussi.

La Confrérie attend un prétexte pour m’accuser d’avoir violé une des Sept Lois de la Magie et activer la Malédiction. Si elle apprenait que je cherche à me procurer les composantes d’un sortilège de meurtre, je ne donne pas cher de ma peau.

— Murph, je ne peux pas tenter de comprendre ce sort ni rassembler les éléments qui m’aideraient à le faire. Tu ne peux pas piger…

Karrin me fixa sans me regarder dans les yeux. C’était la première personne à réussir un tour pareil.

— Oh, je comprends ! Je comprends que j’ai un assassin sur les bras et que je ne peux pas le prendre sur le fait. Je comprends que tu sais quelque chose qui pourrait m’aider, ou que tu pourrais trouver ce quelque chose… Harry, si tu me laisses tomber sur ce coup-là, j’arrache ta carte du répertoire de la police et je la flanque à la poubelle.

Merde ! Ce boulot de consultant payait pas mal de factures. Voire la majorité. Je comprenais. Si j’avais opéré à l’aveugle comme elle, j’aurais également eu les nerfs en pelote. Karrin ne savait rien des sorts, des rituels ou des talismans, mais elle connaissait trop bien la violence et la haine de tous les jours.

Cela dit, je ne me préparais pas à faire de la magie noire. J’allais étudier son fonctionnement. C’était toute la différence. J’aidais la police dans une affaire de meurtre, rien de plus. La Blanche Confrérie le comprendrait.

Oui, bien sûr. Et un jour j’enseignerai la magie à l’université !

Murphy me porta l’estocade quelques secondes plus tard. Elle me regarda dans les yeux un court mais courageux instant, puis se détourna, le visage las, honnête et fier.

— Il faut que je sache tout ce que tu peux me dire, Harry. S’il te plaît.

La damoiselle en détresse dans la plus pure tradition… Pour une femme libérée et active, elle savait parfaitement comment abuser de mon éducation rétro.

Je grinçai des dents.

— D’accord. Je m’y mets dès ce soir.

Misère ! La Confrérie allait adorer. J’avais intérêt à bien me cacher.

Murphy hocha la tête puis soupira sans me regarder.

— Tirons-nous d’ici, dit-elle en se dirigeant vers la porte.

Je n’essayai pas de la précéder.

Les flics en uniforme bullaient toujours quand nous sommes sortis. Aucune trace de Carmichael. Les gars du labo étaient arrivés et ils rongeaient leur frein en attendant notre départ. Ils rassemblèrent leurs sacs en plastique, leurs pinces à épiler, leurs lampes et je ne sais quoi d’autre avant de se ruer dans la suite.