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Murphy remettait de l’ordre dans ses cheveux pendant que nous attendions que le vénérable ascenseur daigne grimper jusqu’à nous. Elle portait une montre en or et j’eus soudain un flash.

— Bon sang ! Quelle heure est-il ?

— Deux heures vingt-cinq, pourquoi ?

J’étouffai un juron en filant vers l’escalier.

— Je suis en retard pour mon rendez-vous.

Je volai quasiment sur les marches – après tout, ça fait un petit bout de temps que je m’entraîne – et je sprintais déjà en atterrissant dans le hall d’entrée. Évitant un porteur chargé de bagages jusqu’à la truffe, je rebondis sur le pavé dans le même mouvement.

Avoir des jambes longues qui bouffent pas mal de terrain est un sacré avantage.

Je courus dans le vent, mon manteau noir battant comme un drapeau.

J’étais à quelques pâtés de maisons de mon bureau quand je ralentis. Je ne voulais pas rencontrer Monica Mon-Mari-A-Disparu en soufflant comme un phoque, échevelé et le visage ruisselant de sueur.

C’était peut-être à cause d’un hiver assez pantouflard, mais j’avais perdu la forme – et mon souffle par la même occasion. Ça me dérangeait assez pour que je ne remarque pas la Cadillac bleu nuit arrivée à ma hauteur, ni le mec plutôt baraqué qui en était sorti pour se mettre sur mon chemin. Très roux, il avait un cou de taureau. On aurait juré que quelqu’un lui avait aplati le visage avec un madrier quand il était petit, mais en ratant ses sourcils broussailleux. Pendant que je le détaillais, ses petits yeux bleus s’étrécirent encore.

Je m’arrêtai et reculai avant de tourner les talons. Deux hommes aussi grands que moi, et bien plus lourds, arrivaient au pas de course. Manifestement, ils m’avaient suivi et ils semblaient irrités. L’un d’eux boitillait et l’autre avait les cheveux courts coiffes en pointes avec un gel quelconque. J’eus l’impression de me retrouver au lycée, coincé par les terreurs de l’équipe de foot.

— Puis-je vous aider, messieurs ? demandai-je en cherchant vainement un flic des yeux.

Ils devaient tous être au Madison. Tout le monde aime se rincer l’œil.

— Dans la voiture, gronda le rouquin.

Un des joggers ouvrit la portière arrière.

— J’aime marcher, c’est bon pour mon cœur.

— Si tu montes pas dans la voiture, ça va pas être bon pour tes jambes, grogna le type.

Une voix monta de la voiture.

— Monsieur Hendricks, s’il vous plaît, un peu de politesse… Monsieur Dresden, auriez-vous l’obligeance de m’accorder un peu de votre temps ? Je pensais vous raccompagner jusqu’à votre bureau, mais votre sortie un peu brusque m’a pris de court. M’autoriserez-vous à vous véhiculer sur le reste du trajet ?

Je me penchai pour étudier l’arrière de la voiture. Un homme plutôt bien fait de sa personne, en jean et polo, me regardait en souriant.

— Et vous êtes ? demandai-je.

Le sourire du type s’agrandit et je parierais avoir vu ses yeux scintiller.

— Je m’appelle Johnny Marcone. J’aimerais discuter affaires avec vous.

Je le dévisageai un moment, puis mes yeux dérivèrent vers le très grand et très costaud M. Hendricks. Il grognait sourdement et ressemblait à Cujo juste avant qu’il ne saute sur la femme, dans la voiture. Je me voyais mal échapper à Cujo et à ses deux potes.

Je montai à l’arrière de la Cadillac pour rejoindre Johnny Marcone.

La journée s’annonçait chargée et j’étais toujours en retard à mon rendez-vous.

Chapitre 3

Johnny Gentleman Marcone n’était pas le genre de mec à me faire casser les jambes ou briser la mâchoire. Les cheveux poivre et sel coupés court, des rides de bronzage émaillant le coin de ses yeux, il avait les pupilles d’un joli vert dollar. Bref, il ressemblait un peu à un entraîneur de football, beau, bronzé, athlétique et amical. Ses hommes renforçaient encore cette impression. Cujo Hendricks avait tout du joueur de football américain mis sur la touche pour brutalité excessive.

Cujo reprit sa place derrière le volant, me jeta un regard mauvais dans le rétroviseur puis redémarra en direction de mon bureau.

Le volant avait l’air d’une petite chose fragile entre les énormes pattes de ce type. Mentalement, je pris note de ne jamais laisser ces mains se refermer sur mon cou. Même une. À vrai dire, j’avais l’impression que cette brute aurait pu m’étrangler avec son pouce.

La radio était en marche. Bien entendu, elle ne tarda pas à hurler sa détresse en ne produisant plus que des parasites. Hendricks la fixa et sembla réfléchir un instant. Il avait peut-être besoin d’envoyer un message à son caveau reptilien. Enfin, il se pencha et appuya sur tous les boutons avant de réussir à éteindre l’appareil. Pourvu que la voiture tienne jusqu’à mon bureau…

— Monsieur Dresden, dit Marcone, d’après mes sources, il vous arrive de travailler pour la police.

— Elle me donne un os à ronger de temps à autre, concédai-je. Hendricks, vous devriez mettre votre ceinture ! Les statistiques montrent qu’on y gagne de cinquante à soixante pour cent en sécurité.

Cujo grogna de nouveau en m’observant dans le rétroviseur, et je me fendis d’un grand sourire. Les sourires énervent toujours plus que les insultes. À moins que le mien soit spécialement pénible.

Marcone semblait surpris par mon attitude. Il s’attendait peut-être que je serre mon chapeau contre mon cœur, mais je n’ai jamais aimé Francis Ford Coppola et je n’ai pas de parrain. En revanche, j’ai une marraine, et comme par hasard, c’est une fey. Mais c’est une autre histoire.

— Monsieur Dresden, combien me coûteraient vos services ?

Je dressai l’oreille. À quoi pouvais-je servir à un type comme Marcone ?

— Cinquante dollars de l’heure plus les frais. Après, tout dépend du boulot.

Comme pour m’encourager à poursuivre, Gentleman Johnny hochait la tête au rythme de mes phrases. Il se plongea dans ses pensées comme s’il réfléchissait à ce qu’il allait dire, soucieux de mon confort comme un grand-père qui s’occupe de son petit-fils.

— Combien me coûterait de vous engager pour ne pas enquêter sur quelque chose ?

— Vous voulez me payer à ne rien faire ?

— Au tarif convenu nous ferait mille quatre cents dollars par jour, non ?

— Mille deux cents, crus-je bon de corriger.

— L’honnêteté est si rare de nos jours, répondit Marcone, rayonnant. Mille deux cents dollars, donc. Disons que je vous paie deux semaines de travail, monsieur Dresden, histoire que vous preniez du bon temps. Vous allez au cinéma, vous dormez un peu plus, ce genre de choses…

— Et pour plus de mille dollars par jour, vous voulez que je… ? lançai-je méfiant.

— Rien, monsieur Dresden, sourit Marcone. Rien du tout. Détendez-vous, les doigts de pied en éventail. Et restez en dehors des affaires de l’inspecteur Murphy.

Ah, ah ! Marcone ne voulait pas que je m’occupe du meurtre de Tommy Tomm. Intéressant. Je regardai par la vitre en plissant les yeux, comme si je réfléchissais.

— J’ai l’argent sur moi, continua Marcone. Du cash tout de suite. Je suis sûr que vous honorerez votre part du contrat, monsieur Dresden. On m’a vanté votre honnêteté.

— Je ne sais pas, John… J’ai trop de boulot pour accepter une nouvelle affaire.

Nous étions presque arrivés à mon bureau, et la portière n’était pas verrouillée. Je n’avais pas attaché ma ceinture non plus, au cas où j’aurais à sauter du véhicule. Vous avez vu cette vivacité d’esprit ? On appelle ça l’« Intelligence des Mages »… ou la paranoïa.