— Tu crois ?
— J’en suis sûr.
— Bon, en tout cas, faut qu’on fasse vachement gaffe maintenant.
— C’est clair, acquiesce le jeune homme. J’ai pas envie qu’il te vire à cause de moi…
Elle termine sa liste de courses et partage un café avec lui.
— Y a du courrier ? demande Luc.
— Oui, mais pas de lettre de maman pour toi, ce matin ! répond la gouvernante d’un ton légèrement moqueur.
Un peu vexé, Luc hausse les épaules.
— C’est quoi ton programme aujourd’hui ? reprend-elle.
— J’ai plus le droit de sortir faire mon jogging et j’ai des fourmis dans les jambes ! Alors je vais aller dans le garage me défouler un peu… Et puis à seize heures, je dois aller récupérer le boss à la clinique.
— Pourquoi ? Il est parti à pied ?
— Non, c’est un de ses collaborateurs qui est venu le chercher et moi, je prendrai la Porsche.
Face au regard interrogateur de la gouvernante, Luc essaie de trouver une explication plausible sans toutefois lui révéler la vérité.
— Il veut que je l’accompagne ce soir pour un rendez-vous à sa banque. Il doit retirer une somme importante, je crois. Et il préfère que je sois là au cas où. C’est mon boulot, après tout…
— Il devient parano, ou bien ? Ce type, celui qui a agressé Maud, il représente toujours un danger ?
— On ne sait jamais… Et comme il ne veut pas laisser Maud ici toute seule, il va falloir que je l’emmène.
— Elle n’est pas seule, je suis là, rappelle Amanda.
Luc sourit.
— Je ne suis pas sûr que tu sois un garde du corps efficace !
Elle se pose sur ses genoux, passe ses bras autour de son cou.
— J’ai d’autres qualités, non ?
— D’innombrables qualités, concède Luc en l’embrassant.
L’homme rentre dans son appartement avec un sac de supermarché à la main. Il dépose tout sur la table de la cuisine puis ouvre la fenêtre. Aujourd’hui, temps superbe, températures encore chaudes.
Aujourd’hui, c’est jour de paye.
Bien sûr, il aurait pu demander plus. Car Reynier est richissime. Mais cela aurait immanquablement incité la banque à alerter la police.
Bientôt, il aura une coquette somme d’argent à dépenser et doit songer à ce qu’il va en faire.
Il pourrait quitter ce taudis et s’offrir un petit appartement neuf, bien à lui. Avec un bout de jardin, peut-être, histoire que le chat qu’il compte adopter puisse se dégourdir les pattes.
Un bout de jardin où le petit garçon pourrait s’amuser après avoir fait ses devoirs.
Il pourrait s’offrir une belle voiture, aussi. Et un nouveau canapé.
Il pourrait quitter le pays. D’ailleurs, ça vaudrait mieux, vu ce qu’il s’apprête à faire…
S’installer dans un pays chaud où la vie coule doucement, au rythme des vagues et des rires d’enfants.
Il n’a pas encore décidé. Y réfléchira une fois la mission terminée.
Du sac, il sort un paquet de pâtes, un bocal de sauce, un pack de yaourts aux fruits, quelques tranches de jambon, une baguette de pain et un fromage industriel. Sans oublier le pot de Nutella qu’il range consciencieusement à côté des autres sur l’étagère.
— Tu vois, dit-il au petit garçon, je n’ai pas oublié ! Et pour midi, j’ai prévu des penne rigate avec une sauce aux champignons. Comme tu aimes ! Pour le dessert, yaourt. Ça te va ?
Alors qu’il espère une réponse, son portable se manifeste bruyamment. Lorsqu’il voit le numéro, il sourit et décroche.
— C’est moi, dit la voix.
— Je sais. Alors, comment va notre cher professeur ?
— On dirait bien qu’il flippe comme un malade !
— Tant mieux ! se réjouit l’homme. Et il n’a pas fini d’avoir les foies…
— J’y compte bien !… J’ai quelques infos intéressantes pour vous, continue la voix.
— Je vous écoute, dit l’homme en s’asseyant en face de la photo.
Luc frappe trois coups et patiente.
Comme il n’obtient pas de réponse, il frappe à nouveau.
— Maud ?
Il est pourtant sûr qu’elle n’a pas quitté sa chambre depuis le déjeuner. À moins qu’elle n’ait filé en douce ?
Il teste la poignée qui ne lui offre aucune résistance et entrouvre la porte.
— Maud ?
La pièce est plongée dans la pénombre mais il distingue la jeune femme étendue sur son lit. Il s’approche, un peu embarrassé, et s’arrête net en voyant qu’elle a les yeux ouverts et arbore un drôle de sourire.
— Maud, ça va ?
Elle redresse la tête et son regard met quelques instants à revenir du monde imaginaire.
— Luc ?
— J’ai frappé, mais comme tu ne répondais pas…
Elle s’assoit sur le lit et passe une main dans ses cheveux ébouriffés. On la dirait dans une sorte d’état second.
— Qu’est-ce qui t’arrive ? demande Luc.
— Rien. Je dormais, c’est tout.
— Avec les yeux ouverts ?… Il faudrait te préparer, on ne va pas tarder à partir.
— Je viens pas, dit-elle en s’étirant.
Luc soupire et croise les bras.
— Si, tu m’accompagnes. Ce sont les ordres de ton père.
— Je ne reçois d’ordre de personne…
— Peut-être, mais moi oui. Et comme tu le sais, il m’a demandé de t’emmener.
Il va ouvrir les volets et Maud se précipite vers son secrétaire pour fermer le couvercle de la boîte en bois. Elle donne un tour de clef rapide tandis que Luc l’observe. Elle a titubé, ça ne lui a pas échappé.
— Qu’est-ce que tu caches, là-dedans ? demande-t-il d’un ton suspicieux.
— Rien du tout, assure-t-elle. Écoute, Luc, je suis désolée pour hier. Je ne voulais pas…
— J’ai pas envie qu’on parle de ça, tranche le jeune homme d’une voix dure.
— Tu m’en veux ?
— Habille-toi, s’il te plaît.
Grâce à la lumière du jour, il aperçoit quelques résidus de poudre blanche à la base de sa narine droite. Aussitôt, il comprend.
Pourtant, il ne dit rien.
— Je ne t’accompagne pas, annonce Maud. Je vais aller chez une copine. Là-bas, je serai en sécurité, non ?
Luc lève les yeux au ciel. Puis il prend son portable et compose le numéro de Reynier.
— Professeur ? C’est Luc. Désolé de vous déranger, mais j’ai un problème avec Maud. Elle refuse de venir avec moi…
Après quelques secondes, il lui tend le téléphone.
— Ton père veut te parler.
À son tour, Maud lève les yeux au ciel. Luc s’assoit sur le lit pendant que la fille parlemente avec son père. Au bout de deux minutes, elle lui rend le téléphone.
— Bon, c’est réglé. Papa accepte que tu me déposes chez Mélina avant que tu ailles le chercher et vous me récupérerez après la banque.
— Très bien, dit Luc d’un ton sec. Je t’attends en bas.
Luc ne cesse de regarder l’heure sur le tableau de bord. La circulation est dense, il craint d’arriver en retard à la clinique. Il n’a pas adressé la parole à sa passagère depuis leur départ de Grasse, la tension est palpable.
— Tu n’as qu’à me déposer là, dit soudain Maud. Je finirai à pied.
— Hors de question.
Elle se renfrogne et monte le son de l’autoradio. Enfin, ils arrivent chez les parents de Mélina. Un bel immeuble, sur une des artères prisées de la ville.