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Le sergent Thomas A. Deisenburger écarquilla les yeux.

«  Simples soldats »,siffla un autre général. À en croire son badge, elle s’appelait Guayre. Le sergent Deisenburger n’avait encore jamais vu de femme général qui lui ressemblât, mais elle représentait un indiscutable progrès.

« Hein ?

—  Simples soldats. Pas démons mineurs.

— Ouais, c’est ce que je voulais dire. Ouais, les simples soldats. Bien compris, sergent ? »

Deisenburger prit en considération le nombre très restreint d’options qui s’offraient à lui.

« Mon général, une inspection surprise, mon général ?

— Provisoiresquement classificationnée à l’heure qu’il est », confirma Famine, qui avait appris pendant des années à passer des marchés avec le gouvernement fédéral et qui sentait le jargon lui revenir en bouche.

« Oui, mon général, affirmatif, répondit le sergent.

— Bon élément, jugea Famine tandis que la barrière se levait. Vous irez loin. » Il jeta un coup d’œil sur sa montre. « Sous peu. »

Sur certains points, les êtres humains ressemblent beaucoup aux abeilles. Celles-ci défendent farouchement leur ruche, tant que vous êtes à l’extérieur. Une fois que vous vous trouvez dans la place, les ouvrières supposent plus ou moins que la direction a autorisé votre présence et elles ne font plus attention ; ce phénomène a permis à divers insectes pique-assiette de développer un style de vie riche en miel. Les humains se comportent de la même façon.

Personne n’empêcha le quatuor de pénétrer d’un pas résolu dans un long bâtiment bas hérissé d’une forêt d’antennes radio. Personne ne leur accorda un regard. Peut-être ne voyaient-ils rien du tout. Peut-être ne voyaient-ils que ce que leur esprit avait ordre de voir. Le cerveau humain n’est pas équipé pour voir la Guerre, la Famine, la Pollution et la Mort quand les Quatre ne tiennent pas à être vus, et il est devenu tellement doué pour ça qu’il réussit souvent à ne pas les voir alors qu’ils sont partout autour de lui.

Les systèmes d’alarme, étant dépourvus de tout cerveau, se dirent qu’ils voyaient des gens à un endroit où ils n’auraient pas dû être, et ils se déclenchèrent à fond les balais.

Newt ne fumait pas, car il n’autorisait pas la présence de nicotine ou d’alcool dans le temple sacré de son corps ou, soyons plus exact, dans le petit tabernacle méthodiste gallois en zinc de son corps. Sinon, il se serait étouffé avec la cigarette qu’il aurait allumée pour calmer ses nerfs.

Anathème se mit debout résolument et lissa les faux plis de sa jupe.

« Ne t’inquiète pas, dit-elle. Ça ne nous concerne pas. Il se passe probablement quelque chose à l’intérieur. »

Elle sourit de son teint verdâtre. « Allons, dit-elle, on n’est pas à OK Corral.

— Non. D'abord, parce qu’ils sont mieux armés, ici », répliqua Newt.

Elle l’aida à se relever. « Pas d’affolement, je suis sûre que tu trouveras une idée. »

Il était inévitable que tous quatre ne puissent pas contribuer d’égale façon, se dit Guerre. Ses propres affinités avec les systèmes modernes d’armement (qui se révélaient beaucoup plus efficaces que de simples morceaux de métal affûtés) l’avaient surprise. Pollution, bien évidemment, se riait de mécanismes garantis inviolables et infaillibles. Même Famine savait au moins ce qu’étaient les ordinateurs. Tandis quec eh bien, luine faisait pas grand-chose, à part rester planté là, bien qu’il le fît avec une classe certaine. Guerre avait parfois songé qu’un jour, on pourrait mettre un terme à la Guerre, un terme à la Famine, et peut-être même un terme à la Pollution. Voilà pourquoi le quatrième Cavalier, le plus grand de tous, n’avait jamais vraiment fait partie de la bande, pour ainsi dire. C’est comme d’avoir un percepteur dans son équipe de football. On préfère l’avoir dans son camp, évidemment, mais ce n’est pas le genre de personne avec qui on a envie de prendre un pot en bavardant un peu au bar après la rencontre. On ne peut pas se sentir cent pour cent à l’aise.

Deux soldats lui passèrent à travers tandis qu’il regardait par-dessus l’épaule maigrichonne de Pollution.

C’est quoi, tous ces petits machins qui brillent ? dit-il, du ton de celui qui sait qu’il ne comprendra pas la réponse, mais qui veut donner l’impression de s’intéresser.

« Des affichages à cristaux liquides en sept segments », répondit le jeune homme. Il posa des mains caressantes sur une console de relais qui fondirent à ce contact, puis introduisit une vague de virus autorépliquants qui prirent un vrombissant essor dans l’éther électronique.

« Je me passerais volontiers de ces foutues sirènes », grommela Famine.

La Mort claqua négligemment des doigts. Une douzaine de mugissements s’étranglèrent avant de trépasser.

« Je ne sais pasc Ça me plaisait bien, moi », fit Pollution.

Guerre plongea la main dans une armoire métallique. Elle n’avait pas envisagé la situation sous cet angle, elle devait le reconnaître, mais en laissant ses doigts glisser sur et parfois au travers des composants électroniques, elle retrouvait des sensations familières. Un écho de ce qu’on éprouve en brandissant une épée. Elle frissonna par anticipation en songeant que cette épée-ci couvrait le monde entier et une grande partie du ciel. Cette épée-ci l' aimait.

Une épée de flamme.

L’humanité n’avait jamais vraiment compris qu’il est dangereux de laisser traîner les épées, même si elle avait fiait le maximum dans la mesure de ses faibles moyens pour que l’emploi accidentel d’une si vaste épée devienne-très improbable. Très réconfortant. Il était agréable de constater que pour l’humanité, il y avait une différence entre destruction délibérée et destruction accidentelle de la planète.

Pollution plongea la main dans une nouvelle console d’électronique dispendieuse.

La sentinelle de garde devant le trou dans la barrière paraissait perplexe. L’énervement qui régnait sur la base ne lui avait pas échappé et sa radio ne semblait plus capter que des parasites, mais ses yeux revenaient invinciblement à la carte qu’il tenait devant lui.

Il avait vu beaucoup d’accréditations dans sa carrière — des militaires, la CIA, le FBI, et même le KGB. Mais il était encore jeune, et n’avait pas encore compris que plus une organisation est insignifiante, plus ses accréditations sont impressionnantes.

Celle-ci était fabuleusementimpressionnante. Il relut le texte en remuant les lèvres, commençant par « De par l’ordre pressant du Lord Protecteur du Grand Royaume de Bretagne », en passant par le passage où il était question de réquisitionner tous bois secs, cordes et huiles ignifères, jusqu’à la signature du premier Lord adjudant de l’Armée des Inquisiteurs, Louée-Soit-l’Œuvre-du-Seigneur-et-Ne-Succombons-Point-A-La-Fornication Smith. Newt maintenait résolument le pouce sur le passage qui évoquait les neuf pence par sorcière, et tentait de ressembler à James Bond.

Finalement, les pérégrinations intellectuelles de la sentinelle s’interrompirent sur un mot qui lui paraissait familier.

« C’est quoi, là, cette histoire comme quoi on doit vous donner des fagots 52  ?

— Oh, il faut nous les remettre, dit Newt. On les brûle.

— Vous pouvez répéter ?

— On les brûle. »

Le visage du garde fut élargi par un sourire. Et dire qu’on accusait les Anglais de laxisme. « Excellent ! » dit-il.

Quelque chose s’appuya dans le creux de ses reins.

« Lâchez votre arme, dit Anathème derrière lui, ou je vais beaucoup regretter ce qui va suivre. »

Ma foi, c’est la vérité, se dit-elle en voyant avec terreur l’homme se raidir. S’il ne lâche pas son arme, il va découvrir que je tiens seulement un bâton, et je vais beaucoup regretter qu’il me tire dessus.

Au portail principal, le sergent Thomas A. Deisenburger avait lui aussi des problèmes. Un petit homme en imperméable crasseux pointait sans arrêt le doigt vers lui en marmonnant, tandis qu’une dame qui ressemblait vaguement à sa mère lui parlait sur un ton pressant et n’arrêtait pas de se couper la parole en employant des timbres de voix différents.