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CHAPITRE II

Quand je rentre au pavillon, après m’être donné une ultime bénédiction, la maison a pris un aspect plus normal.

On a enlevé les tentures, le catafalque et les fleurs. Il ne subsiste, de franchement mortuaire, que le cousin Hector et la cousine Adèle, tous voiles noirs dehors.

Totor se croit déjà chez lui. Il circule dans la maison comme en pays conquis. Il m’agace à un poing !

Je chope m’man à l’écart.

— Si tu ne t’arranges pas pour faire fuir ce minable, m’man, menacé-je, je vais lui démonter la figure pièce par pièce et jeter les morceaux à la poubelle.

Ma brave Félicie est effondrée. Son culte de la famille, vous savez bien ! Elle est d’un stoïcisme forcené, m’man. Moi, je me marre quand je vois représenter les anges avec des bouilles de petites pédales en liquette. Les anges, c’est Félicie et les autres vieilles de son acabit.

— Écoute, mon grand, vu les circonstances, on ne peut guère…

Mais je reste intraitable.

— J’ai assez d’emm… comme ça, m’man. S’il faut encore que je me tape le numéro de chef de famille d’Hector, c’est la fin de tout !

Pauvre Félicie, je la plonge dans les angoisses ! Elle est toute pâle. Que de tracas, que d’ennuis ! Ah ! ce n’est point drôle d’être la mother du flic le plus repéré de France !

Elle s’approche d’Hector, un tendre sourire aux lèvres. M’man, c’est toute la douceur, toute la miséricorde du monde.

— Écoutez, Hector, vous vous êtes dépensé sans compter ces deux jours, il faut que vous rentriez chez vous, maintenant, pour prendre du repos.

— Il n’est pas question de vous laisser seule ! qu’il rétorque le rat de burlingue, en montrant les touches jaunes qui lui servent de clavier universel.

Quand je vous disais que cézigue se prend pour Astra. L’homme qui remplace le beurre, c’est lui !

— Mais je ne suis pas seule, répond mollement ma pauvre Félicie. Vous voyez : j’ai cousine Adèle qui va rester quelques jours ; et puis… Achille, mon beau-frère !

Je mate Hector à la dérobée. Une bouille comme la sienne, faut être végétarien et faire des cauchemars pour pouvoir l’inventer. Elle est étroite et plate, jaunasse, terne. C’est une tête de salaud triste. On le voit surtout à sa bouche qu’il est fumier. Pas de lèvres : des plis. Les commissures tombent, et il a un étrange rictus. On comprend, au premier regard qu’il est gratte-papelard-mal-payé, que ses chefs l’emmerdavent, qu’il fait pisser le sang à ses subordonnés, qu’il est jaloux, qu’il a le foie détraqué, qu’il est encore vierge, qu’il le regrette et que, s’il devenait manchot, il ne pourrait plus faire l’amour.

— Ma chère Félicie, gazouille ce sale oiseau, je me permets de penser que ma présence ici est indispensable. Vous allez avoir à faire face à des difficultés que je me crois particulièrement qualifié pour…

Sa voix ressemble à un filet de vinaigre sur plaque chauffée à blanc.

C’est là que le gars San-A. ne peut plus se contenir. Kif-kif le Belge de la Brabançonne, le v’là qui sort du tombeau.

— Dites, mon bon ami, fais-je derrière mon binocle. Moi je me crois particulièrement qualifié pour vous dire que vous devriez attraper une bonne éponge et vous effacer.

Il ouvre sa bouche comme un jeu de tonneau et me défrime avec incrédulité.

— Vous avez exactement le parler et les manières de ce pauvre Antoine, grince-t-il.

— J’en suis persuadé.

— Pourtant, monsieur, se rebiffe le grain de courge, j’ai la faiblesse de croire que mon rôle dans cette maison est dorénavant d’importance.

— C’est en effet une faiblesse de penser ça, mon garçon, je lui virgule à bout portant dans les trompes, bien à l’abri de mon personnage d’ancien militaire.

Et d’enchaîner illico :

— Depuis ce matin, je vous regarde agir et je préfère vous le dire afin qu’aucune équivoque ne subsiste, vos manières ne me plaisent pas !

— Ah non ?

— Anon vous-même ! Vous prenez des attitudes de conquérant qui me défrisent. On vous voit bourdonner dans cette maison comme une mouche à m… et vous réussissez le tour de force d’être simultanément la mouche et la m…

— Monsieur ! glapit Totor. Si je ne respectais le grand malheur de ma cousine Félicie, je…

— Vous quoi ?

Hector se tait avec l’air de se demander ce qu’au fait il ferait.

— Un duel, peut-être ? ricané-je. Au sabre d’abordage ou à la fronde électronique ?

Le cousin a un haussement d’épaules.

— Puisqu’il en est ainsi, je préfère, en effet, me retirer. Ma pauvre Félicie, je reviendrai lorsque votre… beau-frère n’y sera plus. Mes respects, madame ! balance-t-il à Adèle, médusée par l’algarade.

Faut vous dire qu’elle est complètement miraude, Adèle. Derrière ses lunettes, ses yeux ressemblent à deux poissons exotiques qui regarderaient par le hublot d’un bathyscaphe.

— Au revoir, mon petit, qu’elle dit à Hector, mettant le comble à l’anéantissement du cousin.

Et voilà le bilieux Totor parti. On se sent tout de suite plus à l’aise. Bien sûr, il reste encore la vertueuse Adèle, mais m’man lui prête son chapelet des dimanches et Adèle nous tire une rafale de Pater et d’Ave à bout portant. On la laisse à ses dévotions et j’entraîne ma brave femme de mère dans la pièce voisine.

— Tout s’est bien passé, non ? je rigole.

Félicie demeure soucieuse.

— C’est un sacrilège, Antoine. J’ai souffert mille morts ! Tous ces gens en larmes qui venaient me congratuler… Ah ! tu es aimé, mon grand !

J’embrasse m’man.

— Quand cette histoire sera classée, je t’emmènerai sur la Côte passer une quinzaine.

C’est toujours le même topo. Quand je la vois dans la peine je lui fais cette promesse et ça mord à tous les coups, bien que je ne puisse la réaliser qu’une fois sur dix, hélas ! car l’homme propose et le Vieux dispose.

— Que vas-tu faire maintenant ? me demande-t-elle.

J’essuie mon binocle.

— Franchement je n’en sais rien, ma poule. Me voilà libre et disponible, mais j’ignore par quel bout je vais choper cette ténébreuse affaire. Enfin, l’essentiel est que nous soyons en sécurité tous les deux.

Comme j’achève ces mots, on se met à tabasser la lourde. Je vais ouvrir et je me trouve naze à naze avec Hector.

— Je croyais vous avoir dit de filer ! meuglé-je.

— Mais, mais, bredouille le sous-chef de bureau en bavant sur sa cravate noire.

— Y a pas de mais, bonsoir !

Et je lui claque la lourde au pique-brise.

Dans ma Ford intérieure, comme disait un de mes amis, je suis confusément confus ; après tout, Hector, c’est mon cousin, non ?

C’est pas parce qu’il a des pensées couvertes de pustules comme de la peau de crapaud qu’il faut le jeter à la poubelle telle une boîte de camembert vide.

Voilà-t-il pas qu’il refrappe !

Je rouvre, toute ma pitié envolée.

— Vous en avez assez dit, bramé-je. J’espérais que vous l’aviez compris !

À nouveau le panneau de la porte fait entendre sou boum vibrant.

— Tu ne devrais pas le chasser ainsi, soupire Félicie, ça me fait de la peine, tu sais…

— Tu ne vois donc pas qu’il s’accroche ?

Toc ! Toc !

C’est encore cet endoffé. J’hésite entre : lui filer un seau d’eau dans le portrait, lui faire manger son chapeau à bord roulé, le déculotter et l’asseoir dans le bassin du jardin, lui lire les œuvres complètes de Jules Romains, et lui savater le bas des reins jusqu’à ce qu’il ait l’épine dorsale qui lui sorte par les trous de nez.