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— Victor, lâcha-t-elle. Victor Sells.

— Parfait, dis-je en reprenant mon crayon. Vous ne voyez pas un endroit où il aurait pu aller, comme ça, à brûle-pourpoint ?

— La maison au bord du lac. Nous avons une maison du côté du…

Elle agita la main.

— Quel lac ?

Son visage s’éclaira et je me rappelai d’y aller doucement.

— C’est à Lake Providence, près de la frontière de l’État, au bord du lac Michigan. C’est magnifique en automne.

— Bien. Vous ne voyez pas un ami ou de la famille chez qui il aurait pu aller ? Quelque chose comme ça ?

— Victor et sa famille ne se parlent plus. Je n’ai jamais su pourquoi. Il ne la mentionne jamais. Nous sommes mariés depuis dix ans et elle ne nous a jamais contactés.

— D’accord, dis-je en continuant à noter. Des amis alors ?

Monica se mordit les lèvres – une habitude manifestement.

— Pas vraiment. Il était ami avec son patron et quelques personnes dans l’entreprise, mais il s’est fait virer…

— Mouais, je comprends.

J’écrivais toujours en séparant les idées par de grands blancs. J’avais bien entamé la page opposée, une fois les faits et les observations de Monica soigneusement notés. J’aime le travail bien fait.

— Alors, monsieur Dresden ? Vous pouvez m’aider ?

Je relus les pages en opinant du chef.

— Je crois, Monica. Serait-il possible de voir certains objets de votre mari. Ses livres favoris, des trucs comme ça. Une photo m’aiderait beaucoup. Il faudrait aussi que j’aille jeter un coup d’œil à votre maison de Lake Providence. Ça ne vous dérange pas ?

— Aucun problème.

Elle semblait soulagée, mais plus nerveuse que jamais. Je notai l’adresse de la maison et quelques indications sur l’itinéraire.

— Vous connaissez mes tarifs ? Ils ne sont pas donnés. Vous devriez peut-être vous adresser à quelqu’un d’autre.

— Nous avons des économies, monsieur Dresden. Je ne me fais aucun souci pour l’argent.

Venant d’elle, ça semblait surréaliste et totalement en désaccord avec sa nervosité.

— Très bien, en ce cas je facture cinquante dollars de l’heure, plus les frais. Je vous enverrai une liste détaillée de ce que je fais, ça vous donnera une bonne idée des progrès de l’enquête. Il me faut un acompte. Je ne peux pas vous garantir de travailler uniquement sur votre cas. J’essaie de traiter chaque client avec respect et courtoisie, du coup, aucun ne passe avant un autre.

Elle acquiesça vivement, sortit une enveloppe de son sac et me la tendit.

— Voilà cinq cents dollars, ça suffira pour l’instant ?

Bingo ! Cinq cents billets élimineraient le loyer du mois dernier et entameraient bien celui en cours. J’ai l’habitude des clients inquiets qui préfèrent protéger leur numéro de compte bancaire contre ma sorcellerie.

De l’argent, c’est de l’argent.

— Ça ira, dis-je en me retenant de caresser l’enveloppe.

Au moins, j’avais assez d’éducation pour ne pas la vider sur le bureau et recompter.

Elle sortit une autre enveloppe.

— Il a emporté la majeure partie de ses affaires, dit-elle. Enfin, elles ne sont plus aux endroits habituels. J’ai pourtant récupéré ça.

Il y avait dans l’enveloppe une amulette, un anneau ou un charme quelconque. J’étais intrigué. Une troisième enveloppe apparut. Cette femme devait être une maniaque de l’organisation.

— Voilà une photo de lui et mon numéro de téléphone. Merci, monsieur Dresden. Quand allez-vous m’appeler ?

— Dès que j’en saurai un peu plus. Demain après-midi, au pire samedi matin. Ça ira ?

Elle faillit me regarder dans les yeux, se reprit et sourit à mon nez.

— Oui, oui… Merci beaucoup de votre aide. (Elle jeta un œil sur le mur.) Holà, le temps file ! Je dois aller chercher mes enfants à l’école.

Elle ferma la bouche et rougit de nouveau comme si elle venait de me livrer une information vitale.

— Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir, madame, la rassurai-je en la raccompagnant jusqu’à la porte. Merci de m’avoir confié cette affaire. Je vous appelle bientôt.

Elle me salua, toujours sans lever les yeux, avant de se sauver. Je refermai la porte et revins aux enveloppes.

D’abord l’argent. Dix billets de cinquante. Ils ont toujours l’air neufs même quand ils ont plus de trois ans, car il Y’en a très peu en circulation. Je les rangeai dans mon portefeuille avant de jeter l’enveloppe.

Ensuite, la photo. Elle représentait Monica avec un homme grand, aux traits harmonieux, avec un front large et des sourcils broussailleux qui lui donnaient un petit côté excentrique. Son sourire était plus blanc que blanc, et il avait le hâle des gens qui restent longtemps au soleil, comme s’il faisait de la voile. Un sérieux contraste avec la pâleur de Monica. Victor Sells, supposai-je…

Le numéro était écrit sur un bristol soigneusement découpé pour tenir dans l’enveloppe. Pas de nom, pas de code postal, juste un numéro de téléphone. Je le rangeai dans mon répertoire.

Bizarre, ça aussi. Où voulait-elle en venir en ne me fournissant que des prénoms, alors qu’elle allait me livrer une dizaine de façons d’en savoir plus par la suite ? Une fois de plus, ça prouvait que les gens font n’importe quoi quand ils sont nerveux. Ils disent des conneries et prennent des décisions étranges qu’ils trouvent totalement stupides en y repensant plus tard. J’allais essayer de ne pas remuer le couteau dans la plaie à notre prochaine rencontre.

Je jetai la seconde enveloppe avant de vider la troisième sur le bureau.

La carapace desséchée d’un scorpion luisante de vernis rebondit sur le bois. Une fine cordelette de cuir tressé partait d’un anneau situé à la base de la queue. Si on le portait en collier, la queue pointait vers le sol.

Je frémis. Dans certains cercles, le scorpion est un symbole extrêmement puissant. En plus, ces bestioles ne représentent jamais des choses sympas ou agréables. Un petit talisman comme celui-là pouvait canaliser un sacré paquet de sorts bien vicieux. Si on le porte à même la peau comme il se doit, les petites pattes n’arrêtent pas de piquer la chair en s’agitant sur votre poitrine – impossible de l’oublier. Si on essaie de serrer le porteur dans ses bras, le dard a tôt fait de transpercer la peau, et les pinces ne manquent pas de se prendre dans les poils du torse d’un homme ou de griffer les seins d’une femme. Une saloperie très pénible. Pas mauvaise en tant que telle, mais il n’y a aucune chance de produire une belle magie bien gentille avec un objet pareil autour du cou.

Victor Sells était peut-être impliqué dans quelque chose de sérieux qui avait mobilisé toute son attention. L’Art avait parfois cet effet sur les gens, et plus particulièrement ses aspects les plus sombres. Si le désespoir l’avait poussé vers la magie noire après la perte de son boulot, ça pouvait expliquer son brusque départ du foyer. Beaucoup de sorciers plus ou moins authentiques sont persuadés que l’isolement augmente leurs capacités de manipuler la magie. C’est faux, mais ça permet aux esprits faibles ou manquant d’entraînement d’éviter les distractions.

Ce n’était peut-être même pas un vrai talisman. Il pouvait s’agir d’un souvenir – une curiosité rapportée d’un voyage. Je n’avais aucun moyen de déterminer si cet objet aidait à la focalisation et à l’usage de la magie – à part m’en servir pour lancer un sort – et, pour un grand nombre de raisons, je n’avais aucune envie d’utiliser un objet aussi douteux.

Je décidai de revenir à cette petite horreur quand il faudrait attraper M. Sells. Ce truc pouvait être dénué d’importance. Ou pas…

Je regardai la pendule. Trois heures et quart. J’avais le temps de passer à la morgue pour voir si on n’avait pas reçu des cadavres non identifiés. Mon affaire pouvait être bouclée avant la fin de la journée. Ensuite, direct à la banque pour déposer mon argent et faire un virement à mon propriétaire.