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— Ça n’existe plus, des choses comme ça, répéta le cartésien Wensleydale. Parce qu’on a inventé la science et que tous les curés ont brûlé les sorcières, pour leur propre bien. On a appelé ça l’Inquisition espagnole.

— Alors, il me semble qu’on devrait chercher à savoir si celle du cottage des Jasmins est une sorcière et, dans ce cas, on devrait prévenir M r Pickersgill », dit Brian. M r Pickersgill était le pasteur. Pour l’heure, il était en froid avec les Eux pour des motifs allant de l’escalade des ifs du cimetière jusqu’aux sonneries de cloches aggravées de fuites à toutes jambes.

« Ça m’étonnerait qu’on ait le droit de mettre le feu aux gens, jugea Adam. Sinon, tout le monde le ferait.

— Y a pas de problèmes quand on est curé, le rassura Brian. Et puis ça évite aux sorcières d’aller en Enfer, alors je suppose qu’elles seraient bien contentes si elles comprenaient.

— J’imagine pas Picky en train de mettre le feu à quelqu’un, fit Pepper.

— Oh, chais pas, répondit Brian sur un ton lourd de sous-entendus.

— Pas mettre le feu lui-même, renifla Pepper. Il est plus du genre à cafarder aux parents et à leur laisser décider s’il faut mettre le feu ou pas. »

Les Eux hochèrent la tête, écœurés par la dégradation actuelle de la notion de responsabilité chez les autorités ecclésiastiques. Puis les trois autres braquèrent des regards expectatifs vers Adam.

Ils se tournaient toujours vers Adam en pareil cas. Invariablement, c’est lui qui trouvait les idées.

« Faudrait p’t-être s’en charger nous-mêmes, dit-il. Faut bien que quelqu’un fasse quelque chose, s’il y a tant de sorcières partout. C’estc c’est comme ces histoires de Comités de Quartier.

— Un Comité d’Écarteler, suggéra Pepper.

— C’est nul, jugea Adam, glacial.

— Mais on ne peut pas être l’Inquisition espagnole. On n’est pas Espagnols, protesta Wensleydale.

— Je suis sûr qu’il faut pas être espagnol pour faire partie de l’Inquisition espagnole, répliqua Adam. Je parie que c’est comme les douches écossaises ou les sauces hollandaises. Il suffit d’avoir l’air espagnol. On n’a qu’à faire comme si on était Espagnols. Alors, tout le monde saura qu’on est l’Inquisition espagnole. »

Il y eut un silence.

Il fut rompu par le froissement d’un des paquets de chips vides qui s’accumulaient partout où s’asseyait Brian. Les autres le regardèrent.

« J’ai une affiche de corrida, et y a mon nom dessus », annonça-t-il d’une voix lente.

L’heure du déjeuner s’en vint et s’en fut. La nouvelle Inquisition espagnole reprit sa session.

L’Inquisiteur en chef examina l’objet d’un œil critique.

« C’est quoi ? demanda-t-il.

— On les fait claquer quand on danse », expliqua Wensleydale, légèrement sur la défensive. « C’est ma tante qui a ramené ça d’Espagne, il y a des années. On appelle ça des maracas, je crois. Y a même une image de danseuse espagnole, tu vois ?

— Pourquoi elle danse avec un taureau ? demanda Adam.

— C’est pour bien montrer que c’est espagnol », rétorqua Wensleydale. Adam n’insista pas.

L’affiche de corrida tint toutes les promesses de Brian.

Pepper avait une espèce de saucière en raphia.

« C’est pour poser les bouteilles de vin, jeta-t-elle sur un ton de défi. Ma mère a rapporté ça d’Espagne.

— Y a pas de taureau dessus, constata Adam avec sévérité.

— Y a pas besoin », repartit Pepper, adoptant discrètement sa position de combat.

Adam hésita. Sa sœur Sarah et son petit ami avaient été en Espagne, eux aussi. Sarah en était revenue avec un gros âne en peluche mauve qui, même s’il était indubitablement espagnol, ne manifestait pas tout à fait le cachet requis par l’Inquisition espagnole, telle qu’Adam la concevait. De son côté, le petit ami avait ramené une épée très ouvragée qui, malgré une propension à se tordre quand on la prenait en main et à s’émousser quand on voulait couper du papier avec, revendiquait son statut de lame en acier de Tolède. Adam avait passé une demi-heure fort instructive en compagnie de l’encyclopédie, et il avait la certitude que c’était exactement ce dont l’Inquisition avait besoin. Mais de discrètes allusions s’étaient révélées stériles.

Finalement, Adam avait prélevé un chapelet d’oignons dans la cuisine. Ils auraient très bien pu être espagnols. Mais même Adam devait admettre qu’en tant qu’ornements du siège de l’Inquisition, il leur manquait un petit quelque chose. Il n’était pas en position de force pour critiquer les porte-bouteille en raphia.

« Très bien, décréta-t-il.

— Tes sûr que ce sont des oignons d Espagne ? demanda Pepper en retrouvant une attitude plus détendue.

— Bien sûr. Les oignons d’Espagne, tout le monde connaît ça.

— Ils pourraient être français, s’entêta Pepper. La France est célèbre pour ses oignons.

— Ça fait rien », jugea Adam, que le sujet des oignons commençait à agacer. « La France, c’est presque l’Espagne, et puis ça m’étonnerait que les sorcières fassent la différence, si elles sont tout le temps dehors à voler, la nuit. Pour une sorcière, tout ça, c’est l’Incontinent. Et puis si ça te plaît pas, t’as qu’à aller faire ta propre Inquisition ailleurs. »

Pour une fois, Pepper n’insista pas. On lui avait promis le poste de Tortureuse en chef. L’attribution de celui d’Inquisiteur en chef ne faisait aucun doute. Wensleydale et Brian étaient moins fascinés par leur charge de Gardes de l’Inquisition.

« D'abord, vous connaissez pas l’espagnol, fit Adam, dont la pause repas s’était enrichie de dix minutes devant un manuel de conversation que Sarah, perdue dans une brume romantique, avait acheté à Alicante.

— Ça, ça fait rien, parce que, d’abord, il faut parler en latin, rétorqua Wensleydale, qui avait lui aussi employé sa pause repas à des lectures un peu mieux choisies.

—  Etl’espagnol, affirma Adam. C’est pour ça que ça s’appelle l’Inquisition espagnole.

— Je vois pas pourquoi on pourrait pas être une Inquisition britannique, intervint Brian. À quoi ça sert d’avoir repoussé l’invincible Armada et tout ça, si c’est pour avoir leur sale Inquisition ? »

Cette pensée avait également troublé la fibre patriotique d’Adam.

« Je crois qu’on ferait mieux de commencer espagnol, et puis, quand on sera bien au point, on deviendra l’Inquisition britannique. Et maintenant, ajouta-t-il, que la Garde de l’Inquisition aille chercher la première sorcière, porfavor . »

Ils avaient décidé que la nouvelle occupante du cottage des Jasmins attendrait. Ils allaient commencer petit et se développer au fur et à mesure.

« Es-tu une sorcière, olé ? demanda l’Inquisiteur en chef.

— Voui, répondit la petite sœur de Pepper qui, à six ans, était bâtie comme un petit ballon blond.

— Faut pas dire oui, faut dire non, siffla la Tortureuse en chef en donnant un coup de coude à la suspecte.

— Et après, y va m’arriver quoi ? s'enquit cette dernière.

— Après, on te torturera pour que tu dises oui. Je t’ai dit, ça va être marrant, la torture. Ça fait pas mal. Rasta la visa », ajouta-t-elle précipitamment.

La petite suspecte jeta un coup d’œil critique sur le décor du quartier général de l’Inquisition. Ça sentait distinctement l’oignon.

« Boh, fit-elle, moi, j ’veuxêtre une sorcière, avec un nez plein de verrues, pis la peau verte, pis un gentil chat, et je l’appellerai Noiraud, pis plein de potions etc »

La Tortureuse en chef adressa un signe de tête à l’Inquisiteur en chef.

« Écoute », expliqua Pepper, à bout d’arguments, « personne a dit que tu pouvais pas être une sorcière, mais faut pas le dire, c’est tout. C’est vraiment pas la peine qu’on se donne tout ce mal, ajouta-t-elle sur un ton plus sévère, si tu réponds oui dès qu’on te pose la question. »

La suspecte prit la chose en considération.