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Il y a deux heures à peine, elle embrassait Luc. Ce n’est pas la première fois qu’elle se montre entreprenante avec un homme. Mais les autres, c’était différent. Les autres n’étaient pas Luc.

Attablée avec ses parents près de la piscine, elle n’a pas encore touché à son assiette.

Certes, il ne lui a pas rendu son baiser. Mais c’est parce qu’il ne veut pas avoir de problèmes avec son père, elle en est sûre.

Sur ses lèvres, un sourire béat. Au fond de ses yeux, une flamme nouvelle.

— Tu ne manges pas ? s’inquiète son père.

— Pas faim…

— Qu’est-ce que tu as ? Tu es malade ?

— Non…

Charlotte esquisse un sourire et pose une main sur celle de son mari.

— Mais non, elle n’est pas malade ! dit-elle. Elle est simplement amoureuse.

On dirait que la foudre vient de pétrifier le père et la fille. Contente de son effet, Charlotte continue à sourire d’un air innocent.

— Tu te souviens ? Quand je suis tombée amoureuse de toi, je ne mangeais plus non plus…

Mais Armand ne l’écoute pas. Il ne l’entend même plus. Il dévisage sa fille comme s’il venait d’apprendre qu’elle était recherchée par toutes les polices du monde. Qu’elle était atteinte d’une maladie incurable. Ou comme si elle venait de lui enfoncer une dague dans le ventre.

Il attend qu’elle contredise Charlotte. Qu’elle se défende de pareil crime.

Face à ce regard effrayant, Maud trouve enfin l’énergie de répondre.

— Mais qu’est-ce que tu racontes ? Faudrait arrêter de parler pour dire n’importe quoi !

Les yeux clairs de Reynier ne changent pas d’expression. Le poignard est toujours fiché dans son abdomen.

Profondément.

— Me regarde pas comme ça, papa ! souffle Maud.

— Allons, Maud ! reprend Charlotte. Y a pas de honte, voyons…

La jeune femme sort de ses gonds.

— Tu aimes foutre la merde, hein ? C’est plus fort que toi !

— Ne me parle pas comme ça ! s’insurge Charlotte.

Puis, tournant la tête vers son époux :

— Tu entends ça ?

Le professeur demeure silencieux. Incapable de parler, sans doute.

— Je t’emmerde ! hurle Maud.

Elle se lève, balance sa serviette par terre et quitte la table comme une furie. Reynier est toujours prostré et Charlotte lui adresse un sourire qui a quelque chose de perfide.

— Tu vois, j’ai raison… Si elle réagit comme ça, c’est que j’ai raison.

À son tour, Armand quitte la table sans un mot. Il longe la piscine et descend dans le jardin. Ou plutôt, il fonce tout droit vers la dépendance.

Plus précisément vers l’appartement de Luc.

Il ne prend pas la peine de frapper avant d’entrer.

Allongé sur le canapé, devant la télé, Luc se redresse d’un bond. Il n’a pas le temps d’ouvrir la bouche que Reynier l’a déjà saisi par le col de sa chemise pour le mettre debout.

— Eh ! gueule Luc. Qu’est-ce qui vous prend ?

Le jeune homme ne réagit pas, ne se défend pas, attendant la suite.

— Tu couches avec ma fille ? demande le chirurgien d’une voix sourde. Réponds !

D’un geste rapide et précis, Luc se dégage et repousse le chirurgien à un mètre de distance.

— Calmez-vous, monsieur, ordonne-t-il.

— Réponds !

— Non, je ne couche pas avec votre fille. Combien de fois faudra-t-il que je vous le dise ?!

Reynier est face à lui, les poings serrés et le visage déformé par la haine.

— Vous avez entendu ? Je-ne-couche-pas-avec-votre-fille, répète Luc en articulant chaque syllabe.

— Alors pourquoi elle est dans cet état ? s’emporte le chirurgien. Tu crois que je n’ai pas vu ton petit jeu ?

— Si vous voulez qu’on parle, il va falloir vous calmer, monsieur Reynier.

Le professeur inspire profondément et desserre les poings.

— Vous avez raison, dit-il.

Luc éteint la télé et pose deux verres sur la table.

Décidément, Reynier montre de plus en plus de signes de faiblesse.

— J’ai gardé la bouteille de whisky, dit Luc. Vous en voulez un ?

Il fait le service sans attendre la réponse, tandis que Reynier se laisse tomber sur une chaise. Il avale une gorgée, Luc reste sur ses gardes.

— Que se passe-t-il ?

— À vous de me le dire. Maud n’est pas dans son état normal. Charlotte pense qu’elle est amoureuse de vous.

Luc sourit.

— Je crois que vous faites erreur, monsieur. Ce n’est vraiment pas l’impression que j’ai, je vous assure. Ou alors, elle cache bien son jeu…

Le professeur ne semble toujours pas convaincu, alors Luc continue sur sa lancée.

— On s’entend bien, c’est vrai… Comme je vous l’ai déjà dit, je crois qu’elle me considère un peu comme son grand frère. Rien de plus. Et puis vous savez, je suis déjà amoureux.

— Vraiment ?

— Oui, j’ai une petite amie, depuis plusieurs années… Mais pourquoi vous mettez-vous dans cet état ? Vous me trouvez donc si repoussant que ça ?

— Bien sûr que non ! Ce n’est pas ça… Maud est fragile et lorsque votre mission sera terminée, vous vous en irez. Et je n’ai pas envie qu’elle ait le cœur brisé…

— Écoutez, monsieur, si vous voulez savoir ce que Maud ressent pour moi, le mieux serait peut-être de le lui demander, vous ne croyez pas ? Voulez-vous que je l’appelle, qu’on en discute tous les trois ?

Reynier hésite. Face à l’apparente sincérité de Luc, il ne sait plus trop sur quel pied danser.

— Non, je vais aller lui parler.

— Je suis sûr que cela dissipera le malentendu.

— Je l’espère…

— Et puis vous savez, ajoute Luc sur le ton de la confidence, si je dois briser quelque chose, ce sera les cervicales du malade qui vous harcèle, vous et votre famille. Pas le cœur de votre fille…

Reynier esquisse un sourire.

— Désolé de m’être emporté comme ça.

— Pas de problème, prétend Luc. Vous êtes un père attentionné, Maud a beaucoup de chance.

Le chirurgien le considère avec étonnement.

— C’est vraiment ce que vous pensez ?

— Oui… Cependant, si j’étais vous, je lui lâcherais un peu la bride. Vous avez peur pour elle, mais je crois qu’elle n’est pas si fragile que ça. J’ai même l’impression qu’elle est forte et courageuse… Après ce qu’elle a vécu ces derniers jours, elle récupère vite. Beaucoup seraient mortes de trouille à sa place !

— Bien sûr, elle n’a pas que des faiblesses, admet Reynier. Mais je sais qu’elle peut rapidement sombrer. Et je ne voudrais pas qu’elle rechute à cause de vous…

— Qu’elle rechute  ? C’est-à-dire ?

À cet instant, Reynier se maudit de s’être montré sous un jour peu reluisant. D’avoir révélé tant de choses à cet homme. De l’avoir laissé ainsi entrer dans sa vie.

Mais il a tant de mal à clarifier ses sentiments envers lui.

Tour à tour un allié, un ennemi.

Un danger, un réconfort.

Un confident, un adversaire…

— Elle a eu des problèmes, il y a quelques années, révèle le chirurgien. Drogues dures.

— Merde, murmure Luc. Je l’ignorais…

— L’adolescence, de mauvaises fréquentations et puis… Et puis je crois que la mort de sa mère reste une blessure profonde.

— Je comprends mieux votre comportement, maintenant, dit Luc. Mais vous n’avez pas à avoir peur de moi, rassurez-vous… Voilà ce que je vous propose : allez lui parler et si jamais vous avez raison, si jamais Maud est amoureuse de moi, eh bien je m’engage à partir et à vous trouver quelqu’un de sûr pour me remplacer.