Ils quittent la pièce et le flic leur serre la main.
— Merci d’être venus. Et navré pour le dérangement.
— C’est pas grave, répond Maud.
— J’espère que la prochaine fois, vous arrêterez le bon ! balance Reynier.
— On y travaille, professeur, assure Lacroix. On y travaille…
La nuit est tombée, la chaleur persiste. Mais le ciel est menaçant, ce soir. L’orage gronde déjà sur les Alpes toutes proches.
Luc termine sa ronde dans le jardin et lorsqu’il revient à son studio, il trouve Maud assise sur la terrasse.
— Bonsoir, dit-il en s’installant près d’elle.
— Ça ne te dérange pas que je sois venue ? espère-t-elle.
— Pas du tout.
Il allume une cigarette, lui en propose une.
— Ton père est venu te parler après le déjeuner ? demande Luc.
— Oui… À toi aussi ?
Luc hoche la tête.
— Je lui ai dit qu’on était juste amis.
— Ce qui est le cas, assène-t-il un peu brutalement.
Maud sent son cœur s’arrêter pendant une longue seconde.
— Je crois qu’on avait déjà parlé de ça, non ? poursuit Luc. On s’était mis d’accord…
— Je sais, mais… Tu m’en veux ?
Elle sait à merveille jouer les petites filles coupables, adorables. À qui on pardonnerait tout.
— Non, je ne t’en veux pas. Mais je te l’ai dit : pour le moment, ça ne nous mènera à rien de bien. Alors je ne veux plus de ça entre nous.
Elle ne comprend pas vraiment son raisonnement, mais suppose qu’il ne veut pas tromper sa copine.
Un vrai gentleman, en somme.
Pourtant ce baiser, il l’a accepté. Il aurait pu la repousser, ne l’a pas fait. Alors, Maud se dit qu’elle a eu tort. Qu’elle ne doit rien précipiter. Plutôt œuvrer pour qu’il se détache de Marianne tout en se rapprochant d’elle.
Prendre la place de cette femme fantôme, voilà sa mission.
Dissimuler ses sentiments, montrer ses qualités. Et se faire désirer.
Lorsqu’elle le quitte, ce soir-là, elle est presque sereine.
Malgré cet amour fou qui la consume de l’intérieur. Malgré la douleur qui palpite dans sa poitrine.
Ce soir, elle est sûre qu’avec le temps, Luc sera à elle.
On passera notre vie ensemble.
Papa finira bien par l’accepter.
Et cette salope de Charlotte en crèvera de jalousie.
28
L’homme est devant la télé. Un reportage sur la Légion étrangère retient toute son attention. Vautré sur son vieux canapé en velours brun, déchiré à plusieurs endroits, il a les yeux rivés sur l’écran plat petit format et la main dans un sachet de chips goût poulet rôti. Ce sera son seul repas du soir.
Soudain, son portable sonne et l’homme baisse le son de la télé avant de décrocher.
— Oui ?
— C’est moi, dit la voix. Je vous appelle pour voir si tout est prêt.
— Affirmatif. Vous avez l’argent ? Parce qu’il a fallu que j’engage des frais et…
— Je viens de faire le virement.
— Parfait ! se réjouit l’homme.
Il croque dans une chips.
— Je vous dérange pendant votre repas, peut-être ? dit la voix.
— Pas grave.
— Vous avez trouvé l’arme facilement ?
— Aucun problème. Les armes, ça se trouve, si on cherche bien… En plus, j’ai eu un prix d’ami.
— Tout cela est parfait, conclut la voix. Je vous rappellerai bientôt pour les prochaines instructions.
— J’ai hâte ! dit l’homme.
Il raccroche et remonte le son de la télé.
Sur la table basse, à côté d’un paquet de cigarettes, brille la robe en métal argenté du Beretta Cougar Inox.
Une belle arme.
Calibre 9 mm. Quinze coups dans le chargeur.
De quoi décimer une famille entière.
29
Ce matin, Luc n’est pas allé courir.
Il n’a même pas mis le nez dehors et tourne en rond dans son petit studio.
Un animal fourbu dans une cage. Voilà à quoi il ressemble.
Il pleut depuis l’aurore. Averses sporadiques et violentes. Mais ce n’est pas l’orage qui a empêché Luc de s’adonner à son plaisir quotidien. De prendre sa dose d’endorphine, comme d’autres prennent leur dose de cannabis.
Cette nuit, il s’est noyé dans d’abominables cauchemars. Lorsqu’il s’est réveillé, son oreiller était trempé.
Saturé de larmes.
Aujourd’hui, il va très mal. Et ne parviendra pas à donner le change, il le sait. Alors, il n’espère qu’une chose : que Maud ne voudra pas sortir. Qu’elle le laissera en paix.
Que Reynier ne viendra pas lui infliger l’une de ses pitoyables leçons de morale ou l’accabler de ses tourments de père incestueux.
Que Charlotte évitera de lui faire son numéro de charme.
Il veut être seul. Souffrir en paix.
Il n’a plus de comprimés. Ses précieux calmants. Sa came personnelle et légale.
Il était certain qu’il lui en restait une boîte mais impossible de mettre la main dessus. Il a vidé tous les tiroirs, les placards. A mis son appartement sens dessus dessous. En vain. Pourtant, il n’a pas pu se laisser démunir de la sorte. Alors, où est passée cette maudite boîte ? L’a-t-il oubliée chez lui, à Nice ?
Il se pose sur le sofa et observe, impuissant, le tremblement pathétique de ses mains, le mouvement répétitif et involontaire de ses jambes.
Il n’a rien pu avaler. Incapable de desserrer les dents.
Les images ne le quittent pas. Ce qu’il a vu pendant la nuit défile devant ses yeux meurtris. L’angoisse est à son paroxysme.
Personne ne doit le voir comme ça. Tel qu’il est vraiment.
Un petit garçon mort de peur.
Alors, il envoie un texto sur le portable de Reynier et sur celui de Maud. Quelques mots qu’il a du mal à taper tellement ses doigts paniquent.
Suis obligé de m’absenter aujourd’hui. Urgence personnelle. Je reviens dès que je peux, sans doute en fin de journée. Maud, ne sors pas sans moi. Luc.
Puis il récupère une ordonnance dans le tiroir de sa table de chevet, enfile son blouson de cuir et se dirige vers le garage, en priant pour ne croiser personne.
Malheureusement, il tombe nez à nez avec le jardinier. Avec cette pluie, il aurait pensé qu’il ne viendrait pas.
— Bonjour, monsieur Ferraud, parvient-il à dire en lui serrant la main.
Le jardinier a une poigne d’enfer. Et pour Luc, aujourd’hui, chaque contact sera une brûlure. Il a l’impression que Ferraud vient de lui briser les phalanges.
— Bonjour, monsieur… monsieur…
— Garnier, rappelle Luc.
— Ah oui, monsieur Garnier ! Désolé, j’avais encore oublié votre nom.
— Pas important, marmonne Luc.
— Comment va Mlle Maud ?
— Ça va, dit Luc en soulevant la porte du garage.
Soudain, la douleur le plie en deux. Ferraud se précipite pour retenir la porte qui allait lui retomber sur le crâne.
— Ça ne va pas ?
— Si si, dit Luc en se redressant. C’est rien…
— Vous êtes blessé ?
— Non, tout va bien, je vous assure.
Ne parvenant pas à enfiler ses gants, le jeune homme se contente de mettre son casque et enfourche sa moto.
— Bel engin ! dit le jardinier en s’approchant.
Luc a tellement envie de partir qu’il songe à sortir son arme pour effrayer l’intrus. Mais il se contrôle, in extremis.