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— Merci…

— Où est votre voiture ?

— Je l’ai laissée au bout de la rue… Je ne veux pas que Maud voie l’impact dans le pare-brise. Je le ferai changer demain.

— C’est plus sage, en effet, acquiesce Luc. Et personne n’est venu à votre secours ? Un coup de feu, ça ne passe pas inaperçu !

— Il avait un silencieux, explique Reynier.

— Il pense décidément à tout.

— Bon Dieu… Je me suis vu crever !

— Essayez de garder votre calme. Une fois de plus, c’était pour vous foutre la trouille, rien de plus. S’il avait voulu vous tuer, ce serait déjà fait.

— Vous avez raison… il veut m’intimider. Et ensuite ?

— Je ne sais pas, avoue Luc.

— Il va me demander du fric… Je suis sûr qu’il va exiger de l’argent pour disparaître de ma vie !

— Possible, admet Luc. Et êtes-vous prêt à payer ?

Reynier ferme les yeux.

— Remarquez, vu que vous refusez de prévenir les flics, vous n’avez guère d’autre solution…

— Tout dépend de la somme qu’il va exiger. Encore faut-il qu’elle soit en ma possession !

— Quelque chose me dit qu’on ne va pas tarder à savoir ce qu’il veut vraiment, enchaîne Luc.

Le professeur termine son verre et se lève. Il titube légèrement, se tient à la table.

— Ça va aller ?

— Oui… Ma fille m’attend. Je ne voudrais pas qu’elle se doute de quelque chose.

— C’est déjà le cas, révèle Luc.

— Comment ça ?

— Elle m’a posé des questions, il y a deux jours… Elle est persuadée qu’on lui cache des choses.

— Que lui avez-vous dit ?

— J’ai noyé le poisson, résume le jeune homme. Je préfère vous laisser lui expliquer la situation…

— Je ne vais rien lui expliquer du tout, soupire Reynier. Elle ne doit rien savoir de tout ça.

Luc hausse les épaules.

— C’est une grande fille, rappelle-t-il.

— Non… Je ne veux pas la terroriser.

— Comme vous voudrez.

— À demain, Luc.

— À demain, monsieur.

Reynier s’éloigne et Luc rentre dans son studio. Il récupère une enveloppe blanche posée sur la table basse et l’ouvre. Une lettre arrivée au courrier du matin mais qu’il n’a pas encore pris le temps de lire.

Il s’installe sur le canapé, allume la petite lampe et commence sa lecture.

Mon chéri,

Ce matin, j’ai nettoyé la maison de fond en comble. Avec cette chaleur, c’était éprouvant, mais il fallait bien le faire… Même si personne ne vient jamais.

En rangeant le placard de l’entrée, j’ai retrouvé un cadeau que tu m’avais fait à l’école pour la fête des Mères. Tu étais au CM1, si mes souvenirs sont bons. C’était un pot de confiture décoré d’un joli ruban avec une étiquette sur laquelle tu avais écrit : « Confiture de mots d’amour pour maman. Composition : 100 % tendresse. À consommer sans modération. »

À l’intérieur, plein de petits papiers, écrits de ta main.

Tu ne peux pas savoir l’émotion que j’ai ressentie en le retrouvant ! Du coup, je l’ai mis sur le buffet de la salle à manger, ainsi je le verrai chaque jour.

Je me souviens t’avoir puni parce que tu avais mangé la totalité du pot de confiture. Je croyais que tu l’avais jeté à la poubelle pour que je ne m’en aperçoive pas alors qu’en fait, tu l’avais mis dans ton cartable et l’avais emporté à l’école pour pouvoir le décorer avec ta maîtresse.

J’ai parfois été dure avec toi, mon fils, mais élever un enfant seule n’est pas chose facile, tu sais… Et quand je vois ce que tu es devenu, je me dis que je n’ai pas dû commettre trop d’erreurs avec toi.

J’espère que tu auras des enfants un jour (tu as encore le temps !) et que tu seras un bon père pour eux. Que tu éprouveras les mêmes joies que celles que tu m’as procurées. Les mêmes fiertés, aussi.

Sans toi, je ne sais pas ce qu’aurait été ma vie. Je crois qu’elle aurait été une sorte de long désert hostile à traverser, sans eau ni nourriture…

Fais attention à toi, mon fils. Je t’envoie mille baisers.

Maman

Les doigts de Luc serrent la lettre, jusqu’à la froisser involontairement. Il demeure pensif un instant puis murmure quelques mots.

— Je viendrai te voir bientôt, maman. Je te le promets…

* * *

Assis devant sa table de cuisine, l’homme nettoie consciencieusement son Beretta.

Une belle arme, décidément, qu’il ne se lasse pas d’admirer.

Il y avait longtemps qu’il n’avait pas tenu un pistolet en main. Il se rend compte que ça lui a manqué.

Lorsqu’il a terminé, il enveloppe le Cougar dans un chiffon et va le dissimuler derrière la plinthe amovible d’un vieux meuble de cuisine. Puis il décapsule une bière et allume sa télévision avant de s’allonger sur le vieux sofa déchiré par les griffes d’un chat mort depuis longtemps.

Il a souvent songé retourner à la SPA pour en adopter un autre. Un gros matou noir ou tigré, une compagnie discrète mais fidèle. Il n’a jamais aimé les chiens, trop dociles, trop obéissants. Leur a toujours préféré les chats.

Une fois la mission terminée, peut-être se laissera-t-il convaincre.

Son regard flotte sur les lumières de la ville qui s’invitent dans son modeste appartement.

Il ne se lasse pas de repasser le film de sa soirée. Le visage de Reynier, la terreur qui s’imprime au fond de ses yeux clairs. Ses mains crispées puis qui tremblent.

Longues secondes d’une jouissance extrême. Son cœur, qui bat à nouveau, réanimé par un mélange d’adrénaline et de plaisir.

Des moments comme celui-là, il y en aura d’autres. Très bientôt.

Et chaque seconde sera une bénédiction.

* * *

Maud est à sa fenêtre.

Sa chambre est devenue une cellule. Ou un refuge. Elle ne sait plus vraiment.

Elle se rend compte qu’elle n’a plus quitté la propriété depuis des jours.

Elle se rend compte qu’elle sombre, lentement.

Les cauchemars nocturnes succèdent à cet étrange sentiment de chagrin qui l’accable du matin au soir.

Elle ne pense qu’à Luc. Prisonnière d’une obsession dévastatrice. Qui ne laisse la place à rien d’autre.

Elle a envie de se taper la tête contre les murs. Comme si ça pouvait vider son cerveau, expurger le mal qui la ronge.

Les lumières du studio sont encore allumées, alors elle attend. Elle espère. L’apercevoir quelques secondes, entre les branches du grand cèdre. Voler un instant de son intimité, ajouter une nouvelle image à sa collection.

Marianne est jeune, brillante, promise à un grand avenir.

Marianne est belle. La plus belle femme à ses yeux.

Comment lutter ?

Parfois, Maud retrouve du courage. Reprend confiance.

Parfois, elle a envie de mourir.

Marée haute, marée basse, Maud finira par se noyer dans ses tourments. Comme elle se noie dans ses cauchemars.