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Il faisait une chaleur caniculaire. Le piétinement nombreux du cortège était dominé par la douleur de Bérurier, et l’on entendait parfois ses hurlements qui n’étaient pas sans évoquer l’approche d’une harde de loups. Il avait le chagrin aussi copieux que sa personne et il pleurait comme il mangeait, avec autant d’appétit et de persévérance. Chemin faisant, les gens se sont mis à deviser. On a parlé de mes qualités, de mes mérites, de ma beauté, puis, comme il faisait de plus en plus chaud et de plus en plus soif, on a commencé à m’en vouloir secrètement de cette marche forcée et, tout doucettement, on a dérivé sur le chapitre de mes défauts. Certains affirmaient que j’avais « mon » caractère, d’autres insinuaient que j’étais un coureur de cotillon. Mon « courage indomptable » est très vite devenu de la « sotte témérité », ma « générosité proverbiale » de la « crânerie », mon « sex-appeal » s’est changé en « mines de bellâtre », mes succès policiers s’étaient transformés en une « chance insolente  », ma popularité en « caprice de journalistes », bref, lorsque nous sommes arrivés au cimetière j’avais l’impression qu’on portait en terre l’ordure la plus affirmée, l’individu le plus abject, le salaud le plus notoire et le flic le plus faisandé de l’histoire humaine. Heureusement pour moi, j’ai une bonne dose de philosophie et je me consolais en pensant que j’étais vivant, donc apte à déguster le soleil, les filles et le beaujolais de l’année.

Seulement, les gars, si je vivais encore, ça n’était pas la faute à certains foies blancs qui, depuis plus de deux mois, essayaient de m’expédier chez l’ami saint Pierre avec un bath éclairage au néon au-dessus de la tête.

M’abattre paraissait être devenu pour eux une sorte d’espèce de sacerdoce. Comme disait un curé de mes amis : ma soutane et ma barrette remplacent une voiture parce que mes vêtements ça sert d’auto !

À quatre reprises, ces mystérieux ennemis avaient tenté de m’assaisonner au sirop de plomb.

Tout avait commencé un soir, alors que je rentrais chez moi. Comme je déhottais de ma tire pour ouvrir ma grille, un zouave était sorti de l’ombre avec un appareil à aérer les tripes et m’avait balancé une rafale pour adulte.

Heureusement, j’avais entendu le petit bruit du cran de sûreté qu’on ôte, et je m’étais jeté derrière ma voiture juste à temps pour éviter le potage. Je m’étais fortement demandé qui avait eu pour ma pomme cette délicate attention. En général, mes ennemis se trouvaient sous les verrous et puis jamais les truands n’usent de représailles contre un poulardin.

Huit jours s’étaient écoulés à la suite de cette chaude alerte. Je commençais d’oublier la mésaventure, quand un coup fourré vachement sévère s’était produit. Cette fois-ci j’avais dû la vie, non plus à mes réflexes, mais à un miracle. Je cours chercher une balance et je pèse mes mots, les gars, je dis bien : à un miracle. Ce miracle-là n’est pas homologué par le Vatican et c’est bien dommage.

Figurez-vous qu’étant exceptionnellement à la maison pour déjeuner, j’avais laissé ma charrette devant la porte. Dans l’après-midi, je m’apprêtais à la récupérer lorsque mon voisin d’à côté, un vieux chpountz ramolli qui conduit comme une savate éculée, bigorne l’avant de ma chignole avec sa traction. Dégâts considérables. Ça se voyait comme un chancre mou sur le visage de Sophia Loren que ma voiture était groggy. J’aurais eu meilleur compte d’essayer de me déplacer avec la table à repasser de Félicie plutôt qu’avec ce zinzin plein de roues. J’ai donc bigophoné au dépanneur du coin pour lui dire de venir quérir mon auto. Il est venu tandis que nous échangions l’adresse de nos assureurs, le voisin et mézigue. Il a ouvert la portière de mon os. Et ce faisant, il a actionné le détonateur qu’un vicieux y avait aménagé pendant que je tortorais la bonne bouffe de m’man. La charge de plastic se trouvant à bord était suffisante pour faire sauter Versailles. On avait retrouvé la tête du malheureux dans le jardin d’à côté et ses valseuses dans un des platanes de l’avenue, ce qui constitue une sacrée panne pour un dépanneur, non ? Vous mordez ce qui me serait arrivé si mon voisin gâteux n’avait pas été aussi branque ?

Troisième manifestation de mes ennemis fantômes. La plus sérieuse pour ma santé. Je sortais du ciné un soir, au bras d’une charmante blonde que je savais brune depuis peu de temps, et je lui roulais dans une impasse la supergaloche à muqueuse compensée, lorsqu’un zig était venu me tirer trois bastos dans le dossard. La première avait glissé sur mon omoplate, la deuxième m’avait arraché un copeau de bidoche et j’étais parvenu à éviter la troisième en balançant un coup de latte en arrière, un coup de latte heureux puisque mon agresseur l’avait bloqué dans les claouis. Je m’étais offert quinze jours de clinique vite fait sur le gaz. Le Vieux, que ces agressions foutaient en renaud, avait mis sur l’affaire ses meilleurs limiers, mais l’enquête n’avait rien donné.

Vous le savez tous, et si vous ne le savez pas c’est que vous êtes beaucoup plus truffes que je ne suppose, mais un meurtrier n’est découvert que grâce aux liens qui, avant le meurtre, l’attachaient à sa victime. Dans mon cas, il paraissait n’y avoir aucun lien. Des gens que je ne connaissais pas voulaient ma mort. C’était aussi simple et aussi terrible que cela.

Après mon séjour à l’hosto, inutile de vous dire que j’avais fait gaffe. C’est une désagréable impression, vous savez, de sentir que chaque goulée d’air que vous respirez agace quelqu’un. Pendant une dizaine de jours j’avais vécu sur les nerfs. Je ne pouvais pas croiser un passant sans m’attendre à ce qu’il tire une pétoire de ses fouilles. Le moindre bruit me faisait sursauter. Lorsque je montais dans ma chignole, j’avais le cœur qui se détraquait. Un vrai calvaire. Je maigrissais, je pâlissais, j’étais nerveux. Félicie, quant à elle, devenait dingue. Je m’efforçais de la calmer. Mais allez donc rassurer quelqu’un lorsque vous-même vous sucrez les fraises comme un centenaire qui se serait servi toute sa vie d’un marteau pneumatique, hmm ?

Une quatrième agression avait été commise sur ma personne.

Un matin, je balisais mes joues sur lesquelles devaient se poser une escadrille de baisers (cette fois je fréquentais une rousse que je savais rousse) lorsque quelque chose était entré dans la salle de bains par la petite fenêtre ouverte. Nouveau miracle : le projectile était tombé dans la baignoire que je n’avais pas encore vidée. Il avait explosé car il s’agissait d’une grenade, la baignoire avait été fendue en deux, mais le gars mézigue s’en était tiré et il était resté immobile comme une truffe, les pieds dans une brusque inondation, son Sunbeam vrombissant à la main.

Félicie avait perdu connaissance et il m’avait fallu un demi-litre de vinaigre pour la ranimer. J’avais ensuite téléphoné au Vieux.

— San-Antonio, m’avait-il déclaré, cette fois ne bougez pas, ne vous montrez pas : vous êtes mort ! Je vais faire le nécessaire. Mais il faut que seuls votre mère et moi soyons au courant. Ayant officiellement cessé d’exister, vous aurez si je puis dire les mains libres.

De prime abord, l’idée m’avait paru idiote. En outre, mon esprit combatif s’accommodait mal de cette solution. J’avais protesté, mais le Vieux m’avait montré les dents de son râtelier neuf.

— Ne faites pas le malin, mon cher. Le Bon Dieu lui-même se lasse de faire des miracles. Si nous ne rusons pas, vous serez mort, vraiment mort d’ici peu de temps. Vous le savez ?

Je le savais.

— Pensez au moins à votre mère !

J’y avais pensé.