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Il plante tout à coup le canon dans sa gorge.

— Tu veux savoir ce que ça fait d’être braqué par un flingue chargé ?

Elle ferme les yeux, penche sa tête en arrière, comme si elle s’offrait à la mort.

— Alors, ça fait peur ? demande Luc.

— Non… C’est même très excitant !

Elle glisse entre ses mains et se laisse tomber sur le canapé en l’entraînant dans sa chute langoureuse.

Le Glock atterrit sur le parquet et disparaît bientôt sous un amas de vêtements.

* * *

Luc revient de son jogging matinal. Il passe le portail et remonte l’allée de pierre d’un pas lent, reprenant son souffle.

Puis il s’installe près du bassin, sur le petit banc en bois.

C’est le coin le plus agréable du jardin. Situé à une centaine de mètres de la maison, abrité par quelques arbustes plantés en arc de cercle. De gros galets jalonnent l’étendue d’eau, entourée d’une multitude de plantes aquatiques. Un morceau d’Éden, sorte d’île déserte où il doit faire bon venir savourer de rares parcelles de solitude.

D’ici, il ne peut voir la maison, mais aperçoit la dépendance qui abrite son studio et l’appartement d’Amanda.

Il ferme les yeux, laissant les premiers rayons du soleil pénétrer sa peau.

Il n’a même pas vu sa chambre. Tout s’est passé sur le canapé du salon. Et Amanda l’a viré juste après l’amour. Sans aucun cérémonial.

Tout juste si elle ne lui a pas glissé un petit billet dans le caleçon.

On baise, et après on oublie.

Promesse tenue.

Ce qui lui convient à la perfection.

Lorsqu’il rouvre les yeux, Luc a un léger sursaut. Maud se tient devant lui. Avec le bruit de l’eau, il ne l’avait pas entendue s’approcher. Avant d’ouvrir la bouche, il la dévisage, craignant peut-être qu’elle ne soit furieuse, au courant de ses aventures nocturnes. Mais elle lui sourit tendrement, alors il se détend.

— Salut, dit-il. Tu es déjà debout ?

— Comme tu vois… Tu es allé courir ?

— Comme tu vois !

On dirait qu’elle n’ose pas s’asseoir à côté de lui, alors il tapote le banc avec sa main pour l’y encourager.

— Je te cherchais, dit-elle en se posant près de lui.

— Pourquoi ?

— Pour te proposer de venir prendre ton petit déjeuner avec moi, sur la terrasse.

— C’est gentil. Mais ton père n’est pas encore parti, n’est-ce pas ?

— Il ne va pas tarder, dit-elle comme si elle lui révélait un important secret.

— Alors, on va patienter un peu ! répond Luc avec un clin d’œil. Tu as bien dormi ? Pas trop de cauchemars ?

Elle fixe l’eau du bassin, aperçoit la silhouette fugitive d’une énorme carpe.

— Si, un cauchemar… Un qui me poursuit depuis des années. Je le fais souvent. Rien à voir avec l’agression.

— Tu veux m’en parler ?

Elle sourit tristement.

— Ça t’intéresse ? Ça t’intéresse vraiment, je veux dire ?

— Bien sûr, dit Luc. Pourquoi tu en doutes ? On a bien dit qu’on devait apprendre à se connaître, non ?

Elle hoche la tête.

— Alors, je veux tout savoir de toi.

Elle pourrait écouter sa voix des heures durant. Elle est si grave, si belle. Si sensuelle.

— J’ai rêvé de ma mère, avoue-t-elle. En fait, c’est très bizarre… Je sais qu’il s’agit d’elle mais elle n’apparaît jamais dans le rêve.

— Raconte.

— C’est toujours la même chose : je suis dans la maison, je sors de ma chambre et je descends l’escalier en courant…

Elle marque une pause, comme si les images se bousculaient dans son cerveau.

— Je sors dans le jardin et je cours encore. Il fait très froid… Mais le jardin n’est pas du tout comme tu le vois aujourd’hui : c’est une sorte de… de jungle.

— De jungle  ?

— Oui. Il y a des arbres partout, je suis obligée d’écarter les branches pour pouvoir continuer à avancer. Il y a du vent, un vent très fort. Et puis, d’un coup, je vois que mes pieds sont dans l’eau. Et l’eau commence à monter, monter, monter…

Maud semble terrorisée. Alors, Luc prend sa main dans la sienne.

— Ça a l’air terrifiant, murmure-t-il. Et que se passe-t-il après ?

— Bientôt, j’en ai jusqu’à la taille. Et puis jusqu’au menton… il y a des branches partout autour de moi. De temps en temps, je coule comme si quelque chose attrapait ma jambe et me tirait vers les profondeurs. Alors, je me débats pour remonter à la surface et reprendre un peu d’air… Ensuite, je vois quelque chose qui flotte et que le courant envoie vers moi. Je crois que c’est un gros morceau de bois, je me dis que je vais pouvoir m’y agripper. Mais quand la… chose arrive près de moi, je m’aperçois qu’il s’agit d’un corps. Il est retourné, je vois uniquement son dos… Son dos et ses cheveux. Des cheveux longs et clairs qui flottent dans l’eau sombre. Et là, je me réveille.

Les deux jeunes gens gardent le silence un moment, regardant l’eau calme du bassin.

— C’est effroyable, ce rêve, dit enfin Luc. Tu dois être morte de peur…

La main de Maud serre la sienne, comme un naufragé s’accroche à une bouée. C’est alors qu’ils aperçoivent la Porsche qui quitte le garage et descend vers le portail. Machinalement, Luc lâche la main de sa protégée.

— Tu avais quatre ans quand l’accident s’est produit, c’est ça ? demande-t-il.

— Trois ans et demi… Maman est morte en janvier.

— En janvier ? répète Luc.

— Oui, c’était le 11 janvier…

18

Cela fait deux jours que Luc n’a pas vu le professeur. Il a seulement aperçu la Porsche le matin et le soir.

Son employeur n’a visiblement pas envie de reparler du dernier message. De ce fameux 11 janvier… Quant à Luc, il a décidé de ne pas lui révéler sa petite conversation avec Maud, préférant attendre que Reynier se dévoile.

Allongé sur son canapé, face à la télé, il s’ennuie. Il n’a plus aucun roman à lire, il faudra qu’il se faufile dans la bibliothèque pour un ravitaillement.

En ce début d’après-midi, il fait trop chaud pour s’entraîner. Températures caniculaires depuis la veille, mieux vaut rester dans la relative fraîcheur du studio.

Ainsi qu’il l’avait prévu, Amanda ne laisse rien paraître. Ils se croisent, se parlent, comme si rien ne s’était passé. Même lorsqu’elle lui apporte ses repas et qu’ils sont seuls, elle semble un peu distante.

Tant mieux. Il ne faudrait pas que Maud se doute de quelque chose.

Chaque jour, la jeune femme s’arrange pour partager un moment avec lui.

Chaque jour, Luc voit grandir le désir dans ses grands yeux bleus. Clairs comme de l’eau de roche.

Il ne fait rien pour l’encourager.

Rien pour la décourager non plus.

Il éteint la télé et s’assoit sur le sofa. Depuis ce matin, il n’est pas au mieux de sa forme. Il sent une boule se former juste sous son plexus. Une sensation qu’il ne connaît que trop bien.

Il n’a jamais supporté l’inaction. Il faut toujours que son corps ou son esprit soient occupés. Sinon, le bateau commence à dériver. Et ses vieux démons se massent sur la rive pour l’appeler sans relâche. Avec leurs visages hideux et leur voix criarde, ils le poursuivent jusque dans ses rêves… quand il a la chance de dormir.