Comme elle l’ignore toujours, il se fait plus persuasif.
— Tu sais, je peux passer ma journée dans le couloir, s’il le faut… Je sais me montrer patient !
Il soupire face à la porte close.
— Allez, Maud, je t’en prie…
Il ferme les yeux un instant.
— Tu veux que je te supplie, c’est ça ?… Maud ?… Je te préviens, si tu ne réponds pas, je défonce la porte !
Enfin, la clef tourne dans la serrure et la jeune femme apparaît. Luc tente un sourire un peu coupable. Un regard tendre.
En face, une sorte d’iceberg. Prêt à fondre, il le sait.
— Tu me laisses entrer ?
Il n’attend pas la réponse et s’invite dans la chambre. Elle claque la porte derrière lui et croise les bras. Luc s’approche du bouddha en bois, caresse son crâne lisse et brillant. C’est alors qu’il remarque le couteau de cuisine qui traîne sur la moquette. Il ressent un choc violent.
Cette nuit, elle s’est mutilée.
À cause de lui.
— Je crois qu’il faut qu’on ait une discussion, toi et moi.
— À quel sujet ?
Elle essaie de rester froide et distante. Alors qu’elle est sur le point de pleurer.
Luc aimerait être ailleurs mais ne peut s’empêcher de la trouver touchante.
Touchante et incroyablement belle.
Plus aucune trace de l’agression sur son visage. Juste une dernière marque à la base de son cou gracile.
— On s’assoit ? propose le jeune homme.
Il se pose sur le lit défait, mais elle demeure à distance, sur la défensive.
— Tu me détestes, c’est ça ? demande Luc.
Elle est tellement surprise que sa bouche s’entrouvre. Mais aucun mot ne sort. Elle détourne son regard, incapable de répondre. Ou de mentir.
Elle contemple le sol, puis le mur.
— Donc, tu ne me détestes pas, en conclut Luc. C’est déjà une bonne chose !… Allez, Maud, vide ton sac. Balance ce que tu as sur le cœur.
Comme elle garde toujours le silence, il s’approche d’elle. Sa poitrine se serre douloureusement, ses ultimes défenses s’effondrent. Il la prend par les épaules, la regarde droit dans les yeux. Puis il l’attire contre lui et la serre dans ses bras. Si fort qu’elle cesse de respirer.
Alors, elle se met à pleurer.
— Ne pleure pas, je t’en prie, murmure Luc. Amanda ne compte pas, tu sais. C’est juste… On a passé quelques moments ensemble, c’est vrai, mais elle ne compte pas. Et elle n’en a rien à foutre de moi… C’est la vérité !
Les sanglots de Maud deviennent plus violents encore et Luc continue à l’étreindre avec force.
— Toi, tu comptes pour moi, ajoute-t-il. Toi, tu comptes vraiment…
Soudain, elle se dégage de son emprise et recule.
— Tu mens ! hurle-t-elle. Tu mens, espèce de salaud !
— Non, je ne mens pas ! jure le jeune homme.
— Alors pourquoi tu couches avec elle et pas avec moi ?
Luc fait quelques pas dans la pièce, comme on récupère ses forces entre deux rounds.
— Parce que toi, je te respecte. Voilà pourquoi.
Les lèvres de Maud se remettent à trembler. Les larmes continuent de couler, connaissant le chemin par cœur.
— Ça me fait mal de te voir pleurer, reprend Luc. Je te jure que ça me fait mal…
Maud secoue la tête, comme si elle refusait de le croire.
— Je ne suis pas un mec pour toi, Maud. Je ne pourrai jamais l’être. C’est comme ça, on n’y peut rien…
— Mais pourquoi tu dis ça ? sanglote-t-elle.
— Parce que je le sais. Et je voudrais que tu arrêtes de souffrir à cause de moi… Je le voudrais, plus que tout au monde.
Il la regarde se noyer dans ses larmes et ne peut se résoudre à rester éloigné d’elle. Alors, il la serre à nouveau contre lui et elle se laisse faire.
— Un jour, tu verras que j’ai raison, murmure-t-il.
— Non !
— Si, Maud. Fais-moi confiance.
Elle s’accroche désespérément à lui.
— Nous deux, ce n’est pas possible. Pas comme ça… Il faut que tu le comprennes. Que tu l’acceptes.
Il l’accompagne jusqu’au lit et la fait asseoir. Il reste près d’elle, passe un bras autour de ses épaules.
— Déteste-moi si tu veux. Insulte-moi, si ça peut te soulager ! Mais arrête d’avoir mal à cause de moi, je t’en supplie…
La journée a été éprouvante. Épuisante, même. Il a enchaîné les opérations, malgré le manque de sommeil, malgré l’angoisse. Encore un jour où il aurait pu provoquer l’irréparable.
Comme le jour où il a tué le petit Dimitri.
Reynier n’arrête pas d’y penser. Alors qu’il avait refoulé cette histoire au plus profond de son âme, voilà que désormais elle le hante. Jour et nuit.
Sans doute parce qu’il n’a pas payé pour son crime.
Mais cela ne tardera plus.
Il est sur la route, il vient de dépasser Grasse. Il scrute chaque intersection, ne cesse de regarder dans son rétroviseur, craignant à chaque instant de voir un utilitaire blanc.
Un homme armé.
La mort au tournant.
La peur au ventre.
Enfin, le portail apparaît et la Porsche remonte l’allée jusqu’au garage. Armand se rend directement chez son garde du corps. Les deux hommes s’installent à l’intérieur, par souci de discrétion. Armand commence par lui retranscrire en détail la conversation qu’il a eue le matin même avec l’inconnu.
— Il dit qu’il n’a pas peur de vous, précise-t-il. Que vous êtes un avorton, un petit gars qui a peur de son ombre… Je cite.
Luc sourit, un peu crânement.
— Eh bien qu’il vienne me le dire en face. Je me ferai un plaisir de lui faire ravaler ses belles paroles, à ce connard.
— Luc, acceptez-vous de m’accompagner pour la remise de l’argent ?
Le jeune homme met quelques secondes à répondre. Laissent planer un terrible doute dans l’esprit du chirurgien.
— Oui, dit-il finalement. Je serai là.
— Merci… Merci beaucoup.
— Quand va-t-il dicter ses instructions ?
— Il doit me rappeler demain soir pour me le dire.
— Et l’argent, vous l’aurez ?
— Pas le choix. J’ai déjà contacté ma banque, ils me le fileront demain en fin d’après-midi. Ils ont rechigné, mais je les ai menacés de clôturer tous mes comptes. Ça les a décidés !
— Je viendrai avec vous à la banque. Mieux vaut ne pas vous balader seul avec une telle somme.
Reynier hoche la tête.
— Ceci dit, reprend Luc, je trouve qu’il n’est pas très gourmand. Deux cent cinquante mille euros… il aurait pu demander plus !
— On voit que c’est pas vous qui payez ! s’offusque le professeur.
— Pardon, je sais bien que c’est une somme, mais…
— Vous n’avez pas tort, concède Armand. Et qu’est-ce que vous en concluez ?
Luc soupire.
— Rien de précis, dit-il. J’ai seulement peur qu’il revienne à la charge plus tard.
— Vous pensez qu’il va me faire chanter jusqu’à la fin de mes jours, c’est ça ?
— On ne peut pas l’exclure, malheureusement.
Les épaules de Reynier s’affaissent subitement.
— Manquerait plus que ça…
Puis le professeur se redresse et ajoute :
— Bon Dieu, si jamais il ne nous laisse pas tranquilles après ça, je vous garantis que je lui fous un contrat sur la tête !
Luc ne répond pas. Il sait Reynier capable de ça et de beaucoup d’autres choses.
— Et vous ne voulez toujours pas prévenir la police ? essaie-t-il.