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— Ça s’appelle les Nouvelles Psychiques, déclara Pepper.

— Ce ne sont pas des sorcières, répondit Wensleydale. Ma tante y est abonnée. Ce sont des histoires de petites cuillères qu’on tord et de bonne aventure, et de gens qui croient qu’ils ont été la reine Élisabeth I redans une autre vie. D'abord, il n’y en a plus, des sorcières. Les gens ont inventé les médicaments, et tout, et on leur a dit qu’on n’avait plus besoin d’elles et on les a brûlées.

— Il pourrait y avoir des photos de crapauds, des trucs comme ça, persévéra Brian qui n’aimait pas laisser perdre une belle idée. Etc et des études sur la tenue de route des balais. Et une rubrique sur les chats noirs.

— Et puis, ta tante est peut-être une sorcière, fit Pepper. En secret. Elle serait ta tante le jour et elle irait faire la sorcière la nuit.

— Ça m’étonnerait d’elle, répondit Wensleydale, lugubre.

— Et des recettes, fit Brian. Comment accommoder les restes de crapaud.

— Oh, ta boîte ! » lui dit Pepper.

Brian ronchonna. Si Wensley lui avait dit ça, ils se seraient vaguement battus, en copains. Mais les autres Eux avaient appris depuis longtemps que Pepper ne s’estimait pas tenue par les règles tacites des bagarres entre copains. Elle savait donner des coups de pied et de dents d’une précision physiologique confondante pour une gamine de onze ans. De plus, à onze ans, les Eux commençaient à être troublés par la notion confuse qu’en portant la main sur cette bonne vieille Pep ils feraient évoluer la situation vers des territoires d’exaltation auxquels ils n’étaient pas totalement acclimatés. Sans compter le risque d’une baffe décochée avec la vivacité du serpent, du genre à étendre Karaté Kid pour le compte.

Mais c’était une bonne recrue. Ils se souvenaient avec fierté de la fois où Boule-de-Suif Johnson et sa bande s’étaient fichus d’eux parce qu’ils jouaient avec une fille. Pepper avait explosé avec une fureur qui avait fait se déplacer la mère de Boule-de-Suif le soir même pour se plaindre 20 .

Du point de vue de Pepper, ce mâle géant était un adversaire naturel.

Elle avait pour sa part des cheveux roux et courts ; quant à son visage, plutôt que de dire qu’il portait des taches de rousseur, mieux valait reconnaître que c’était une grande tache de rousseur ponctuée de quelques zones de peau claire.

Pepper se prénommait Pippin Galadriel Fille-de-Lune. On l’avait baptisée au cours d’une cérémonie qui s’était déroulée dans une vallée boueuse, entre trois brebis souffreteuses et quelques tipis en polyéthylène poreux. Sa mère avait choisi la vallée de Pant-y-Heguenn comme site idéal pour un Retour vers la Nature. (Six mois plus tard, dégoûtée de la pluie, des moustiques, des hommes, des brebis qui avaient piétiné les tipis et dévoré, d’abord toute la récolte de marijuana de la communauté, et ensuite son minibus antédiluvien, et commençant désormais à comprendre pourquoi toute l’histoire de l’humanité se résumait à une tentative de s’éloigner le plus possible de la Nature, la mère de Pepper avait regagné Tadfield, à la surprise des grands-parents de Pepper, s’était acheté un soutien-gorge et s’était inscrite en fac de sociologie avec un profond soupir de soulagement.)

Une enfant prénommée Pippin Galadriel Fille-de-Lune n’a le choix qu’entre deux voies. Pepper avait opté pour la seconde; les trois Eux mâles l’avaient appris dès leur premier jour d’école, dans la cour de récréation, à l’âge de quatre ans.

Ils lui avaient demandé son nom et, en toute innocence, elle le leur avait dit.

Il avait ensuite fallu un seau d’eau pour desserrer les dents de Pippin Galadriel Fille-de-Lune de la chaussure d’Adam. La première paire de lunettes de Wensleydale avait été fracassée et le chandail de Brian avait nécessité la pose de quinze points.

Les Eux ne s’étaient plus quittés depuis, et Pepper était désormais Pepper, sauf pour sa mère et (quand ils se sentaient particulièrement braves et que les Eux étaient presque hors de portée de voix) pour Boule-de-Suif Johnson et ses Johnsoniens, la seule autre bande du village.

Adam battait des talons contre le bord de la caisse de lait qui faisait office de siège, écoutant ces menues chamailleries avec la majesté d’un roi supervisant les bavardages futiles de sa cour.

Il mâchouillait une paille. C’était un jeudi matin. La pureté infinie des vacances s’étirait devant eux. Il fallait la meubler.

Il laissa la conversation flotter autour de lui, pareille aux crissements des criquets. Plus précisément, il agissait comme le prospecteur qui guette une lueur d’or dans les remous du gravier.

« Dans le journal de dimanche, on disait qu’il y a des milliers de sorcières dans le pays, fit Brian. Elles adorent la Nature et elles mangent des produits diététiques. Alors je vois pas pourquoi on n’en aurait pas une ici. Le pays est noyé sous la Déferlante Irrésistible de leurs Maléfices, qu’ils disaient.

— Comment elles font, si elles adorent la Nature et quelles mangent des trucs diététiques ? demanda Wensleydale.

— C’était marqué comme ça. »

Les Eux y réfléchirent comme il se devait. Une fois – à l’instigation d’Adam –, ils avaient suivi un régime diététique pendant tout un après-midi. Ils en avaient conclu qu’on peut très bien survivre en mangeant des produits sains, du moment qu’on a fait auparavant un bon déjeuner bien mitonné.

Brian se pencha en avant avec des airs de conspirateur.

«  Et on disait qu’elles dansent partout sans leurs affaires, ajouta-t-il. Elles vont sur des collines, ou à Stonehenge ou comme ça, et elles dansent toutes nues. »

Cette fois-ci, la réflexion fut plus profonde. Les Eux avaient atteint le moment où, si l’on veut, le Grand Huit de la Vie est presque parvenu au faîte de la première côte de la Puberté, si bien qu’ils voyaient la descente périlleuse commencer devant eux, pleine de mystères, de terreur et de courbes provocantes.

« Hum, fit Pepper.

— Pas ma tante, déclara Wensleydale en rompant le charme. Certainement pas ma tante. Elle essaie juste de parler à mon oncle.

— Il est mort, ton oncle, dit Pepper.

— Elle prétend qu’il continue à bouger des verres, se défendit Wensleydale. Mon papa dit que c’est en les bougeant sans arrêt qu’il est mort, pour commencer. Je ne sais pas pourquoi elle tient à lui causer, ajouta-t-il. Ils ne se causaient jamais beaucoup de son vivant.

— C’est de la nécromancie, voilà ce que c’est, lança Brian. On en parle dans la Bible. Faut qu’elle arrête. Dieu, Il aime pas du tout ça, la nécromancie. Et les sorcières non plus. C’est des trucs à aller en Enfer. »

Il y eut un changement de position nonchalant sur le trône/caisse à lait. Adam allait parler.

Les Eux se turent. Adam avait toujours des choses intéressantes à dire. Au tréfonds de leur cœur, les Eux le savaient : ils n’étaient pas une bande des quatre, mais une bande des trois, sous les ordres d’Adam. Cependant, si on cherchait des activités passionnantes, palpitantes et des journées bien remplies, alors les Eux auraient abandonné le commandement de n’importe quelle bande pour une position subalterne dans celle d’Adam.

« Je vois pas ce que tout le monde a contre les sorcières », fit Adam.

Les Eux se regardèrent. Voilà un début prometteur.

« Ben, elles font pourrir les récoltes, dit Pepper. Et couler les bateaux. Et puis elles t’annoncent quand tu vas être roi, des trucs comme ça. Et elles préparent de la soupe avec des herbes.

— Ma maman se sert d’herbes, répondit Adam. La tienne aussi.

— Oh oui, mais ces herbes-là, ça va », attaqua Brian, résolu à ne pas céder sa position d’expert en occultisme. « La menthe, la sauge et tout, je suppose que c’est autorisé par le bon Dieu. Forcément ; la menthe et la sauge, y a rien de mal à ça.

— Et elles peuvent te rendre malade rien qu’en te regardant, poursuivit Pepper. Ça s’appelle le Mauvais Œil. Elles te regardent et tu tombes malade, et personne sait pourquoi. Ou alors, elles font une poupée qui te ressemble et elles plantent tout un tas d’aiguilles dedans, et tu tombes malade là où elles enfoncent les aiguilles, ajouta-t-elle d’un ton guilleret.