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Le docteur Saabist était arrivé à Klérambâr en compagnie de son épouse, dans l’intention de la tuer. De fâcheuses objections de conscience, surgies à la dernière seconde, l’en avaient empêché. Depuis cette infructueuse tentative, il subissait l’épousâtre en buvant comme un trou pendant que sa bourgeoise se faisait tirer par une grosse partie de la population insulaire. Les mâles de l’île possédaient une petite queue et il lui fallait en consommer beaucoup pour compenser cette anomalie de leur race.

Pour en revenir à la crise de mortalité qui opérait des coupes sombres dans l’armée prétorienne du « gouverneur », Nautik Toutanski se désespérait de cette perte d’effectifs.

Sur les soixante membres composant sa légion initiale, sept avaient trépassé en moins de quinze jours, tandis qu’une demi-douzaine d’autres « péclotaient ». Le mal mystérieux qui les frappait épargnait le reste de la population comme par miracle.

Le vieux poivrot de docteur Saabist, pris au dépourvu, voyait son prestige fondre au soleil équatorial. En désespoir de cause, il avait opéré des prélèvements sur les derniers cadavres, composé une collection de foies, d’estomacs, de viscères et de cerveaux qu’un messager avait convoyée jusqu’à un laboratoire de Singapour. On attendait les résultats en sachant que ce serait long.

Pendant ce temps, l’homme de l’art appliquait une médecine préventive des plus tâtonnantes. Elle consistait à surveiller l’alimentation de la troupe et à faire goûter les plats qui lui étaient servis par des gens de l’île. Aucun des cobayes n’eut à s’en plaindre. On étendit l’expérience aux putes, qui sortirent indemnes de l’épreuve. On renouvela le personnel préposé au service des soldats : rien n’y fit.

Le mal continuait de croître et de tuer.

Claquemuré dans sa résidence, Toutanski se sentait gagné par la panique.

Il ne se nourrissait plus que de conserves aux emballages dûment vérifiés, faisait bouillir l’eau de ses ablutions, mettait des doses historiques de désinfectant dans celle destinée à la vaisselle et aux chasses des toilettes ; bref, vivait comme un homme traqué.

Naturellement, une telle nouvelle ne pouvait demeurer longtemps secrète. Grande fut la liesse des insulaires quand ils apprirent ce qu’il se passait. Ils pensèrent aussitôt à une intervention divine désireuse de purger l’île de ses conquérants. Leurs faces devenaient chaque jour plus goguenardes. Des graffitis noirs s’épanouirent sur les murs blancs, qui promettaient châtiment et malédiction à l’occupant.

Agacé par ces manifestations déloyales, le dictateur fit mettre à mort quelques graphistes téméraires pris en flagrant délit de phrases séditieuses. Il eut l’idée originale de leur enfoncer dans le rectum une cartouche de dynamite et d’en allumer la mèche. La recette se montra gratifiante et les inscriptions cessèrent.

Soucieux de remplacer ses effectifs anéantis, Nautik Toutanski chargea différents correspondants, avec qui il était en contact, de lui dénicher de nouvelles recrues. Sa déception fut grande quand il apprit que cette louable profession se perdait. Tout ce qu’il réussit à obtenir d’un « imprésario » africain ce fut trois hommes aux états de service convenables.

C’est l’aventure de ces trois individus que nous nous proposons de relater.

1

Nautik Toutanski s’éveillait toujours avec une bandaison cyclonique qui l’empêchait de se coucher sur le ventre. Sa licebroque matinale ne modifiait pas la chose et il devait passer par son harem privé avant de retrouver une démarche qui ne dût rien au pas de l’oie nazi de sinistre mémoire.

Le singulier gouverneur occupait le second étage de la maison, lequel se composait de trois pièces confortables, équipées de la vidéo et d’une salle de bains commune dont la baignoire possédait les dimensions d’une piscine et des jets rotatifs de rêve. Sa chambre était blindée. D’épais rideaux de fer la protégeaient d’éventuels assauts. Deux gardes veillaient à l’extérieur, en permanence ; et deux autres à l’intérieur. Un râtelier d’armes de poing surmontait la tête du lit.

Le Polonais enfila son peignoir (pour commencer) et prit l’ascenseur qui le hissa d’un étage.

À son arrivée, il fut, comme chaque jour, accueilli par ses trois exquises pensionnaires : Mary, une blonde Britannique dont le fort prognathisme ajoutait du piquant à ses fellations, Noéma, une petite Tunisienne lascive, et Valodia, une Polonaise un peu plus âgée que ses deux collègues, qu’il avait choisie afin qu’elle lui débite, en baisant, des horreurs dans sa langue maternelle, attention à laquelle beaucoup de mâles se montrent sensibles.

Il arrivait qu’il prît les trois pour sa séance matinale, mettant en concurrence l’esprit d’initiative de chacune, ce qui triplait son plaisir ; mais ce matin-là, nonobstant son membre demandeur, il se sentait propre à un coït taciturne et fit signe à la Polonaise.

Ils s’enfermèrent donc dans la chambre de Valodia, aimable pièce tendue de cretonne vert pâle semée de myosotis. Plusieurs éléments contradictoires étaient fixés aux murs : un martinet, un godemiché, un poster montrant deux sodomites à l’ouvrage, la photographie de Lech Walesa, une culotte noire fendue à l’entrejambe, et le portrait d’une vieille religieuse qu’on aurait pu prendre pour Mère Teresa, mais qui se trouvait être la tante de Valodia.

Nautik n’accorda pas un regard à cette exposition composite qu’il connaissait par cœur. Se laissa tomber dans le « fauteuil de travail » de sa compatriote avec un long soupir de désabusance.

Comme il prisait volontiers la petite pipe de mise en condition, la chère fille s’agenouilla consciencieusement entre les jambes du dictateur. Elle écarta les pans de la robe de chambre noire, libérant sa matraque de C.R.S. qu’elle entreprit de flatter à l’extrême en la serrant entre ses deux mains opposées bien à plat. En fait, le gain de volume fut minime car son partenaire était déjà à l’apogée de l’érection.

D’ordinaire, il appréciait cette pratique, mais alors qu’elle s’apprêtait à l’emboucher pour parfaire la caresse, il soupira :

— Non, laisse !

Stupéfaite, elle interrompit sa manœuvre.

— Le doigt dans le cul, peut-être, monsieur le gouverneur ?

— Sans façon !

— Quoi, alors ?

Au lieu de répondre à cette question directe, il déclara :

— Je n’avais jamais remarqué ce bouton noir sur ta joue.

— Ce n’est pas un bouton, mais un grain de beauté.

— Il en sort des poils, c’est dégueulasse !

La fille, interdite, ne sut qu’objecter.

— Demande au médecin qu’il te brûle cette saloperie ! ordonna Toutanski.

— Ah ! ça non ! se rebiffa brusquement Valodia : ce vieux soûlaud me ferait attraper un cancer.

— Parce que ce bouton est cancéreux ? fit durement le tyran de l’île.

— Si on le bricolait, il pourrait le devenir.

Le dictateur réfléchit puis décréta :

— Mercredi prochain, un avion vient de Jakarta pour m’amener des renforts et du matériel : tu le prendras.

— Pourquoi irais-je à Java ? s’étonna-t-elle.

— De là-bas tu pourras trouver des vols pour où tu voudras.

— Vous me renvoyez ?

— Non : je te chasse, nuance. Je ne peux pas tolérer de gens malades.

— Mais je ne suis pas malade !

— Dis encore un seul mot et je te fais manger à la coque par une termitière. Tu connais ?

Il expliqua :

— Tu vois, dans la campagne, ces monticules ocre ? On sectionne la pointe et on t’enfonce dedans, tête première… Des milliers de bestioles te dévorent. Quand elles t’ont entièrement bouffée, on détruit les termites au lance-flammes.