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Elle est noyée, la malheureuse, dans ce flot de calembredaines. Faut la comprendre, Adèle, voilà cinquante berges qu’elle ne ligote que son bulletin paroissial et les romans culs-soutanés de Prière Lhermine. À la longue, ça finit par lui scléroser la comprenette.

— Je pensais, plaide-t-elle, que la ferveur nécessitait un absolu recueillement.

— Que nenni, lui rétorqué-je en italien, car je parle couramment le pakistanais sous-développé. La ferveur, chère demoiselle Adèle, c’est comme les produits d’entretien : faut la secouer avant de s’en servir.

Rassurée, la voilà qui démarre vers sa piaule. Je vais avoir la paix un moment. Je me convoque pour une conférence au sommet et je décide d’écrire noir sur blanc un bref résumé de ce que je sais et de ce que j’ignore à propos de cette super-ténébreuse affaire.

Rien de tel que de s’écrire parfois pour faire le point de la situation. Il n’est pas bon de cesser toute correspondance avec soi-même. On finit par ne plus se fréquenter, et par s’oublier tout à fait.

Je sors de son étui mon I.B.M. grand sport, à turboréacteur fonctionnant sans mayonnaise, et je colle dans le chariot une feuille de papier aussi vierge qu’Adèle.

J’écris d’un index agile de collégienne-mal-renseignée-en-contemplation-devant-la-photo-de-Luis-Mariano : Premièrement (en latin, primo) : on veut me tuer.

Deuxièmement : on y tient au point de m’attenter à quatre reprises plus un tombé.

Troisièmement : on croit m’avoir tué.

Quatrièmement : malgré mon décès on met le feu à ma maison.

Je contemple un bout de moment ce texte laconique. Puis, mon index se trouvant disponible après une brève incursion dans mes fosses nasales, je poursuis :

Hypothèses vraisemblables.

Je suis en possession d’un renseignement, d’un secret, d’une information ou d’une révélation (choisissez le mot qui convient et mettez les autres à l’abri de l’humidité car nos épithètes ne sont ni reprises ni échangées) dont je n’ai pas conscience. Et on m’a tué pour me faire perdre la mémoire. Dans ce cas, l’article de France-Soir va porter ses fruits, comme disait le commis d’un marchand de primeurs.

Ou bien il s’agit d’une tenace vengeance et, en ce deuxième cas, les tueurs ne se manifesteront plus.

Nouvel arrêt. Celui-ci est avec buffet, aussi m’octroyé-je une double rasade d’Horse on Wells, mon whisky préféré. Rien de tel que le whisky pour vous remettre le cœur en place et les idées par paquet de douze.

S’il s’agit d’une simple vengeance, il me sera plus aisé d’arriver à un résultat, car on peut dresser une liste de tous les mecs qui rêvent de vous arracher les yeux avec une fourchette à escargots, c’est une question de psychologie et de patience.

Mais s’il s’agit d’un coup fourré à grand spectacle, aussi coton que toute la Louisiane plus les bords du Nil, alors là… C’est désespérant, mes frères, de se dire qu’on détient un secret sans savoir au juste de quoi il retourne.

Je me penche sur mon récent passé. Je passe une revue de détail de mes dernières affaires, et, franchement, ça continue de donner zéro plus zéro.

J’en suis à peu près là de mes cogitations, à vingt centimètres près, lorsque ma Félicie surgit dans l’encadrement de la porte, un peu plus pâle qu’une endive mais un peu moins verte qu’un poireau.

— M’man ! je beugle en me précipitant, qu’est-ce qui t’arrive ?

Elle balbutie, mais c’est plus un soupir qu’un balbutiement :

— Viens vite ! Vite !

Je me précipite, m’man me désigne la petite chambre « à donner » au fond du vestibule. La porte en est ouverte. J’y cours. Et qu’aperçois-je, étendue sur le plancher ? Adèle. Notre pieuse Adèle, les bras en croix, avec une balle entre les carreaux.

La fenêtre est ouverte et c’est par-là qu’est entrée la dragée. Je me penche sur la cousine. Elle est morte, Adèle ! En général, ça se chante quand on est chlass, mais croyez-moi, je n’ai pas envie de le bramer, fût-ce en latin. Je fonce à la croisée pour mater l’extérieur. J’aperçois, au loin, un immeuble en construction. Je suis en mesure de vous parier les champs de ski de Hollande contre la marine de guerre suisse ou les Finances françaises qu’on a tiré depuis ce chantier au moyen d’une seringue à longue portée.

Je frémis en pensant que c’est à cause du Vieux que notre pauvre Adèle est cannée. Et je frémis plus encore en me disant que le tueur a commis une méprise et que c’était Félicie qui, logiquement, aurait dû morfler la bastos. Pauvre Adèle ! Elle était trop miraude pour avoir vu venir la mort et son passeport comportait tous les visas souhaitables pour le paradis, mais quand même. Mourir de cette manière-là quand on a passé sa vie dans des confessionnaux ou dans des presbytères, reconnaissez que c’est illogique, non ?

Je rejoins ma pauvre Félicie et je la réconforte de mon mieux. Elle est anéantie, la pauvre chérie. C’en est un tout petit peu trop pour elle.

— C’est un grand malheur, balbutie la chère femme. Un terrible malheur, Antoine.

Elle ne me fait pas de reproches, mais je sens qu’elle en a épais comme un édredon sur la patate.

Je l’entraîne au salon et je me dégrouille de tuber au Vieux.

— Ah ! c’est vous, mon cher, qu’il déclame le Tondu. Alors, des résultats positifs ?

— Extrêmement positifs, grincé-je. Vous pouvez refaire monter la bière, mais cette fois on ne mettra pas un sac de sable à l’intérieur.

Et, en termes véhéments, je lui bonnis l’histoire. Si vous croyez qu’il se frappe, c’est que vous avez un caramel à la place du cervelet. Il conserve son calme et ne se permet même pas une exclamation.

— Je suis navré, fait-il une fois que je me suis tu, et ce d’un ton qui dément fortement son affirmation. Sincèrement navré.

— Moi encore plus que vous, monsieur le directeur. Alors je vais vous demander deux choses, primo d’envoyer chercher ma mère et de la faire conduire dans un endroit où je peux être assuré de sa sécurité, un couvent, par exemple. Deuxio, de vous occuper des funérailles de ma brave cousine.

— Qu’allez-vous faire ? s’inquiète-t-il.

— Le nécessaire, rétorqué-je méchamment. Et je puis vous certifier que si ça ne donne aucun résultat, vous recevrez ma démission en bon uniforme, comme dit Bérurier.

Il répond banco, car il est fairplay.

Un quart de plombe plus tard, une voiture vient chercher Félicie. Je lui ai préparé moi-même sa valoche et m’man est tellement abattue qu’elle se laisse embarquer sans dire ouf. Le maigre cadavre d’Adèle est toujours sur le plancher. Je n’ai pas le courage de m’occuper de sa dépouille. Un sang nouveau alimente mes veines : le sang de la vengeance, mes amis ! Pour commencer, j’envoie balader mon maquillage. Je suis pas cabot. La vérité sans fard ! Toute la vérité. Résurrection, par San-Antonio, première époque. Au prochain spectacle nous programmerons : « la Vengeance de San-Antonio ».

Adieu perruque, moustache, faux sourcils, boules de caoutchouc, fringues surannées, décorations, jambe raide et tout !

Il se douche, San-A. Il se loque d’un costard aussi prince-de-galles que le fut M. Windsor, époux Simpson. Cravate en tricot noir. Pompes en daim noir. Il boucle son étui à cigares sous son bras. Il choisit dans sa collection personnelle un chouette instrument à guérir le hoquet. Il le dote d’un chargeur neuf. Il épingle sa plaque de poultok à son revers. Et il se sent prêt. Lazare, quoi, comme dirait Garcin (Garcin Lazare — il n’est pas fameux mais je m’en fous).

Il fait un soleil à ne pas mettre une motte de beurre dehors. Je fonce d’un pas déterminé jusqu’au petit hangar de cantonnier où deux poulets font le vingt-deux. Avant d’y parvenir, je me file des lunettes noires, larges comme celles de M. Marcel Achard, de l’Académie française par vocation, afin de ne pas leur cloquer le traczir.