La Gretta murmure en désignant le dossier d’un feuillet :
— J’ai pris connaissance de ces maigres notes : pas grand-chose à vous mettre sous la dent, n’est-il pas ?
Elle parle le français, la divine, sur construction britannouille certes, mais île-nain-porte.
J’aimerais bouffer son accent dans sa bouche. Lui vote un sourire émaillediamanté qui réveillerait une chauve-souris dans son sommeil.
— Je suppose, murmure-t-elle, que vous allez commencer par rencontrer cette Margaret Ferguson chez qui votre homme a séjourné plusieurs mois ?
— Exactement !
— Prévoyant votre réaction, j’ai fait préparer un avion du gouvernement pour vous conduire à Keelmanshop.
— C’est très aimable à vous, assuré-je-t-il.
Tout en me disant que si cette péteuse fringante espère nous dicter notre conduite, elle ne tardera pas à tomber sur un os de mammouth.
13
Nous nous envolâmes le lendemain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la savane, à bord d’un Riboustin 14 de l’armée namibienne. Cet appareil fait pour survoler les brousses a une capacité de vingt-cinq places. Propulsé par deux moteurs Broncoli, sa vitesse de pointe est de six cents kilomètres-ciel et son rayon d’action de six mille kilomètres trois cent quarante-deux (hors tout, service compris).
J’étais assis au côté de Gretta, au premier rang ; mes deux collaborateurs se tenaient loin derrière. Béru avait choisi la dernière rangée car elle se composait de trois fauteuils contigus, si bien qu’en soulevant les accoudoirs, il s’était confectionné une couchette sur laquelle il s’octroyait un complément de sommeil.
Ma voisine portait un short de couleur sable qui se mariait parfaitement avec son bronzage, ainsi qu’une chemise de brousse garnie de poches à soufflets. Elle avait aux pieds des mocassins de cuir extra-souple qui donnaient la nostalgie de l’Italie. Son grand sac gibecière gisait ouvert sur le sol. Elle y puisait sans vergogne (ayant oublié sa vergogne sur la commode de sa chambre) des cigarettes à l’odeur de miel brûlé qui m’eussent flanqué la gerbe si je n’avais été à ce point fasciné par ses cuisses, sa gorge et sa divine blondeur.
Tu n’ignores pas combien je suis un homme discret. J’appartiens à ce genre de mecs qui enfoncent de la mie de pain dans les trous de serrure pour ne pas voir baiser les locataires de la chambre à côté. Ma déformation poulardière m’a affublé d’un œil de lynx, aussi aperçus-je dans une poche interne du sac, une boîte de préservatifs qui devaient se montrer à toute épreuve, étant de fabrication germanique. J’augura bien de cette découverte, me doutant que la superbe fille n’emportait pas ces capuchons à cierges pour en confectionner des ballons.
Elle avait capté mon coup de périscope et en riait comme d’une aimable farce.
— Seriez-vous indiscret ? demanda-t-elle.
Je dus rougir telle une plaque d’eczéma surmené et bafouilla miséreusement, ce qui eut l’heur de la ravir tout à fait.
— Pardonnez-moi, miss : certains regards nous échappent.
— C’est naturel, en convint-elle.
J’ajouta :
— Cela me permet de constater que vous êtes une personne prudente.
— Il le faut absolument dans un pays où le sida est en pleine expansion, du fait de l’inconséquence des Noirs.
Je fus dérouté, hésita, puis demandis :
— Dois-je comprendre que vous avez des relations privilégiées avec eux ?
— Comment échapper à cette nécessité ? Ce sont d’excellents partenaires, généralement bien constitués, et qui changent des Allemands ou autres Anglais qu’on a à se mettre sur le ventre.
La crudité de son langage me surprisit. Je préfère les dames bien élevées, tout en espérant qu’elles soient salopes dans le privé. Nous appartenons à une civilisation tartufière qui continue de distribuer des satisfecit au grand jour et se masturbe dans les coins d’ombre.
— Croyez-vous, demandai-je, quelque peu mortifié de ce que ses élans du cul l’éloignassent de la race blanche à laquelle j’appartiens par inadvertance, croyez-vous qu’il n’existe pas de bons partenaires dans l’hémisphère Nord de notre planète ?
— Bien sûr que si ! se récria Fräulein Dübitsch. J’ai fréquenté voici quelques années un Italien extrêmement expert, dont chacune des éjaculations valait une toile de Léonard de Vinci. Mais il s’agit d’un cas isolé. Il m’est arrivé également de faire l’amour avec un Suisse doué d’une parfaite technique.
— Des Français ? risquai-je, poussé par un puéril nationalisme de sommier.
— Un seul ; un alcoolique qui pleurait en jouissant. Il ne m’a pas laissé un souvenir impérissable, d’autant qu’il était membré assez chichement.
Ces propos irritaient mon chauvinisme. Je me sens de mon pays comme d’une religion et suis toujours disposé à briser quelque vase de Soissons sur la gueule de ceux qui le vilipendent.
— Ma chère, dis-je-t-il d’un ton pincé, je vais entreprendre une croisade pour réhabiliter le sexe de mes compatriotes. Pour commencer, je voudrais vous soumettre quelque chose qui ne laissera pas que de vous intéresser.
Je fis alors un geste inhabituel chez moi : je sifflis entre mes doigts comme un rôdeur de barrières du début de siècle. Béru en fut réveillé. Il se mit sur son séant et questionna, la bouche pâteuse :
— Quoi-ce ?
— Viens çà, ami ! lui lançai-je.
Il geignit, mais quitta ses trois sièges pour nous rejoindre.
— Gros, l’attaquai-je, mademoiselle ici présente déclare que nous autres Français sommes montés comme des ouistitis, il me serait agréable que tu infliges un démenti à cette assertion.
— En somme, t’ veuilles qu’ j’y déballasse ma chopine ? crut-il bon de traduire.
— En somme, oui.
— Ça pouvait pas mieux tomber, admit ce militant du chibre, que just’ment l’avion m’ file la trique.
Il dégrafa posément son bénoche et le laissa tomber sur ses baskets. Derrière le pan avant de sa limouille, ça remuait ferme. Le Gravos le releva avec une lenteur savante de strip-teaseuse, découvrant à la Teutonne éblouie un braque de réputation internationale sur lequel la faculté de médecine possède un droit de préemption.
— Oh mon Dieu ! fit-elle : en allemand, en anglais, en français et en comprimant ses seins généreux.
Le gourdin du Mastard acquiesçait lentement de sa grosse tête violacée dans laquelle un œil de cyclope considérait la fille avec concupiscence.
Cette massue de chair effrayait et fascinait tout à la fois, ce qui est fréquent en matière d’anomalies.
— Puis-je toucher ? risqua notre cicérone femelle.
— C’est fait pour, assura noblement le propriétaire de l’engin.
Elle avança sa main cupide qui ne put encercler le monumental objet d’art.
— Incroyable !
Elle hésita et murmura :
— J’aimerais l’embrasser.
— Gênez-vous pas. S’ lement je préfère préviendre qu’ si c’ t’ bête est trop cajolée, é fait comme les baleines : a l’y va d’ son jet d’ vapeur : vous risquez d’écoper d’un masque de beauté, maille darlinge !
Mais notre accompagnatrice ne l’écoutait plus et se lançait dans une turlute d’une voracité que je n’avais encore jamais rencontrée.
— Eh ! mollo, ma grande ! protesta le Gigantesque. C’est pas un plancher qu’ vous rabotez ! Si vous m’ tutoyez l’ Nestor pour en faire des copeaux, j’aime mieux êt’ essoré à la manivelle, môme. V’ s’ êt’ c’ pendant pas angliche, pour m’ racler l’ memb’ kif c’ s’ rait un’ carotte !