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Il inspecta les branches tombées qui encombraient l’étroite route vicinale. Je suppose, se disait-il, que personne ne songe au coût des réparations, quand on nous expédie ces tempêtes. Le conseil paroissial va devoir payer la facture pour dégager tout cela. Et c’est nous,les contribuables, qui payons leurs salairesc

Dans sa pensée, le ondésignait les présentateurs météo de Radio 4 50 , que R. R Tyler rendait responsables du temps.

Shutzi s’arrêta pour lever la patte contre un hêtre qui bordait la route.

R. R Tyler détourna les yeux, gêné. Certes, l’unique raison de cette promenade vespérale était de permettre au chien de se soulager, mais Tyler aurait préféré être pendu plutôt que de se l’avouer. Il leva les yeux vers les nuées d’orage. Elles étaient amassées en altitude, en tours vertigineuses de gris et de noirs troubles. Ce n’étaient pas seulement les langues dansantes des éclairs qui bifurquaient en leur sein comme pour la première séquence d’un film de Frankenstein ; c’était leur façon de s’interrompre net en atteignant les limites de Lower Tadfield. Et en leur centre résidait une tache ronde : le jour. Mais la lumière était étirée et jaune, comme un sourire forcé.

Il régnait un tel calme.

On entendit un grondement sourd.

Le long de la route de campagne arrivaient quatre motos. Elles dépassèrent R. R Tyler à vive allure et prirent le virage, dérangeant un faisan qui traversa la petite route en vrombissant, selon une parabole nerveuse de roux et de vert.

« Vandales ! » leur lança R. R Tyler.

La campagne n’était pas faite pour des gens comme eux. Elle était faite pour des gens comme lui.

Il tira sur la laisse de Shutzi, et ils poursuivirent leur chemin.

Cinq minutes plus tard, il prit le virage à son tour, pour trouver trois des motards debout autour d’un panneau indicateur abattu, victime de la tempête. Le quatrième, un grand gaillard à la visière impénétrable, était resté sur sa monture.

R. R Tyler jaugea la situation et sauta prestement sur la conclusion. Ces vandales – il avait vu juste, évidemment – étaient venus à la campagne pour saccager le Monument aux Morts et renverser les panneaux indicateurs.

Il se préparait à avancer sur eux avec toute la sévérité requise, quand il réalisa qu’ils avaient l’avantage du nombre, quatre contre un, qu’ils étaient plus grands que lui, et qu’il s’agissait sans le moindre doute possible de dangereux psychopathes. Dans le monde de R. R Tyler, seuls les dangereux psychopathes faisaient de la moto.

Aussi redressa-t-il le menton et entreprit-il de les dépasser d’un pas raide, apparemment sans remarquer leur présence, composant une lettre dans sa tête tout du long (Messieurs, J’ai constaté ce soir avec consternation qu’un grand nombre de blousons noirs en moto infestaient Notre Beau Village. Pourquoi, mais pourquoi notre gouvernement ne fiait-il donc rien pour réprimer cette épidémie quic).

« Salut », lança un des motards, relevant sa visière pour dévoiler un visage mince et une fine barbe noire soigneusement taillée. « On est comme qui dirait perdus.

— Ah, répondit R.P. Tyler avec désapprobation.

— Le panneau indicateur a dû être soufflé par la tempête.

— Oui, en effet, je suppose. » R.P. Tyler constata avec surprise qu’il commençait à avoir faim.

« Oui. Bref, nous faisions route vers Lower Tadfield. »

Un sourcil zélé se souleva. « Vous êtes américains. Vous faites partie de la base aérienne, je présume. » (Messieurs, lorsque j’ai accompli mon Service National, j’ai fait honneur à mon pays. Je constate avec dégoût et consternation que les aviateurs de la base aérienne de Tadfield parcourent nos nobles campagnes vêtus comme de vulgaires voyous. Quoique j’apprécie à sa juste valeur leur rôle éminent chaque fois qu’il est nécessaire de défendre la liberté du monde occidentalc)

Puis son amour des directives l’emporta. « Redescendez par cette route sur un kilomètre, ensuite prenez la première à gauche, elle est dans un état lamentable, je le crains, j’ai écrit lettre sur lettre au conseil municipal à ce sujet, êtes-vous au service de vos administrés, ou bien est-ce l’inverse ? leur ai-je demandé, après tout, qui paie vos salaires ? Ensuite, deuxième à droite, sauf que ce n’est pas à droite exactement, c’est à gauche, mais vous allez voir, la route finit par s’infléchir vers la droite, la pancarte indique Porrit’s Lane, mais ce n’est pas Porrit’s Lane, évidemment, si vous consultez une carte d’état-major, vous constaterez que c’est simplement l’extrémité est de Forest Hill Lane, vous aboutirez dans le village, ensuite, vous dépassez le Taureau et le Violon– c’est un débit de boissons – et après, quand vous arrivez à l’église (j’ai signalé aux gens qui s’occupent des cartes d’état-major que c’est une église dotée d’une flèche, et non d’un clocher, d’ailleurs j’ai écrit en ce sens à l' Échode Tadfield, pour leur suggérer de lancer une campagne locale afin de faire rectifier les cartes, et j’ai bon espoir : dès que ces gens verront à qui ils ont affaire, nous allons les voir battre précipitamment en retraite) ensuite, vous trouvez un carrefour, que vous traverserez tout droit, jusqu’à un deuxième carrefour, là, soit vous prenez la branche de gauche, soit vous continuez tout droit, mais dans les deux cas, vous atteindrez la base aérienne (encore que le trajet par la route de gauche constitue un raccourci qui vous fait économiser presque deux cents mètres). Vous ne pouvez pas vous tromper. »

Famine lui jeta un œil vitreux. « Jec euh, je ne suis pas certain d’avoir tout retenuc » commença-t-il.

Moi si. Allons-y.

Shutzi poussa un bref jappement et alla se réfugier derrière R.P. Tyler, où il demeura, tout tremblant.

Les étrangers remontèrent en selle. Celui qui était vêtu de blanc (un hippie, il en avait bien l’allure, se dit R.P. Tyler) laissa choir un paquet de chips vide sur l’herbe du bas-côté.

« Excusez-moi ! aboya Tyler. Ce paquet de chips est à vous ?

— Oh, non, pas seulement, répondit le jeune homme. Il appartient à tout le monde. »

R.P. Tyler se redressa de toute sa taille 51 . « Mon jeune ami, quelle serait votre réaction si je venais chez vous et que je renversais des détritus partout ? »

Pollution sourit d’un air rêveur. « Je serais ravi, absolument ravi, souffla-t-il. Oh, ce serait vraiment merveilleux. »

Sous sa moto, une flaque d’huile étala un arc-en-ciel sur la route humide.

Les moteurs grondèrent.

« Il y a quelque chose que je n’ai pas compris, demanda Guerre. Pourquoi faut-il faire un virage à 180‹en face de l’église ? »

Contentez-vous de me suivre, dit le plus grand, qui ouvrait la route. Et le quatuor s’en fut de conserve.

R.P. Tyler les regarda s’éloigner, jusqu’à ce que son attention soit attirée par un clacclacclacsoutenu. Il se retourna. Quatre silhouettes à bicyclette le dépassèrent à vive allure, suivies de près par la forme galopante d’un petit chien.

« Hé, vous là ! Arrêtez ! » s’écria R.P. Tyler.

Les Eux freinèrent net et orientèrent leurs regards vers lui.

« Je savais que c’était vous, Adam Young, ainsi que votre petitec humpf, cabale. Et, si je puis me permettre, que font des enfants dehors à cette heure avancée ? Vos pères savent-ils que vous n’êtes pas encore rentrés ? »

Le chef du peloton lui fit face. « Je vois pas comment vous pouvez dire qu’il est tard, dit-il. I’m’semble, i’m’semble que si le soleil est pas encore couché, alors il est pas tard.

— L’heure de vous coucher, vous, est passée, en tout cas, leur annonça R.P. Tyler, et je vous prie de ne pas me tirer la langue, jeune fille », cette remarque à l’adresse de Pepper, « si vous ne tenez pas à ce que j’écrive à madame votre mère pour l’informer de l’état lamentable et peu féminin des manières de sa progéniture.

— Euh, pardon, m’sieur », rétorqua-Adam, irrité, « mais Pepper vous regardait, c’est tout. Chavais pas qu’y a des lois qui interdisent de regarder. »

Il y eut du remue-ménage sur l’herbe de l’accotement. Shutzi, caniche nain particulièrement raffiné, comme en possèdent les gens qui n’ont jamais trouvé suffisamment de place dans leurs comptes domestiques pour ouvrir une rubrique ”enfants”, devait affronter les menaces de Toutou.