— Bonjour, Luc.
Maud se tient juste à côté du tapis. Les mains jointes devant elle, comme une enfant sage.
— Salut.
Il s’essuie le visage avec une serviette et vient l’embrasser.
— Je peux rester un peu ?
— Tu es chez toi, rappelle Luc.
— Oui, bien sûr… Mais ça ne te dérange pas que je te regarde t’entraîner ?
— Pas du tout ! assure le jeune homme.
Il pense exactement l’inverse mais dissimule à la perfection ses sentiments, ainsi que la vie lui a appris à le faire.
Oui, il aurait préféré rester seul. Ou en tête à tête avec Marianne. Mais puisqu’il a un public, autant en profiter.
Il se positionne face au sac de frappe et commence à distribuer les coups.
Assise en tailleur sur le tapis, Maud est subjuguée. Il sent son regard l’envelopper tout entier, le pénétrer. Alors, il accentue encore la force de ses frappes. Il se donne en spectacle, avec le sentiment jouissif d’être l’objet d’un désir brûlant. Finalement, il a quelques points communs avec Reynier…
Au bout de dix minutes, il cesse enfin sa démonstration et se tourne vers elle. Tout juste s’il est essoufflé.
— Tu veux que je t’apprenne des trucs ?
— Ça serait cool !
— Vire tes pompes.
Elle enlève ses mules en cuir et monte sur le tapis, docile comme jamais. Elle se moque complètement du self-défense mais chaque moment passé avec lui est une bénédiction. Même si ça creuse encore plus profondément la plaie.
Il lui montre quelques mouvements, qu’elle tente d’imiter sans grand succès. Alors, il se positionne derrière elle et la prend dans ses bras pour guider chacun de ses gestes.
Maud n’est plus sur un tapis, au fond d’un garage.
Elle est au septième ciel.
Luc pourrait presque sentir son cœur tant il bat fort. Il lui parle doucement, dans l’oreille, passe un bras autour de sa taille.
Ce n’est plus un cours de krav-maga, c’est un torride pas de deux.
Mais soudain le charme est rompu. Armand Reynier vient de les rejoindre.
— Je vous dérange ? demande le chirurgien.
Cette scène en rappelle étrangement une autre à Luc. Sans lâcher Maud, il se retourne. Et, comme à chaque fois, il fixe l’homme dans les yeux avant de lui adresser la parole. Entre eux, le défi est permanent.
— Bonjour, monsieur.
Le regard de Reynier est sans équivoque. S’il avait un fusil dans les mains, il abattrait Luc sans sommation.
— J’apprends à votre fille à se défendre, ajoute-t-il.
Consciente du danger, Maud s’écarte de Luc et va embrasser son père.
— C’est bien, non ? dit-elle. Comme ça, si l’autre enfoiré se pointe, je l’explose !
— C’est à Luc de le faire, pas à toi, rappelle Reynier.
— Tu ne vas pas bosser ? poursuit Maud pour dévier leur conversation.
— Non, pas ce matin. J’avais envie de me reposer et comme je n’avais rien d’important de prévu… Je partirai en début d’après-midi, je donne un cours à la fac. Luc, je vous cherchais, j’aimerais vous parler deux minutes.
— Je vous écoute.
— Pas ici. Suivez-moi.
— Et pourquoi pas devant moi ? s’offusque Maud.
Le professeur hésite.
— Très bien, dit-il enfin. J’ai décidé d’annuler notre voyage.
Luc a envie de sourire, mais se retient. Comme s’il était venu dans le garage pour lui annoncer cette nouvelle !
— Mais pourquoi ? s’étonne Maud. Tu as bien mérité de partir en vacances !
— Je ne veux pas m’éloigner de toi. Pas en ce moment. On ne sait jamais.
— Écoute, papa, je pense que cette histoire est terminée. Que ce salopard ne reviendra pas. Mais au cas où, Luc est là.
Reynier secoue la tête.
— Nous partirons quand tout sera fini.
La jeune femme soupire.
— C’est n’importe quoi ! Je te promets que je ne sortirai pas seule, ça te va ?
— Là n’est pas la question, ma chérie. Je veux être présent s’il t’arrive quoi que ce soit.
Soudain, Maud explose.
— Putain ! Mais j’ai plus quatre ans ! hurle-t-elle. Arrête un peu de me traiter comme une gamine !
Reynier reste interloqué. Ça faisait longtemps que sa fille ne lui avait pas parlé sur ce ton.
— Tu as déjà payé ce voyage, ça t’a coûté une blinde et tu veux annuler ? C’est vraiment trop con !
— L’argent n’est pas le problème, répond le chirurgien.
— T’as raison ! envoie Maud. Le problème, c’est toi.
Luc fait mine de regarder ailleurs, se gardant bien d’intervenir.
— Tu sais quoi ? ajoute-t-elle. Si tu n’y vas pas, c’est moi qui pars. Avec Luc.
Elle se retourne vers le jeune homme avant d’embrayer.
— Ça te dirait, dix jours à Bali ? C’est papa qui paye !
— Arrête ton cinéma ! ordonne Armand. Ça suffit, maintenant !
Maud ose l’affronter du regard. Elle ne baisse pas les yeux.
Pas devant Luc.
— Oui, ça suffit, répète-t-elle. Il va falloir que tu admettes que je ne suis plus une enfant. Et tu serais ridicule d’annuler tes vacances… Maintenant, j’aimerais continuer à m’entraîner avec Luc. Si tu n’y vois pas d’inconvénient, bien sûr.
Presque par miracle, Reynier parvient à se contenir. Il tourne les talons et quitte le garage. Maud remonte sur le tapis et Luc voit ses mains trembler.
— Tu n’y es pas allée avec le dos de la cuillère, murmure-t-il.
— J’ai pas raison ? s’écrie-t-elle.
— Je ne sais pas…
Finalement, la jeune femme abandonne le self-défense et s’appuie contre le mannequin de bois.
— Peut-être que j’y suis allée un peu fort. Mais il l’a cherché !
— Il est seulement inquiet pour toi… Ce qui peut se comprendre.
Elle hausse les épaules.
— J’aimerais qu’il me lâche, de temps en temps. J’étouffe !
— Tu veux continuer ?
Elle revient se poster à côté de lui et tente de suivre ses indications. Mais elle est bien incapable de se concentrer.
— Tu te souviens de ta première fois ? demande-t-elle soudain.
— Ma première quoi ?
— Ben… La première fois que tu as couché avec une fille.
Le jeune homme la dévisage avec un sourire embarrassé.
— Évidemment que je m’en souviens. C’est le genre de choses qu’on n’oublie pas !
— C’était comment ?
Il attrape sa bouteille, avale quelques gorgées d’eau.
— Je te trouve bien indiscrète… C’est plutôt intime, comme question !
— Moi, j’avais quinze ans, relate Maud. C’était sur une plage déserte, dans une petite crique…
Adossé au mur, Luc croise les bras.
— Il s’appelait Mathéo, il avait vingt-cinq ans, je crois. Il était charmant, attentionné, très amoureux de moi… C’était un des plus beaux moments de ma vie.
— Eh bien moi, j’avais seize ans et c’était tout sauf inoubliable.
Soudain, Maud se met sur la pointe des pieds et passe ses bras autour du cou du jeune homme.
— Maud…
Il n’a pas le temps de finir sa phrase. Elle vient de poser ses lèvres sur les siennes.
Pourvu que le paternel se soit bien barré, songe-t-il en fermant les yeux.
27
Maud n’en revient pas.
D’avoir osé.