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— Ta gueule ! cria Sells. Je veux un nom, Dresden ! Dis-le-moi !

Si je lui donnais Monica, il serait capable de s’en prendre à elle, dans l’hypothèse où il parviendrait à s’enfuir. Inutile de courir le risque.

— Va te faire foutre, Vic ! répondis-je.

— Allez faire chauffer la voiture, grogna Victor aux Beckitt. Passez par la terrasse, les scorpions attaqueront tout ce qui bouge dans le salon.

J’entendis des mouvements dans la pièce d’à côté. On ouvrait la porte de derrière. Le feu continuait ses ravages et la fumée devenait plus épaisse.

— Je dois te laisser, Dresden, dit Victor, jubilant. Mais avant, il faut que je te présente un ami. Cette histoire ne me disait rien qui vaille.

— Kalshazzak, murmura-t-il.

Le pouvoir vibra dans l’air et un nuage lumineux apparut.

— Kalshazzak, répéta Victor – plus fort.

Il y eut un son, un sifflement étranglé qui semblait venir de très loin, un cri qui se ruait sur nous. Proche de l’hystérie, le mage noir cria ce nom pour la troisième fois.

— Kalshazzak !

Un coup de tonnerre ébranla la maison et une odeur de soufre envahit l’atmosphère alors que je jetais un coup d’œil par-dessus le meuble.

Victor se tenait près de la porte-fenêtre donnant sur la terrasse. Les flammes dévoraient le plafond et une fumée noire noyait le salon. L’incendie emplissait la pièce de teintes infernales.

Le démon que j’avais banni hier soir était couché aux pieds de l’Homme de l’Ombre. On ne peut pas tuer un démon, mais seulement détruire le réceptacle physique qu’il se crée pour opérer dans notre plan d’existence. Chaque fois qu’on l’appelle, il se crée un nouveau corps.

J’étais fasciné par ce spectacle. C’était la deuxième fois que je voyais quelqu’un invoquer un démon. La première, j’avais dû tuer le sorcier, mon maître, peu de temps après.

La créature était accroupie devant Victor Sells. La haine ajoutait à ses yeux bleus une touche de Cramoisi. Il fixait ce mage aux vêtements sombres, brûlant du désir de déchiqueter le mortel qui avait osé invoquer un démon.

Victor avait l’air d’un fou. Le visage ruisselant de sueur, il inclina la tête d’un côté, comme si son sens de l’équilibre venait de basculer et qu’il voulait compenser ce vertige. Heureusement que j’avais réduit ma Clairvoyance. Je n’avais aucune envie de découvrir la véritable apparence de cette créature – ni de voir à quoi ressemblait le mari de Monica, à présent.

Le Crapaud de l’Enfer ulula de frustration, puis il se tourna vers moi en coassant sa fureur. Le mage noir éclata de rire, fier d’avoir imposé sa volonté à cet être venu des abysses.

— Tu vois, Dresden ? Le fort survit et le faible se fait hacher menu ! (D’un geste auguste à l’adresse de son démon, Victor me désigna.) Tue-le !

Je me remis debout en m’aidant avec le meuble au moment où le démon se dressait.

— Bon sang, Victor, dis-je, je n’en reviens pas de constater à quel point tu es maladroit.

Sells se rembrunit et une lueur d’inquiétude passa dans son regard. Il eut un instant d’incertitude, en plein milieu de son triomphe. J’esquissai un sourire en me concentrant sur la créature qui approchait lentement.

— Il ne faut jamais révéler le Nom Véritable d’un démon, déclarai-je avant de commander : Kalshazzak !

Le monstre s’arrêta et cria de douleur et de rage en entendant son nom.

Je le frappai avec ma volonté.

— Kalshazzak ! clamai-je de nouveau.

Soudain, l’essence du démon apparut dans ma tête : un infâme têtard gluant qui se débattait. Un étau enserra mes tempes. Je vis trente-six chandelles et faillis perdre l’équilibre.

Je tentai de reprendre la parole, mais les mots se bloquèrent dans ma gorge. La créature coassa de plaisir, et tenta d’accentuer la terrible pression, pour me faire lâcher prise et m’obliger à lui rendre sa liberté. La lueur bleutée de son regard devint aveuglante.

Je repensai à la petite Jenny Sells – ne me demandez pas pourquoi – et à Murphy gisant sur une civière sous la pluie. Il y avait aussi Susan, couchée par terre et trop malade pour courir.

J’avais déjà battu cette grenouille infâme. Je pouvais recommencer.

La gorge à vif, je criai le nom de la créature une troisième et dernière fois. Le mot était un peu déformé et manquait de clarté. Un instant, je crus que le pire était arrivé, mais Kalshazzak beugla avant de se contorsionner sur le sol comme un insecte empoisonné, en arrachant de grands morceaux de plancher.

Je vacillai, épuisé, et manquai de perdre connaissance.

— Qu’est-ce que tu fais ? piailla Victor. Qu’est-ce qui te prend ? répéta-t-il horrifié par le comportement de la créature. Tue-le ! Je suis ton maître ! Tue-le !

Le démon coassa de haine et hésita entre nous deux, comme s’il choisissait qui il dévorerait en premier. Ses yeux se rivèrent sur Sells qui pâlit et recula vers la porte-fenêtre.

— Sûrement pas, murmurai-je en libérant le dernier sort dont j’étais capable.

Avec un dernier effort de volonté, le vent me souleva et me projeta contre Victor comme un missile, l’éloignant de la porte et nous faisant dépasser le démon qui avait sauté au même moment.

Nous ricochâmes contre le mur avant de nous arrêter contre la balustrade. Au-dessous, le salon n’était plus qu’un brasier, l’air devenant presque trop chaud pour être respiré. Un éclair de souffrance plus violent que tout ce que j’avais connu fusa de ma hanche et j’eus du mal à reprendre mes esprits. Les effluves de l’incendie me brûlaient les poumons.

J’ouvris les yeux. Le feu était partout. Le démon se tenait entre nous et la seule issue possible. En bas, tout n’était que chaos, flammes et fumée. Une fumée étrange, sombre, qui aurait dû s’élever, mais préférait rester collée au sol, comme le brouillard de Londres. La douleur était si vive que je ne pouvais plus bouger. Je n’arrivai même plus à respirer suffisamment pour gémir.

— Sois maudit ! hurla Victor en me décollant du sol avec une force de dément. Sois maudit ! Que s’est-il passé ? Qu’as-tu fait ?

— La Quatrième Loi de la Magie interdit qu’on lie un esprit contre sa volonté, parvins-je à souffler malgré mon supplice. Alors, je suis intervenu pour annuler ton contrôle, sans en établir un autre.

— Tu veux dire…, commença Sells les yeux exorbités.

— Il est libre, confirmai-je en regardant la créature. Et il a l’air d’avoir faim.

— On fait quoi ? demanda Victor d’une voix tremblante. Qu’est-ce qu’on fait ?

— On meurt… Je n’avais rien d’autre de prévu ce soir, alors autant t’inviter.

Sells jeta un coup d’œil au démon puis se tourna vers moi.

— Bosse avec moi ! Tu l’as vaincu une fois, donc tu peux le refaire ! On le battra ensemble !

Je sondai mon adversaire. Je n’avais pas le droit de le tuer avec la magie. De toute manière, je n’en avais aucune envie et ça m’aurait valu une condamnation à mort. Mais je pouvais aussi ne rien faire.

Bon choix ! Je fermai les yeux en me contentant de sourire.

— Va te faire mettre, Dresden ! Il ne peut pas nous manger en même temps ! Autant lui fournir son repas !

Sur ces mots, Victor me souleva et tenta de me lancer sur le monstre.

Je luttai faiblement. La fumée envahissait la maison et le démon approchait. Victor était plus petit que moi, mais plus costaud. Meilleur que moi à la lutte, il ne s’était pas pris une balle dans la hanche.

Il parvint à me soulever et faillit me projeter, mais je fus plus rapide et réussis à m’accrocher à son cou en le giflant avec les menottes de Murphy. Il tenta de desserrer ma prise, mais je tins bon et nous percutâmes la rambarde avant de passer par-dessus.