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Adamsberg avait ouvert son carnet sans rien y noter. Il écoutait en griffonnant le résumé de Danglard qui, à son avis, aurait fait un meilleur chef de brigade que lui.

— Retancourt a rapporté des chaussures lui ayant appartenu, ajouta Danglard. Elles sont en cuir bleu. Cela ne suffit pas à fonder notre certitude, mais on continue à serrer les recherches sur l’infirmière.

— Elle rapporte tout, Retancourt, observa Veyrenc à voix basse.

— Elle convertit son énergie, expliqua farouchement Estalère.

— L’ange de la mort est une chimère, dit Mordent avec mauvaise humeur. Personne ne l’a vue discuter avec Diala ou La Paille au marché aux puces. Elle est invisible, insaisissable.

— C’est bien ainsi qu’elle a opéré toute sa vie, dit Adamsberg. Comme une ombre.

— Cela ne va pas, continua Mordent, en tirant son long cou de héron hors de son pull gris. Cette femme a assassiné trente-trois vieillards, toujours de la même manière, sans jamais rien y changer. Et soudain, elle se transforme en une autre sorte de folle, elle se met à chercher des vierges, à ouvrir des tombes, à taillader deux gars à la gorge. Non, cela ne va pas. On n’échange pas un carré contre un rond, on ne troque pas une tueuse de vieux contre une nécrophile sauvage. Chaussures ou pas chaussures.

— Cela ne va pas du tout, approuva Adamsberg. À moins qu’une secousse profonde n’ait ouvert un second cratère dans le volcan. La lave de la folie s’écoulerait alors par un autre flanc, de manière différente. Son séjour en prison peut y être pour beaucoup, ou bien le fait qu’Alpha ait pris conscience de l’existence d’Oméga.

— Je sais qui sont Alpha et Oméga, coupa vivement Estalère. Ce sont les deux morceaux d’un meurtrier dissocié, de part et d’autre de son mur.

— L’ange de la mort est une dissociée. Son arrestation a pu briser le mur intérieur. À partir de cette catastrophe, tout changement d’attitude est envisageable.

— Quand bien même, dit Mordent. Cela ne nous explique pas ce qu’elle recherche avec ses vierges ni ce qu’elle trafique dans leurs tombes.

— C’est là le gouffre, dit Adamsberg. Et pour l’atteindre, on ne peut que partir de l’aval, où il nous reste quelques éboulis de ses actes. Pascaline avait quatre chats. Trois mois avant sa mort, l’un d’eux a été tué. C’était le seul mâle de la troupe.

— Une première menace contre Pascaline ? demanda Justin.

— Je ne crois pas. On l’a tué pour prélever ses parties sexuelles. Comme le chat était déjà castré, c’est donc sa verge qu’on a ôtée. Danglard, expliquez le truc de l’os.

Le commandant réitéra son enseignement sur les os péniens, les carnivores, les viverridés, les mustélidés.

— Qui d’autre savait cela parmi vous ? demanda Adamsberg.

Seules les mains de Voisenet et de Veyrenc se levèrent.

— Voisenet, je comprends, vous êtes zoologue. Mais vous, Veyrenc, d’où le tenez-vous ?

— De mon grand-père. Quand il était jeune, un ours avait été tué dans la vallée. Sa dépouille avait été trimballée de village en village. Mon grand-père en avait conservé l’os pénien. Il disait qu’il ne fallait pas l’égarer ni le vendre, à aucun prix.

— Vous l’avez toujours ?

— Oui. Il est là-bas, à la maison.

— Savez-vous pourquoi il y tenait ?

— Il affirmait que l’os tenait la maison debout et la famille à l’abri.

— Quelle taille fait un os pénien de chat ? demanda Mordent.

— Comme ça, dit Danglard en espaçant les doigts de deux à trois centimètres.

— Ça ne tient pas une maison, dit Justin.

— C’est symbolique, dit Mordent.

— Je m’en doute, dit Justin.

Adamsberg secoua la tête, sans repousser les cheveux qui lui retombaient dans les yeux.

— Je pense que cet os de chat a une valeur plus précise pour celle qui l’a prélevé. Je pense qu’il s’agit du principe viril.

— Valeur contradictoire avec celle des vierges, objecta Mordent.

— Tout dépend de ce qu’elle cherche, dit Voisenet.

— Elle cherche la vie éternelle, dit Adamsberg. Et c’est le mobile.

— Je ne saisis pas, dit Estalère après un silence.

Et pour une fois, ce que ne saisissait pas Estalère correspondait à l’incompréhension de tous.

— À la même période que la mutilation du chat dit Adamsberg, on trouve un pillage de reliquaire dans l’église du Mesnil, à quelques kilomètres d’Opportune et de Villeneuve. Oswald avait raison, c’est trop pour une seule région. Dans ce reliquaire, le pilleur n’a pris que les quatre os humains de saint Jérôme et a laissé sur place un os de groin de porc et quelques os de mouton.

— Un connaisseur, fit remarquer Danglard. Il n’est pas évident de reconnaître un os de groin de porc.

— Ça a un os dans le groin, le porc ?

— Il paraît, Estalère.

— Comme il n’est pas évident de savoir que le chat possède un os pénien. On a donc affaire à une connaisseuse, en effet.

— Je ne vois pas le lien, dit Froissy, entre les reliques, le chat et les sépultures. Hormis qu’il y a des os dans les trois cas.

— Ce qui n’est déjà pas si mal, dit Adamsberg. Reliques de saint, reliques de mâle, reliques de vierges. Dans le presbytère du Mesnil, à deux pas de saint Jérôme, existe un très vieux livre, exposé à la vue de tous, où ces trois éléments se retrouvent, dans une sorte de recette de cuisine.

— Plutôt une médication, un remède, rectifia Danglard.

— Pour quel usage ? demanda Mordent.

— Pour fabriquer la vie éternelle, avec des quantités de trucs. Chez le curé, le livre est ouvert à la page de cette recette. Il en est très fier, je pense qu’il le montre à tous ses visiteurs. De même le curé précédent, le père Raymond. La recette doit être connue jusqu’à trente paroisses à la ronde et depuis plusieurs générations.

— Pas ailleurs ?

— Si, dit Danglard. L’ouvrage est célèbre, et surtout cette prescription. Il s’agit du De sanctis reliquis, dans son édition de 1663.

— Je ne connais pas, dit Estalère.

Et ce que ne connaissait pas Estalère correspondait à l’ignorance de tous.

— Je n’aimerais pas avoir la vie éternelle, dit Retancourt à voix basse.

— Non ? dit Veyrenc.

— Imagine qu’on vive éternellement. On n’aurait plus qu’à se coucher par terre en s’ennuyant à crever.

— Réjouissons-nous, madame.

Le temps de vie s’enfuit comme un été, Mais il est moins cruel qu’un brin d’éternité.

— On peut le dire comme ça, approuva Retancourt.

— Si bien que cela vaudrait la peine d’analyser ce bouquin, c’est cela ? dit Mordent.

— Je le crois, répondit Adamsberg. Veyrenc se souvient du texte de la recette.

— De la médication, corrigea une nouvelle fois Danglard.

— Allez-y, Veyrenc, mais allez-y doucement.

— Remède souverain pour le prolongement de la vie par la qualité qu’ont les reliques d’affaiblir les miasmes de la mort, préservé depuis les plus vrais procédés et purgé des erreurs anciennes.