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La mouche, provocante ou inconsciente, s’approchait à nouveau du capot tiède de l’ordinateur, distrayant l’attention du curé.

— Elle venait il y a longtemps, quand le village racontait qu’elle portait la poisse. Et puis elle a perdu la boule et elle ne l’a jamais retrouvée.

Comme la vocation, se dit Adamsberg, se demandant si, un matin, en regardant la neige sur les branches et une femme à vélo, il quitterait la Brigade sans jamais se retourner.

— Elle ne vient plus vous voir ?

— Si, bien sûr, dit le curé en guettant à nouveau la mouche qui allait de touche en touche sur son clavier. Ce qui me rappelle une petite chose. C’était il y a six ou sept mois. Pascaline avait plusieurs chats. L’un d’eux a été massacré et laissé en sang devant sa porte.

— Qui avait fait cela ?

— On ne l’a jamais su. C’est sans doute un truc de mômes, cela arrive dans tous les villages. J’avais oublié l’incident, mais cela l’avait beaucoup affectée. Outre qu’elle a eu du chagrin, elle a eu très peur.

— Comment cela ?

— Peur que quelqu’un ne la soupçonne d’homosexualité. C’était son idée fixe, je vous l’ai dit.

— Je ne vois pas le rapport, dit Veyrenc.

— Mais si, dit le curé avec un brin d’agacement. C’était un chat mâle, et on lui avait tranché les parties génitales.

— C’est violent, pour un jeu d’enfant, commenta Danglard avec une grimace.

— Élisabeth avait aussi des chats ?

— Un seul. Mais elle n’a eu aucun ennui avec lui, rien de ce genre.

Les trois hommes roulaient en silence vers Haroncourt. Adamsberg conduisait au pas d’un cheval, comme si la voiture devait marcher au même rythme alenti que ses pensées.

— Que pensez-vous de lui, capitaine ? demanda Adamsberg.

— Un peu nerveux, assez lunatique, ce qui peut se comprendre s’il est en train de faire le grand saut. Mais la visite valait la peine.

— À cause du livre évidemment. C’est un inventaire des reliques ?

— Non, c’est le plus grand traité sur leur utilisation. Des reliques sacrées et de leur usage. L’exemplaire du curé est en très bel état. Je ne pourrais même pas me l’offrir avec quatre ans de salaire.

— Les reliques s’utilisaient ?

— Pour tout. Pour les relâchements de ventre, les douleurs d’oreille, les fièvres, les hémorroïdes, les langueurs, les vapeurs.

— On devrait l’offrir au Dr Romain, dit Adamsberg en souriant. Pourquoi cette édition est-elle si précieuse ?

— Je l’ai dit à Veyrenc. Parce qu’elle contient la plus fameuse des médications, celle que l’Église a censurée pendant des siècles. C’est d’ailleurs assez inconvenant de la retrouver chez un curé. Et c’est à cette page, curieusement, qu’il laisse le livre ouvert. Une petite provocation sans doute.

— Après tout, il est le mieux placé pour avoir dérobé les ossements de Jérôme. Une médication pour quoi faire, Danglard ? Pour retrouver sa vocation ? Pour extirper les tentations diaboliques ?

— Pour gagner la vie éternelle.

— Sur terre ou au ciel ?

— Sur terre, pour les siècles des siècles.

— Allez-y, capitaine, dites-la-moi.

— Comment voulez-vous que je m’en souvienne ? gronda Danglard.

— Je m’en souviens, dit discrètement Veyrenc.

— Je vous écoute, lieutenant, dit Adamsberg toujours souriant. Cela nous dira peut-être ce que le curé a vraiment en tête.

— Bien, dit Veyrenc avec réticence, ne sachant pas encore distinguer chez Adamsberg ce qui relevait de l’intérêt vrai ou de la simple fantaisie. Remède souverain pour le prolongement de la vie par la qualité qu’ont les reliques d’affaiblir les miasmes de la mort, préservé depuis les plus vrais procédés et purgé des erreurs anciennes.

— C’est tout ?

— Non, c’est juste le titre.

— C’est après que cela se complique, dit Danglard, stupéfait et offensé.

— Cinq fois vient le temps de jeunesse quand il te faudra l’inverser, hors de la portée de son fil, passe et repasse. Des reliques sacrées tu pulvériseras, tu prendras trois pincées, mêleras au mâle principe qui ne doit pas plier, au vif des pucelles, en dextre, dressées par trois en quantités pareilles, broieras, avec la croix qui vit dans le bois éternel, adjacente en quantité pareille, tenues en même lieu par le rayon du saint, dans le vin de l’année, mettras son chef au sol.

— Vous la connaissiez déjà, Veyrenc ?

— Mais non, je viens de la lire.

— Vous la comprenez ?

— Non.

— Moi non plus.

— Il s’agit de fabriquer la vie éternelle, dit Danglard, boudeur. Cela ne se gagne pas en deux coups de cuiller à pot.

Une demi-heure plus tard, Adamsberg et ses adjoints chargeaient les sacs dans la voiture, destination Paris. Danglard râlait contre la présence du pare-feu à l’arrière, sans parler des bois de cerf qui encombraient toute la banquette.

— Il n’y a qu’une seule solution, dit Adamsberg. On cale les bois à l’avant, et les deux passagers s’assoient à l’arrière.

— On ferait mieux de laisser les bois ici.

— Vous plaisantez, capitaine. Prenez le volant, vous êtes le plus grand. Veyrenc et moi, on s’installera de chaque côté du pare-feu. Cela nous convient très bien.

Danglard attendit que Veyrenc soit monté dans la voiture pour tirer Adamsberg à part.

— Il ment, commissaire. Personne ne peut mémoriser un texte pareil. Personne.

— Il est surdoué, je vous l’ai déjà dit. Personne ne peut non plus versifier comme il le fait.

— C’est une chose d’inventer, c’en est une autre de se souvenir. Il a su réciter ce foutu texte à la virgule près. Il ment. Il connaissait déjà la médication sur le bout des doigts.

— Et pour quoi faire, Danglard ?

— Aucune idée, mais c’est une recette de damné, pour les siècles des siècles.

XXX

— Elle portait des chaussures bleues, annonça Retancourt en déposant un sachet plastique sur le bureau d’Adamsberg.

Adamsberg regarda le sac, puis le lieutenant. Elle tenait le chat sous son bras, et La Boule, béat, se laissait porter comme un chiffon, ses pattes et sa tête pendant sans réaction. Adamsberg n’espérait pas un résultat si rapide et, à vrai dire, pas le moindre résultat. Mais les chaussures de l’ange de la mort étaient à présent posées sur sa table, usées, tordues, et bleues.

— Il n’y a aucune trace de cirage sous les semelles, ajouta Retancourt. Mais c’est normal, car elles ont été beaucoup portées depuis deux ans.

— Racontez-moi, dit Adamsberg en grimpant sur le tabouret suédois qu’il avait installé dans son bureau.

— L’agence immobilière laisse le pavillon à l’abandon, sachant qu’il n’est pas vendable. Personne ne s’est chargé de nettoyer la maison après l’arrestation. Pourtant, j’ai trouvé l’endroit vide. Plus de meubles, pas de vaisselle, pas d’habits.

— Donc ? Brigandage ?

— Oui. Dans le coin, tout le monde savait que l’infirmière n’avait pas de famille et que ses affaires étaient en très bon état. Peu à peu, le pillage s’est organisé. J’ai prospecté plusieurs squats et un camp de gitans. Avec les chaussures, j’ai retrouvé un chemisier et une couverture qui lui avaient appartenu.

— Où cela ?

— Dans une caravane.

— Toujours habitée ?

— Oui. Mais on n’a pas besoin de savoir par qui, si ?