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— T’es un fortiche en carton ondulé, Pierrot, lui dis-je. Tu t’es laissé manœuvrer par ta fille comme une nouille. Ta valoche à double fond ne servait pas à transbahuter de la drogue, mais des documents. La drogue, ils en trouvaient sur place autant que tu en désirais, car pour eux le pognon ne comptait pas. Des espions, mon petit Pierrot.

« Ta mouflette, c’est la Mata-Hari du pauvre. Elle va finir dans la rosée de Vincennes, un de ces matins.

Elle est écroulée, Marion. C’est le grand choc. Devant papa, elle met les pouces. Sans difficulté, elle nous avoue son appartenance au réseau. Bijou n’était pas son amant, mais son chef. L’autre nuit, il savait que j’étais là et ils ont chiqué la comédie de l’amour exprès pour me donner le change.

Alors, on assiste à un incident surprenant. Pierrot-Gourmand bondit sur la fille et se met à lui refiler une avoinée soignée. Il cogne à poings fermés, comme dort Béru quand il va à la Comédie-Française voir les trois Coriaces se chipoter avec les trois Voraces.

Le Vieux s’écrie, effaré :

— Arrêtez ! Mais empêchez-le, voyons !

— Laissez, patron, fais-je. C’est son père, et il a le droit de lui administrer le premier châtiment !

Béru, ravi, sort de sa poche une belle blague à tabac toute neuve et s’en roule une sans perdre une miette du spectacle.

Il est déchaîné, le vieux truand de Pierrot.

— Malheureuse ! écume-t-il. Bouffer de ce pain-là avec l’éducation que je t’ai donnée ! Faire ça à un père qui s’est farci la croix de guerre à Verdun avant de devenir caïd ! T’as pas honte, dis, t’as pas honte ! On est français dans notre famille. On a peut-être des casiers judiciaires qui ressemblent à des chiottes de caserne, mais le patriotisme on ne plaisante pas avec…

La môme demande pardon. Elle s’est laissée entraîner… Elle ceci, elle cela.

Je me lève.

— Si vous permettez, monsieur le directeur, je vais aller récupérer ma brave femme de mère qui doit se morfondre parmi ses religieuses.

— Je vous en prie, dit le Vieux. Mais soyez là en fin de journée, M. le ministre tient à vous serrer la main.

— Serrez-la-lui pour moi, fais-je. En fin de journée, je serai sur la route avec maman ; elle a bien mérité quelques jours de vacances avec son garnement, non ?

— Je t’accompagne, décide Bérurier. Je tiens à y présenter mes respects.

CONCLUSION

La sœur tourière nous conduit, le Gros et moi, jusqu’au parloir où nous attend la Supérieure. Béru a pris une mine recueillie. Il tient son chapeau à la main et il a remonté le nœud de sa cravate, ce qui est malaisé vu qu’elle ne se compose plus que d’un nœud depuis qu’elle a servi à des essais d’artificier.

Je m’incline devant la religieuse. Elle m’apprend que maman se porte bien et qu’elle achève de préparer sa valise.

Effectivement, la porte s’ouvre et ma chère Félicie paraît. Je m’élance et je la serre très fort dans mes bras.

— Ma poule, je murmure, la voix enrouée par l’émotion. Ma petite poule, ça y est, le cauchemar est terminé. On va se prendre quelques jours de vraies vacances tous les deux.

Béru sanglote. Il s’avance pour embrasser Félicie, mais il glisse sur le parquet trop encaustiqué et s’étale lourdement. La Supérieure cherche à réprimer son hilarité. Le vocabulaire du Gros l’aide du reste à retrouver son sérieux.

— C’est la faute à ce p… de parquet, n… de D… ! vocifère le Gros.

Il s’avise alors de l’énormité de ce qu’il profère, du lieu où il se trouve et, assis sur le plancher luisant, il balbutie en reboutonnant sa braguette béante :

— Mande pardon, ma sœur, mais c’est plus fort que moi : je deviens mal embouché chaque fois que je me casse la gueule !

FIN