Amanda revient enfin avec le nécessaire et le chirurgien commence les soins.
Et pour la première fois de sa vie, ses mains tremblent pendant qu’il exerce son métier.
— Pourquoi c’est pas Luc qui est venu me chercher ? demande Maud en montant dans l’Audi.
— Il a dû rester à la maison.
— Et pourquoi tu as pris la bagnole de Charlotte ?
— Écoute, Maud, il s’est passé quelque chose…
— Quoi ?
Reynier redémarre et s’arrête cinquante mètres plus loin à un feu rouge.
— Il est venu chez nous.
— Qui, il ?
Subitement, Maud comprend. Elle reste bouche bée un instant. Puis la voiture redémarre nerveusement.
— Il est rentré chez nous ?
— Oui.
Son père lui expose rapidement les faits, omettant toutefois de répéter les paroles du maître chanteur.
— Il a pris l’argent.
— Et Luc, il n’est pas intervenu ?
— Comme je te l’ai dit, le type menaçait Amanda avec une arme, alors Luc n’a rien pu faire…
— Amanda est blessée ?
— Très légèrement, répond son père. Mais Luc, c’est plus sérieux.
— Luc ?
— Oui, ma chérie. Mais je m’en suis occupé. Il se repose et je suis sûr qu’il va vite récupérer… Il est solide, tu sais.
— Putain, mais c’est pas vrai ! Il faut appeler les flics, papa ! Faut arrêter tes conneries ! Et si tu ne le fais pas toi-même, je…
Armand donne un coup de frein brutal et Maud est projetée vers l’avant.
— Merde ! s’écrie-t-elle. T’es malade, ou quoi ?
— Écoute-moi bien, il est hors de question de mêler la police à cette histoire. Si jamais ils sont au courant, je perdrai tout ce que j’ai et je finirai en taule. Tu comprends ça ?
— Mais…
— Et ce n’est pas le pire : si je préviens la police, il te tuera, Maud. Tu entends ?
Les lèvres de la jeune femme se mettent à trembler. La seconde d’après, elle commence à pleurer.
— Je suis vraiment désolé, murmure son père. Mais je vais trouver une solution… Je te le promets.
Maud entre dans la chambre à pas de loup. La lampe de chevet est allumée et Luc semble dormir. Torse nu, allongé sur le côté, il respire doucement.
La jeune femme s’assoit par terre, près du lit, pour le regarder en silence.
Soudain, il ouvre les yeux.
— Luc ? Comment tu te sens ?
— J’ai connu mieux…
Il a un pansement énorme sur le front, la lèvre supérieure explosée et un poignet bandé. Sur son abdomen, plusieurs taches sombres et larges commencent à apparaître.
Maud se revoit après l’agression.
— Tu as mal ?
— Un peu…
— Si j’avais été là, commence Maud, il…
— Si tu avais été là, il s’en serait pris à toi, coupe Luc.
— Ç’aurait été mieux.
— Ne dis pas n’importe quoi, soupire le jeune homme.
Il essaie de bouger, laisse échapper un gémissement. Puis il se met à claquer des dents. Maud file dans la salle de bains et revient avec une petite serviette mouillée qu’elle applique sur le front du blessé.
— Merci, murmure-t-il.
— Je vais rester avec toi cette nuit. Comme ça, si tu…
— C’est gentil, mais je préfère être seul.
Maud encaisse en silence.
Seul, plutôt qu’avec elle.
Aurait-il ainsi rejeté Amanda ?
— Tu as besoin de quelque chose ? demande-t-elle.
— Non, merci… Je vais essayer de dormir un peu.
— Je te laisse, alors. Et je suis à côté si tu as besoin… N’hésite pas.
— D’accord, dit Luc en fermant les yeux.
Dès que Maud a quitté la chambre, il rouvre les paupières. Avec des gestes précautionneux, il parvient à s’asseoir sur le lit. Puis il attrape son paquet de cigarettes et s’installe sur une chaise, près de la fenêtre.
La nuit est déjà tombée, les lumières du parc se sont allumées. Marianne monte l’allée, s’arrête sous sa fenêtre et lui sourit tendrement. Le visage de Luc se détend instantanément, comme si la douleur s’était évaporée.
Marianne a toujours été une magicienne…
Un bruit lui fait tourner la tête ; Reynier vient d’entrer dans la chambre, chargé d’un plateau-repas qu’il pose sur le lit.
— Vous ne devriez pas fumer dans votre état, reproche-t-il.
Luc tire une dernière bouffée avant de jeter son mégot dans le parc. Marianne s’est volatilisée, le charme est rompu.
Quand le jeune homme se remet debout, une violente douleur lui cisaille le ventre. Il se plie en deux et Armand vole à son secours, l’aidant à regagner le lit.
— Il ne faut pas vous lever.
— J’avais envie d’une clope, grogne Luc.
Reynier place deux oreillers dans son dos et lui présente le plateau.
— Amanda vous a préparé un repas léger.
— Merci, mais j’ai pas faim.
— Mangez au moins quelque chose, dit Reynier en s’installant près du lit.
La présence d’Armand finit de lui couper l’appétit. Mais s’il veut retrouver sa chère solitude, mieux vaut qu’il obéisse.
— J’ai mis l’alarme, annonce Reynier. Et Amanda dormira dans le salon. Elle a peur de rester seule dans son appartement.
— Comment va-t-elle ?
— Elle est choquée. Mais elle tient le coup.
— Qu’est-ce qu’il lui a fait avant qu’on arrive ?
— Elle est tombée nez à nez avec lui dans la cuisine et il l’a forcée à se dévêtir avant de l’attacher sur la chaise. Mais elle m’assure qu’il ne l’a pas touchée.
— Je l’espère, dit Luc en essayant d’ingurgiter une bouchée de pain. Je suis désolé, monsieur.
— Désolé de quoi ?
— J’aurais dû arriver à le maîtriser et j’ai échoué.
— J’étais là, rappelle le chirurgien, j’ai tout vu. Et je sais que vous avez tout tenté.
— N’empêche que je n’ai pas été à la hauteur ! Mais ce type a une force incroyable… Est-ce que vous l’avez reconnu ? C’est le père du petit Dimitri ?
— Difficile à dire, avoue le professeur. La carrure, ça pourrait être ça. La taille, aussi. Mais comme je n’ai pas pu voir son visage… Remarquez, je ne m’en souviens pas vraiment, alors…
— En tout cas, il a la haine contre vous, c’est certain.
— C’est forcément lui ! Je ne vois pas qui d’autre pourrait m’en vouloir à ce point… Et puis de toute façon, il y a les dates sur les messages.
— OK pour le 16 mars, dit Luc. Mais le 19 septembre ? Et le 11 janvier ?
Reynier hausse les épaules, se donnant un temps de réflexion.
— Le 19 septembre, c’est pour me rappeler que je tiens à Maud. Quant au 11 janvier, ça me semble clair : ça veut dire que je pourrais perdre ma seconde femme… Revivre ce que j’ai vécu le 11 janvier 1998.
— Ça tient la route, admet Luc.
— Vous ne mangez rien d’autre ?
— Non, je ne peux pas, répond le jeune homme en repoussant le plateau.
— Amanda ne va pas être contente ! sourit Armand.
— Elle comprendra.
Reynier sort deux plaquettes de médicaments de sa poche et tend quatre comprimés à Luc.
— Prenez ça.
— C’est quoi ?
— Ça calmera un peu vos douleurs. Et ça vous aidera à dormir.
— Merci…