— Soulève tes bas de pantalon…
Le garde du corps s’exécute et l’inconnu semble enfin satisfait.
— Remets-toi à genoux, ordonne-t-il.
Luc s’agenouille juste devant les deux prisonniers et met les mains derrière la nuque.
— Voilà un garçon obéissant et bien élevé, hein, professeur ? Pas terrible comme garde du corps, mais plutôt sympathique.
— J’ai fait ce que vous m’avez demandé, répond Armand. J’ai récupéré l’argent et vous pouvez le prendre.
— Je vais me servir, t’inquiète. Mais rien ne presse, non ? Au fait, où est Maud ? Dommage qu’elle ne soit pas là, cette petite !
— Elle est en sécurité, affirme Luc.
L’homme secoue la tête.
— Me voilà bien déçu ! soupire-t-il.
Le chirurgien ferme les yeux et lorsqu’il les rouvre, il tombe sur ceux de son garde du corps. Qui ne recèlent aucune peur. Seulement une intense concentration.
L’inconnu fait quelques pas et s’arrête derrière Luc.
— Tu vois, fait-il à l’intention de Reynier, j’ai terriblement envie de t’exploser la tronche à coups de barre de fer…
Le cœur du chirurgien accélère encore. Pourtant, Armand croyait avoir atteint la limite.
— Te briser les genoux, les bras, les reins… Pas te tuer, non ! Ce serait trop rapide. Pas assez douloureux ! Plutôt te foutre sur un fauteuil roulant pour le reste de ta pitoyable existence. Ou te transformer en légume, comme le petit Lukas…
Reynier sent une goutte glacée descendre le long de sa tempe.
— Je ne sais pas ce que vous me reprochez, mais je peux vous donner plus d’argent.
— Ta gueule. Tu parles quand je te le demande, compris ?
Armand s’empresse de hocher la tête.
— Ouais, je voudrais bien m’amuser avec toi, mais le souci, c’est qu’ensuite tu ne pourrais plus aller bosser. Et si tu ne vas plus bosser, tu ne pourras plus me filer de pognon… Quel dilemme !
Le colosse fait encore quelques pas, comme s’il méditait.
— Parce que finalement, deux cent cinquante mille, c’est pas beaucoup.
— Je vous donnerai plus ! promet Armand.
— Je vais y penser. Te tuer ou te piquer ton blé. Les deux, peut-être… Ça te laisse donc un petit sursis, professeur !
Reynier avale bruyamment sa salive. Il a l’impression que l’homme serre ses mains autour de sa gorge.
— Mais je ne voudrais pas que tu croies que je suis un faible, ajoute le géant avec un drôle de sourire. Je veux que tu saches à qui tu as affaire. Et de quoi je suis capable si jamais tu me contraries ou que tu préviens les flics…
Soudain, avec la crosse de son Cougar, l’homme frappe Luc en haut du dos. Le jeune homme s’effondre vers l’avant dans un cri de douleur.
— Alors c’est le petit gars qui va morfler à ta place, poursuit l’inconnu d’un air désolé. Remarque, c’est pour ça que tu le payes, non ?
Luc tente de se relever, l’homme lui assène un coup de pied dans les côtes, suivi de plusieurs dans le ventre.
— Arrêtez ! s’écrie Armand.
Mais le colosse ne semble pas l’entendre. Il continue à frapper Luc, toujours à terre.
Avec ses poings, ses pieds, son arme.
Luc se protège comme il peut et parvient à attraper la cheville de son agresseur. L’inconnu tombe lourdement sur le parquet et lâche son pistolet. Les deux hommes se retrouvent au sol, dans un corps à corps inégal.
Luc est déjà trop faible pour se mesurer à ce titan, doué d’une force phénoménale. Il lui assène quelques coups, mais l’homme prend vite le dessus et se remet à tabasser Luc avec plus de violence encore.
Un coup de pied en pleine tête met fin à la résistance du garde du corps. Alors, l’homme essuie le sang qui coule de sa bouche et se penche vers Luc. Allongé sur le ventre, il ne bouge plus.
— Je ne vais pas te tuer, mon petit gars, murmure-t-il. Sinon, notre ami le docteur froussard serait obligé d’alerter les flics. Et ce serait moins drôle, si tu n’étais plus là… Vraiment trop facile !
Puis il récupère la mallette, l’ouvre pour en vérifier le contenu. Un large sourire de satisfaction se dessine au travers de la cagoule.
— Je serais volontiers resté dîner avec vous, professeur, mais je vais devoir y aller. J’aimerais juste que vous me fassiez un dernier petit cadeau…
Il se poste devant la chaise et s’abaisse jusqu’à ce que ses yeux soient à la même hauteur que ceux de Reynier.
Un regard que le chirurgien n’oubliera jamais.
— La clef de la Porsche, ordonne-t-il.
— C’est… C’est… Luc qui l’a, dit Armand. Dans… sa poche.
L’homme fouille la veste de Luc et trouve la télécommande.
— Génial ! dit-il. Et comment j’ouvre le portail ?
— Dans le vide-poche de la voiture, répond le chirurgien.
— Bonne soirée, messieurs-dame.
Il quitte la pièce et Armand entend sa propre voiture démarrer et sortir de la propriété.
40
— Luc ? Vous m’entendez ?
Reynier se tortille sur sa chaise pour tenter de se libérer. Amanda, elle, a cessé d’essayer. Immobile, comme foudroyée, elle contemple le corps inerte de Luc.
Cela fait un quart d’heure que l’homme est parti. Ils ont pourtant l’impression d’être attachés depuis des heures. Et Reynier a terriblement peur que le tueur ne décide de revenir pour l’achever.
— Luc ! hurle-t-il. Réveillez-vous, bon sang !
Il parvient à se déplacer avec sa chaise et s’approche du jeune homme étendu sur le parquet. À l’aide de son pied, il le secoue doucement.
— Luc, par pitié, réveillez-vous…
Au bout de quelques secondes, le jeune homme émet un son, sorte de râle de douleur.
— Vous m’entendez ? espère Reynier.
Luc ouvre les yeux, bouge une main. Lentement, il revient à lui. Il parvient à se tourner sur le côté, voit les chaussures de son patron.
Le problème, c’est qu’il en voit quatre.
— Comment vous vous sentez ?
Du sang coule de son arcade et de son nez. Il a du mal à garder les yeux ouverts.
— Répondez-moi, s’il vous plaît, s’acharne Armand. Essayez de dire quelque chose !
— J’ai mal…
— Surtout, ne faites pas de mouvement brusque…
Le jeune homme s’assoit et manque de basculer en arrière. Puis il se met à quatre pattes et s’aide de la chaise pour se relever complètement. Mais une fois debout, il titube comme s’il était ivre mort et s’écroule à nouveau.
— Restez assis et essayez de me détacher, conseille Armand. Pour que je puisse m’occuper de vous…
Luc s’aide à nouveau de la chaise et parvient à garder l’équilibre. Assis, il tente de dénouer les liens. Le sang coule dans son œil gauche, lui brûlant la cornée.
Très vite, il détache le professeur et se laisse retomber sur le parquet, à bout de forces. Reynier délivre rapidement Amanda, qui l’aide à traîner Luc jusque sur le canapé.
— Allez me chercher ma trousse, ordonne le chirurgien. Et apportez de l’eau… Dépêchez-vous !
Amanda se précipite vers la cuisine tandis que Reynier prend le pouls du jeune homme.
— Vous arrivez à parler ?
— Oui…
— Dites-moi ce que vous ressentez.
— J’ai mal… à la tête. Et… au dos et… au ventre.
Le professeur déboutonne la chemise blanche tachée d’hémoglobine et palpe l’abdomen de son patient. Luc pousse un cri de douleur et se recroqueville sur lui-même.
— Désolé… Apparemment, aucun organe vital n’est touché, annonce Reynier. Mais vous avez peut-être une côte pétée.