Elle se contente de sangloter, il resserre sa poigne.
— Je veux une réponse.
— Oui, murmure-t-elle.
— Parfait, conclut-il en la lâchant enfin.
Elle continue de trembler, n’arrive plus à s’arrêter de pleurer. Il allume une clope, attendant qu’elle se calme.
Mais elle ouvre brusquement la portière et s’enfuit. Luc jette sa cigarette et s’élance à la poursuite de sa protégée. Elle quitte la route pour s’enfoncer dans le maquis, dévalant à toute vitesse une pente abrupte. On la croirait poursuivie par une armée de monstres.
Luc la rattrape en moins d’une minute. Il la saisit par le bras, elle se débat comme une hystérique. Il la ceinture et la soulève du sol.
— Lâche-moi !
— On se calme ! ordonne Luc.
Elle lutte quelques secondes jusqu’à ce qu’elle s’épuise et se noie dans ses propres larmes. Alors, il prend le risque de la libérer et reste assis près d’elle. Elle pleure encore et encore, il laisse passer l’orage, les yeux dans les nuages.
— Je suis désolé, dit-il enfin. Je n’aurais pas dû te parler comme ça… Mais tu as réussi à me faire péter les plombs ! ajoute-t-il avec un sourire un peu triste. Pourtant, c’est pas évident…
Il lui tend un kleenex.
— Tu sais, Maud, je ne vaux pas la peine que tu te mettes dans des états pareils. Je ne suis pas un mec pour toi… Tu mérites mieux que moi, je t’assure.
— J’y peux rien, murmure-t-elle. J’arrête pas de penser à toi. Depuis que je t’ai vu…
Il ramasse une pomme de pin et la mutile consciencieusement, arrachant une à une ses écailles.
— Je suis flatté…
Elle regarde ailleurs.
— Et puisqu’on en est aux confidences, faut que je te dise que moi aussi, je suis très attiré par toi.
Elle tourne la tête vers lui, les yeux saturés d’espoir.
— Mais nous deux, ce n’est pas possible, poursuit le jeune homme. Pas maintenant, en tout cas.
— Pourquoi ?
— Pour plusieurs raisons. D’abord parce que je suis avec quelqu’un…
— Marianne, murmure Maud.
— Marianne, oui. Et puis… Et puis j’ai pour habitude de ne pas tout mélanger. Tu es la personne que je suis chargé de protéger. Alors je ne veux pas que ça aille plus loin entre nous. Tu comprends ?
Non, elle ne comprend pas. Mais sa crise de larmes semble s’apaiser.
— Alors vu qu’on a du temps à passer ensemble, je te propose qu’au lieu de s’étriper, on apprenne à se connaître… Sans penser à la suite. D’accord ?
Elle hoche la tête, essaie de lui sourire. Sans succès.
— Excuse-moi, dit-elle enfin. J’ai été ridicule, tout à l’heure. Mais quand je t’ai vu dans le garage, avec Amanda, je… je sais pas ce qui m’a pris, pardon.
Il dépose un baiser sur sa joue, elle ferme les yeux.
— Pardon accordé, dit-il.
— Merci.
— Avec ce qu’on a vécu ce matin, je crois qu’on est un peu sur les nerfs, tous les deux… Et si ça peut te rassurer, il n’y a strictement rien entre Amanda et moi. D’accord ?
— D’accord…
Il se relève et lui tend une main secourable. Ils se retrouvent debout, collés l’un à l’autre. Luc passe ses doigts dans les cheveux de la jeune femme pour y enlever quelques brindilles.
— Tu veux toujours aller au centre équestre ? demande-t-il en souriant.
— Oui. Comme ça, je te présenterai Belphégor…
— Belphégor ?
— C’est mon cheval.
Il l’aide à rejoindre la route, serrant toujours sa main dans la sienne. Comme s’il avait peur qu’elle ne s’échappe à nouveau.
Maud est bien trop précieuse pour qu’il prenne le risque de la perdre.
16
Assis sur sa terrasse privée, Luc fume une cigarette. Il vient de terminer son repas, gracieusement apporté par Amanda. Elle est aux petits soins pour lui, au point que ça pourrait en devenir gênant.
Cela fait une semaine qu’il habite chez les Reynier. Une semaine qu’il évolue dans cette jungle familiale où tous les coups sont permis.
Tous ou presque.
Car Armand Reynier fait régner l’ordre, tel un mâle alpha.
Dictateur tout-puissant.
Sauf qu’il ne possède pas le don d’ubiquité et ne peut pas tout voir ni tout entendre. Contrairement à Luc, devenu en un rien de temps le confident des trois femmes qui se partagent ce microterritoire hostile.
Maud se montre patiente et obéissante, le cœur gonflé d’espoir. Petite fille sage qui porte sa culpabilité en bandoulière.
Amanda joue les bonnes copines et plus si affinités. Gouvernante omnisciente, concierge zélée à ses heures perdues.
Quant à Charlotte, elle continue à le provoquer à longueur de journée, entre deux verres d’alcool.
Luc se déplace élégamment sur cet échiquier. En faisant tout de même attention où il met les pieds.
Maud est peu sortie, ces derniers jours. Alors, Luc s’est occupé comme il a pu. Course, musculation, entraînement au self-défense et à la boxe thaï. S’il reste ici plusieurs mois, il va devenir une véritable machine de guerre.
Reynier l’a autorisé à se servir dans la bibliothèque et Luc y a découvert d’inestimables trésors.
Une machine de guerre érudite.
Il consulte sa montre : vingt-deux heures et le maître des lieux n’est toujours pas rentré.
Vingt-deux heures et Luc n’a pas sommeil. Il a beau s’épuiser à courir et frapper dans le sac de sable, il ne parvient toujours pas à trouver le repos. Ou si peu.
Quelques heures par-ci par-là, à condition que la lumière reste allumée.
Dans son testament, il demandera que l’intérieur de son cercueil soit éclairé. Il est incapable de passer une minute dans le noir complet. Alors l’éternité…
Dans la poche arrière de son jean, il récupère une lettre, reçue ce matin parmi le courrier qu’Amanda lui a remis. Il la déplie, allume la lumière, et la relit pour la troisième fois de la journée.
Mon chéri,
Quelques mots pour toi avant d’aller dormir.
Quelques mots pour mon fils qui me manque tant.
Ta présence, tes sourires, la tendresse de ton regard…
J’espère que ta nouvelle mission se passe bien, que tu as rencontré des gens intéressants. Et surtout, j’espère que tu ne prends pas trop de risques.
Oui, tu me l’as souvent dit, je ne devrais pas me faire autant de souci pour toi ! Je sais que tu es un homme désormais. Un homme intelligent et fort, dont je ne peux qu’être fière.
Mais si je ne m’inquiète pas pour toi, qui le fera à ma place ?
C’est le destin d’une mère, après tout…
Avant-hier, j’ai croisé Mme Lefèbvre, ton ancienne institutrice. Tu te souviens d’elle, j’en suis sûre.
Elle est aujourd’hui à la retraite et c’est une vieille dame à l’allure fragile, aux cheveux blancs et à la peau parcheminée. Mais ses yeux, eux, n’ont pas changé !