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Il faudra qu’elle demande de l’argent à son père. Qu’elle lui fasse miroiter n’importe quel caprice pour justifier la dépense d’une pareille somme.

Mais l’argent n’est vraiment pas le problème.

Elle contemple le sachet de brown sugar posé sur le couvre-lit.

Non, je ne vais pas en prendre. Je dois résister.

Pourtant, il fallait qu’elle en ait à portée de main, c’était plus fort qu’elle. Savoir qu’elle possède la clef du paradis, du réconfort. Qu’elle a une issue de secours si ça devient trop dur.

Maud serre les dents.

Elle a envie de jeter tout ça dans les toilettes.

Envie de le sniffer ou de se l’injecter d’un seul coup.

Envie de se taper la tête contre le mur.

Pendant presque deux ans, elle a été dépendante de cette saloperie.

Pendant presque deux ans, elle n’a vécu que pour ça. N’étant plus que l’ombre d’elle-même.

Pourtant, elle regrette parfois cette période de sa vie. Où elle connaissait le plaisir pervers de se détruire doucement. De glisser lentement vers la folie et la mort.

Les flashs, plus forts que n’importe quel orgasme. Et cette sensation d’apesanteur que rien ne remplace.

Ces voyages extraordinaires où l’on modèle la réalité à sa guise. Ces traversées sur une mer d’huile vers des continents interdits, des contrées vierges où tout reste à découvrir.

Ces journées dont on pense que ce sont les dernières.

Le problème, ce sont les escales. Entre deux voyages.

Les vomissements, les démangeaisons, les insupportables maux de ventre, la soif qu’on n’arrive jamais à calmer. Le manque, de plus en plus cruel. Qui arrive de plus en plus vite. Qui devient constant.

Bientôt, la magie se dérègle. Les fameux orgasmes faiblissent avant de disparaître.

Bientôt, en prendre seulement pour ne plus souffrir. Doses de plus en plus fortes, prises de plus en plus rapprochées.

Se détacher du monde. N’avoir plus qu’une seule obsession : l’héroïne.

— Non, je ne dois pas recommencer, murmure Maud en fixant le sachet. Je ne dois pas replonger, putain…

La cure de désintoxication.

Des semaines d’enfer pour retourner au point de départ. En se persuadant qu’on a de la chance d’être vivant.

Alors qu’on préférerait être mort.

Non, ça ne peut pas recommencer…

Maud se met à pleurer doucement.

— Luc, s’il te plaît… Ne me fais pas ça ! Pas ça…

Elle s’allonge sur son lit, sanglote sur son fidèle oreiller.

Entendant quelqu’un monter l’escalier, elle attrape le sachet de drogue et le planque dans une boîte avec un petit cadenas.

On frappe à la porte. On essaie d’entrer.

— C’est moi, ma chérie. Le dîner est servi, on t’attend !

La voix de son père, tel un électrochoc.

— Une seconde ! s’écrie Maud.

Elle cache la clef, retrouvant les réflexes du passé, puis sèche rapidement ses larmes. Enfin, elle ouvre la porte. Reynier se tient sur le seuil.

— Pourquoi tu t’enfermes ? demande-t-il.

— Je me changeais.

Son père récidive en la prenant dans ses bras puissants. Cette fois, coupable, elle se laisse faire.

Coupable, comme toujours.

Coupable, depuis tant d’années.

Non, papa, je ne suis pas allée voir une copine de fac. Je suis passée prendre livraison chez mon dealer. J’ai claqué le fric que tu gagnes pour m’acheter quelques grammes de mort.

— Ma chérie, murmure Reynier en caressant les cheveux de sa fille. J’étais tellement inquiet pour toi !

— Pardonne-moi, papa…

— Tu es tout ce que j’ai, dit-il. Je ne veux pas te perdre…

— Je sais, papa. Moi non plus, je ne veux pas te perdre.

— Allez viens, ma puce. Charlotte nous attend pour manger.

* * *

Luc fume une cigarette sur sa terrasse. Trompées par les lumières artificielles, quelques cigales chantent encore désespérément malgré l’heure tardive.

La tête ailleurs, Luc ne les entend même pas.

Il regarde Marianne. Toujours belle au moment d’aller dormir.

Belle, tout le temps.

Elle est assise là, près de lui. Admirant les étoiles.

Elle est toujours là, de toute façon. Il prend sa main, la serre très fort. Puis il décide enfin d’aller se coucher même s’il n’a pas sommeil. Un anxiolytique l’aidera à trouver le repos quelques heures.

Il constate qu’Amanda n’est pas redescendue chez elle. Ces Reynier sont vraiment des esclavagistes, songe-t-il.

Le professeur est assis derrière son ordinateur. Trois coups discrets à la porte lui font lever la tête.

— Oui ?

Amanda pousse la porte.

— Entrez, dit-il. Asseyez-vous.

Elle obéit, docile et souriante.

— Vous voulez un verre ? propose Armand.

— Pourquoi pas !

— J’ai un très bon rhum, ça vous dit ?

Dans son bureau, Reynier a tout à portée de main : scotch, rhum, digestifs. Il remplit deux petits verres, en dépose un devant la domestique.

— Alors ? demande-t-il.

— Rien de spécial à signaler aujourd’hui, répond-elle. Mis à part que Mlle Maud nous a fait une grosse frayeur en partant en douce ! Mais ça, vous le savez déjà…

— Vous n’avez toujours rien remarqué entre elle et Luc ?

— Écoutez, Monsieur… Je ne peux rien vous certifier, mais j’ai comme l’impression que Maud est sous le charme.

— C’est aussi mon impression, maugrée le père. Mais lui, vous croyez que… ?

— Je suis quasiment sûre qu’il garde ses distances. C’est un garçon sérieux et un vrai professionnel.

— Bon, continuez à les avoir à l’œil, tous les deux. Et si vous avez le moindre doute…

Elle hoche la tête d’un air important et zélé avant de terminer son verre.

— Je vous laisse, Monsieur.

— Bonne nuit, Amanda. Et merci de votre aide.

— Merci à vous de votre confiance.

Reynier la suit d’un regard appuyé tandis qu’elle s’éloigne. Il trouve qu’elle a du charme, une jolie silhouette. Un jour, il faudra qu’il aille plus loin avec elle.

Il termine son verre de rhum, mais l’angoisse lui serre la gorge lorsqu’il repense à la petite fugue d’aujourd’hui.

Lorsqu’il repense à la première fugue de Maud.

Quatre jours sans aucune nouvelle d’elle. Quatre jours à se demander si elle était vivante ou morte. Si elle était tombée entre les griffes d’un psychopathe.

Quatre jours et trois nuits à imaginer sa petite fille enfermée dans un sous-sol obscur, en train de se faire violer par un malade. À imaginer son corps martyrisé, désarticulé, abandonné dans une clairière. Ou une décharge sordide.

Quatre jours d’une indicible souffrance toujours tatouée au plus profond de ses chairs.

Quatre jours et trois nuits qui ont laissé de terribles séquelles. Marquant son âme à tout jamais.

26

Depuis la petite escapade de Maud, quarante-huit heures auparavant, il ne s’est pas passé grand-chose chez les Reynier.

La vie suit son cours et Luc s’ennuie.

Ce matin, de très bonne heure, il est allé courir. Puis après un bon petit déjeuner, il s’est réfugié dans le garage pour s’entraîner.

Bizarrement, la Porsche est encore là, le chirurgien n’est pas parti bosser. Alors que chaque matin, il s’en va très tôt.

Sur le tapis qu’il a installé, Luc fait quelques assouplissements, puis enchaîne avec des mouvements rapides de self-défense. Très concentré, il ne fait pas attention aux pas discrets dans son dos.