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Armand sent sa colère monter encore d’un cran. Elle est presque au maximum quand les deux jeunes gens se dirigent vers la maison. Reynier passe dans son bureau et s’installe dans son large fauteuil, feignant de travailler sur un dossier. Au bout de quelques instants, sa fille apparaît sur le seuil, Luc juste derrière elle. Elle est souriante, comme si elle avait passé une excellente journée.

— Bonsoir, papa.

Il ne la regarde pas. Ne lui répond pas.

— Ça va ? demande-t-elle.

— Non, ça ne va pas.

Le visage de Maud se crispe.

Rien à faire, elle n’est pas encore prête à affronter la douleur de son père.

— Je suis désolée si tu t’es inquiété…

— Vraiment ?

Enfin, il lève les yeux vers elle. La présence de Luc l’importune. Il n’a rien à faire entre eux.

— Pourriez-vous nous laisser, monsieur Garnier ?

— Bien sûr, répond Luc.

Mais Maud attrape son bras.

— Non, reste. S’il te plaît.

Ça ressemble à un appel au secours. Alors, Luc consulte son patron du regard.

— Très bien, restez, dit Armand d’un ton nerveux. Qu’est-ce que tu cherches, Maud ? Tu veux te faire tuer ?

— Avec la rouste que Luc lui a filée, il est pas près de revenir m’emmerder ! affirme-t-elle.

— Maud, ton père a raison, intervient Luc. Et toi, tu as eu tort de faire ça… Tu es en danger dès que tu sors sans moi.

— Tu vois ! exulte son père. Tu vois que j’ai raison !

Maud adresse un coup d’œil amer à son garde du corps mais il reste sur ses positions. Reynier se lève et la prend par les épaules.

— J’étais mort d’inquiétude pour toi… Où étais-tu ?

— J’ai passé la journée avec Mélina et ensuite, je suis allée au centre équestre. Tu vois, rien de bien méchant.

— Tu aurais dû attendre le retour de Luc, sermonne Reynier. Il doit t’accompagner partout où tu vas. Je sais que cette situation est pénible, mais tant que nous ne sommes pas sûrs d’être débarrassés de ce malade, je te demande de suivre cette consigne… Je peux compter sur toi ?

— Oui, papa, soupire la jeune femme. Je le referai pas, OK ?

Il la serre dans ses bras, mais elle esquive aussitôt son étreinte.

— Allez, on se voit pour le dîner, dit-elle. Et arrête de te faire du souci… Tu viens, Luc ?

— Non, Luc va rester ici, décrète Reynier. J’ai deux mots à lui dire.

D’un signe de tête, Luc demande à Maud d’obéir et elle quitte le bureau. Les deux hommes se regardent, Reynier ne propose pas à Luc de s’asseoir mais lui demande de fermer la porte.

— Où était-elle ? attaque-t-il.

— Vous n’avez pas eu mon texto ? Je l’ai rejointe au centre équestre, c’est là qu’elle était lorsque je l’ai appelée…

— Avant le centre équestre, précise sèchement le chirurgien.

— Elle m’a dit la même chose qu’à vous, qu’elle était avec sa copine Mélina.

Armand continue à le fixer avec une rage à peine dissimulée.

— Vous êtes un garçon intelligent, Luc. Très intelligent, même.

— Merci du compliment.

— Mais faites attention.

— À quoi ?

— Pas à quoi. À qui

— À qui, alors ?

— À moi ! assène Reynier. Ne vous avisez plus jamais de me tenir tête de la sorte.

Luc prend le temps de réfléchir avant de répondre.

— Vous avez besoin de moi, dit-il finalement. L’inverse n’est pas vrai.

Le chirurgien s’approche de son jeune interlocuteur.

— Ce que je voulais vous dire, c’est que je peux devenir féroce, précise Reynier d’une voix étrangement calme.

— Je n’en doute pas, monsieur.

— Vous n’imaginez pas à quel point.

— Si, je crois.

Ils s’affrontent encore un instant du regard. Le chirurgien vient de réaliser que Luc sait désormais beaucoup trop de choses sur lui. Qu’il pourrait être préjudiciable de se le mettre à dos. Le message s’affiche clairement dans les yeux de son adversaire.

Pourtant, malgré sa position de force, Luc décide de faire profil bas.

— Je suis désolé pour tout à l’heure, monsieur, dit-il. Je vous présente mes excuses… Mais il faut que vous soyez conscient d’une chose importante : si je perds la confiance de Maud, je ne pourrai pas la protéger. Et si je veux qu’elle ait confiance en moi, je ne dois pas la trahir.

Le torse du professeur se regonfle, il se permet même un sourire.

— Je comprends vos arguments. Mais essayez donc de comprendre les miens.

— J’essaierai, promet le jeune homme avec une sincérité désarmante.

— Très bien… Vous y croyez, vous, à cette histoire de copine de fac ?

Luc hausse les épaules.

— Je n’ai pas de certitudes, à vrai dire. Maud ne m’a donné aucun détail sur sa journée…

— Son comportement m’inquiète. Pourquoi prend-elle le risque de sortir seule ?

— Peut-être est-ce une façon de se rebeller, imagine Luc.

— Ce n’est plus une adolescente, merde !

— C’est presque une adolescente, rappelle le jeune homme. Mais elle aimerait que vous la considériez un peu plus comme une adulte.

— Elle vous l’a dit ? s’étonne Reynier.

Luc hoche la tête.

— Elle n’a qu’à se comporter en adulte responsable, dans ce cas.

— Laissez-lui-en l’occasion, suggère Luc.

— Allez-vous m’apprendre à m’occuper de ma fille ? J’ai hâte d’entendre vos conseils !

— Je ne me le permettrais pas, monsieur.

— À la bonne heure !

Reynier se poste face à ses étagères vides ; on dirait qu’il peut encore admirer les masques qui y trônaient jusqu’à cette nuit.

— Je devais partir en voyage dans dix jours, mais je crois que je vais annuler. Je ne veux pas la laisser seule. Charlotte va me faire une scène, mais tant pis…

— Maud ne sera pas seule, je serai là. Et je vous promets de veiller sur elle.

— Je n’en doute pas ! balance Reynier.

— De veiller à sa sécurité, précise Luc.

— Je vais réfléchir.

— Où devez-vous partir ?

— À Bali, répond le professeur. Nous avons réservé pour une dizaine de jours.

Ce voyage ne semble pas l’emballer plus que ça. Luc suppose que ce doit être une torture pour lui d’être séparé plus d’une semaine de sa petite fille.

— Ça doit valoir le coup ! dit-il simplement.

— Sans doute. J’aurais aimé que Maud nous accompagne, c’est même pour son anniversaire que j’avais organisé ce voyage… Mais elle n’a pas souhaité venir.

Maud et Charlotte en vacances sur la même île ? Rien qu’en songeant à la situation, Luc ne peut contenir un sourire.

— Bien… Laissez-moi, maintenant, ordonne Reynier. J’ai du travail.

— Je comprends. Bonne soirée, monsieur.

Maud regarde Luc descendre vers son studio. Chaque image de lui s’imprime au plus profond de son cerveau. Elle ne savait pas qu’on pouvait tomber amoureuse si vite, si fort.

Et que ça faisait si mal.

Tant que ce malade lui en veut, ou tant que son père le croit, Luc restera là. Mais ensuite ?

Ensuite, il partira.

Le supportera-t-elle ?

Bien sûr que non.

Le jeune homme entre chez lui, Maud tire le rideau. Elle verrouille la porte de sa chambre et s’assoit sur son lit. Au fond de son sac, elle récupère la précieuse cargaison.