Nous avons parlé un petit moment et je peux te dire qu’elle ne t’a pas oublié ! Elle m’a demandé de tes nouvelles, ne tarissant pas d’éloges à ton sujet. Elle espérait que tu avais suivi de longues études, parce que tu étais doué. Si doué, c’est vrai…
Mais je lui ai expliqué tes choix et elle a dit que le plus important était que tu sois épanoui dans ta vie.
Je suis bien d’accord avec ça.
Et avec Marianne, où en es-tu ? Peut-être n’as-tu pas envie de m’en parler…
Si tu as le temps, passe-moi un petit coup de fil ou écris-moi. Mais si tu es trop occupé, ne t’en fais pas pour moi. Je sais que tu penses à moi comme je pense à toi, et cela suffit à me combler.
Prends bien soin de toi, mon fils.
Je t’embrasse tendrement,
Luc range la missive dans sa poche et allume une cigarette.
— Ne t’inquiète pas pour moi, maman, murmure-t-il.
Oui, il se souvient de Magali Lefèbvre, son institutrice en classe de CM2. Il en était secrètement amoureux, mais ça, sa mère ne l’a jamais su. Il la trouvait si douce, si compréhensive. Même son parfum était délicat. Parfois, en fin de journée, Luc tardait à quitter la classe et sortait de son cartable un petit cadeau confectionné pour elle. Un dessin, un poème, une fleur séchée collée sur une feuille. Elle le remerciait, plaçait le présent dans une boîte qui trônait sur une des étagères de l’armoire en bois, toujours fermée à clef. Elle lui offrait un dernier sourire qu’il gardait dans son cœur serré tout au long du trajet qui le ramenait chez lui.
Oui, Luc se souvient de Magali Lefèbvre, comme si c’était hier…
Soudain, la Porsche approche du portail. Luc aimerait rentrer, éviter la discussion qui va suivre. Mais il n’a guère le choix. Il a des choses à dire à Reynier. De bien mauvaises nouvelles…
Dernier effort de la journée. Qui le fatiguera peut-être assez pour qu’il s’endorme.
Armand laisse la voiture devant le garage et se dirige directement vers Luc. Le jeune homme se lève pour lui serrer la main.
— Je vous attendais, dit-il.
— Que se passe-t-il ?
Luc pousse une enveloppe kraft vers le professeur.
— Qu’est-ce que c’est ?
— J’ai reçu ça, ce matin, révèle Luc. Une enveloppe à mon nom, qui en contient une autre à votre nom. Je ne l’ai pas ouverte, bien sûr.
— Je ne comprends rien, dit Armand.
— J’ai fait suivre mon courrier à votre adresse, explique Luc.
Reynier décachette la lettre, postée à Cannes. Et au fil des mots, son visage se durcit. Alors, il s’assoit en face de Luc et lui tend la feuille.
— C’était un 11 janvier, rappelle-toi, lit-il à voix basse.
Luc remet le message dans l’enveloppe et la rend au chirurgien, ainsi qu’il se débarrasserait de quelque chose d’encombrant. Puis, Reynier restant silencieux, il engage l’inévitable discussion.
— Ça signifie quoi pour vous, cette date ?
Armand passe une main sur son visage, comme s’il était épuisé.
Peut-être l’est-il, après cette interminable journée.
— Absolument rien, prétend-il.
— Rien d’important ne s’est passé dans votre vie un 11 janvier ? creuse Luc.
— Pas que je me souvienne.
— Ça a peut-être un rapport avec la clinique ? L’un de vos patients serait-il mort un 11 janvier ?
— Mais comment voulez-vous que je le sache ? s’écrie Reynier.
Il réalise que l’appartement d’Amanda est tout à côté et qu’elle a sans doute les fenêtres ouvertes. En suivant son regard, Luc comprend ce qui le préoccupe.
— Ne vous en faites pas, Amanda est toujours chez vous… Elle doit vous attendre, je suppose.
— Vous croyez vraiment que je me souviens du décès de chacun de mes patients ? reprend le chirurgien.
— Non, bien sûr… Mais il va falloir vérifier.
— C’est impossible ! Si j’avais un nom, je pourrais faire une recherche dans les dossiers. Mais il n’y a même pas l’année, comment voulez-vous que je fasse ?
— Je comprends, dit Luc. Et cette date pourrait-elle avoir un rapport avec Maud ?
Armand soupire.
— Aucune idée… Je ne vois rien qui se soit passé la concernant un 11 janvier.
— Il faudrait peut-être lui poser la question ?
Reynier le fusille du regard.
— Vous êtes fou, ou quoi ? Je ne veux pas que Maud soit au courant de ce message, vous m’entendez ?
En signe de reddition, Luc lève les mains devant lui.
— Vous n’avez pas intérêt à lui parler de ça, c’est clair ?
— Très clair, monsieur.
Reynier se met debout et marche de long en large sur la petite terrasse.
— Ce taré se trompe de personne, c’est pas possible !
— Bien sûr que non, monsieur Reynier.
— Et pourquoi l’enveloppe vous était-elle adressée ?
— Sans doute pour me montrer qu’il sait que je suis ici et que ça ne lui fait pas peur… Il me défie, en quelque sorte.
— Manquait plus que ça ! Putain de merde…
— Écoutez, monsieur, je vous propose de prendre quelques jours pour réfléchir à cette date. Elle a forcément un lien avec vous.
— Vous avez raison… ça doit être un patient qui est mort à la clinique. Je vais tenter de faire une recherche, mais ça va prendre un temps fou !
— C’est important, l’encourage Luc. Très important…
— OK… Je mets quelqu’un dessus dès demain.
Reynier place l’enveloppe dans la poche intérieure de sa veste.
— Bonne nuit, Luc.
— Bonne nuit, monsieur.
17
C’était un 11 janvier, rappelle-toi…
Reynier relit une nouvelle fois le message avant de le placer au fond du coffre-fort de son bureau, dans l’enveloppe où se trouvent déjà les précédentes menaces.
Il a l’impression que l’oxygène se raréfie autour de lui. Que son univers se resserre, tel un étau géant qui tenterait de broyer sa vie.
Malgré l’heure tardive, sa femme et sa fille l’attendent pour dîner près de la piscine. Mais il ne se sent pas la force de les rejoindre…
Il va pourtant bien falloir y aller. Jouer le jeu. Mentir, faire comme si c’était un soir comme les autres.
Faire comme s’il n’avait pas les pieds au bord d’un précipice.
Alors, Armand s’approche de ses chers masques africains. Il les regarde, l’un après l’autre. Certains ont été achetés en Afrique, d’autres proviennent de galeries spécialisées. Ils expriment tous quelque chose de différent et d’unique. Le calme, la sérénité, la peur ou l’effroi. Ils symbolisent les dieux, incarnent une certaine vision de la beauté féminine ou masculine.
Guerriers, sorciers, animaux…
Reynier en choisit un. Un qu’il affectionne particulièrement. Un Kran, qui protégeait le village contre les mauvais esprits. Veillait sur les femmes et les enfants. Il le prend dans ses mains, le contemple longuement.
Qui se cache sous ce masque effrayant ?