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Ils opinent.

Un regain de forces joint à une noble excitation, me font oublier ma souffrance. Clopinant comme un gueux de film sur le Moyen Âge, je vais à la porte du cottage. Elle est fermée à clé. Qu’importe : je ne m’embarque jamais sans mon joli sésame. Tutoyer cette carouble est un jeu d’enfant des plus divertissants.

Nous voilà dans la place. D’un geste péremptoire, j’indique à mes gauchos qu’ils doivent larguer leurs pompes. Ils m’obéissent (hélas d’en ce qui concerne le Gradu dont les nougats, sous le tropique du Capricorne, fouettent comme une tannerie berbère pendant une vague de chaleur).

Une musique provient de l’arrière du bungalow. Je m’y dirige à pas de velours.

Un bref vestibule distribue deux pièces. Un rai lumineux souligne celle de droite. Je vais coller mon oreille à la gauche. Il est certain qu’un homme roupille dans cette pièce et qu’il en concasse de tout cœur.

Satisfait, je me consacre à l’autre. Par le minuscule orifice de la serrure, j’aperçois une partie de lit indéfait, avec des harnais de gonzesse jetés au sol. Dans le fond : un cabinet de toilette. La porte coulissante est ouverte et j’avise une nière nue occupée à s’ablutionner la moulasse sur son bidet de concours comme toutes ces dames revenant de chez leur amant. Cette personne est non dénuée d’agréments. Son joufflu épanoui par sa posture est copieux et assez sympa. Il fournit un beau Suzanne Valadon d’avant son mariage avec Utter. En outre, les nichemards du premier étage sont généreux.

Accaparée par sa besogne, la personne tient la tête inclinée et sa chevelure brune et frisée pend sur son visage.

Je me retourne et adresse un signe d’invite à mes hussards, lesquels ne se font pas prier pour me rejoindre.

Charitable, je leur montre la serrure. Dans leur précipitation, ils se heurtent la boîte à idées. Ça produit un certain bruit qui m’incite à brusquer les choses. Alors, je tourne la poignée : la porte s’ouvre en grand !

La dame Smith pousse un double cri : l’un de surprise, l’autre de pudeur offensée. Elle se dresse de part et d’autre de sa monture de faïence, la crinière sud ruisselante.

— Pardon de vous importuner, jolie madame, m’excusé-je en Berlitz amélioré.

À son expression incrédule, je pige qu’elle me connaît et surtout estime ma survenance « impossible ». Car elle me savait prisonnier de la mine.

— Chouette tarte aux poils, p’tit’ mahâme, la complimente mon gros Malandrin des paillasses. V’ s’auriez-t-il pas des rouquemoutes parmi vos enscendants ? Vot’ crinière sud a des r’flets cajouteux…

La chérie est blanche comme une Anglaise en train de valser dans le grand salon du Titanic pendant son naufrage.

Moi, tu sais quoi ?

— Faites gaffe que son singe ne se réveille pas, dis-je à mes assistants dévoués, j’ai besoin d’une converse en tête à cul avec cette charmante personne.

Je pénètre dans la salle de bains, referme l’huis, assure la targette.

— Vous pouvez vous rasseoir, déclaré-je galamment à notre hôtesse, en appuyant sur son épaule pour qu’elle reprenne sa position acalifourcheuse sur ce dérivé de l’art équestre.

Je tire un tabouret chromé et m’assieds face à elle, nos genoux se touchant.

— Rassurez-vous, murmuré-je-t-il, c’est pas pour la chose du vice, mais pour la commodité de la conversation.

Me semble bien qu’il s’agit d’une grande première. Jamais encore je n’avais interrogé une personne du sexe à cheval sur son bidet.

Comme quoi tout arrive.

Suffit d’attendre.

26

Tu vois : le sommeil est le plus grand ennemi de l’homme, pire que la perspective plongeante que cause Sartre. Un gonzier réveillé en sursaut à trois plombes et mèche du morninge, est à ta disposance complète si tu sais t’y prendre.

Maintenant, tu vas me questionner : en quoi ça consiste « savoir s’y prendre ? »

Je vais t’expliquer. Examinons le cas présent. Celui de l’excellent mister Klakbitt, le big boss de la mine d’uranium.

On débarque chez lui avec sa pouffe, la femme du Smith au zob convulsé. Il roupille pleins gaz, genre tour de chauffe des Formules I. Comme il fait torride, il couche à loilpé, sa zézette languissante contre sa jambe. Beau paf pour un vieux con, faut reconnaître. Notre présence, quoique silencieuse, trouble son sommeil, mais ce n’est que lorsque je lui ai passé les menottes qu’il s’éveille tout à fait. Bondit sur son séant.

— Qui va là ! exclamationne-t-il.

Blanc actionne le commutateur et le ci-devant dormeur en déguste plein la frite. Il cille, détourne la tête et grommelle d’un ton paniqué :

— Mais qu’y a-t-il ? Que me veut-on ?

Et c’est pour lui le formide électrochoc : il nous voit, nous reconnaît. Constate que sa maîtresse est avec nous : penaude et en peignoir. Pis encore : il découvre les cadennes encerclant ses propres poignets. Alors il morfle vingt ans d’âge supplémentaire : un don gracieux du temps, en guise de prime.

— Eh oui, lui dis-je, voilà des bijoux que vous avez amplement mérités, monseigneur !

D’ordinaire, les mirontons auxquels je joue ce tour-là renaudent. Protestent, bieurlent à l’injustice, à la voie de fait, de portefaix, même ! Ici : mutisme et résignation. Le coup du réveillage en sursaut, te répété-je. Magique ! L’intéressé est anéanti, renonce à tous les arguments bons ou mauvais. Il comprend qu’il l’a dans le fion, qu’inutile de vouloir interpréter « les Deux orphelines et leurs parents ».

— Béru, murmuré-je, tu veux bien veiller à ce que môssieur se tienne tranquille pendant que j’inspecte sa gentilhommière ? N’oublie pas qu’il a essayé de trucider tes deux meilleurs amis !

— Soye sans crainte, mec. À la moind’ encartade, j’y fais comme ça !

Et de lui placer un bourre-pif qui rend le bonhomme camard pour le reste de ses jours.

— Correct, approuvé-je ; et si ça ne devait pas suffire ?

— N’au quel cas l’aurait droit à son masqu’ d’ beauté, un truc dans c’ style.

Cette fois, c’est un doublé à la face qui explose les pommettes du dirluche.

Elles deviennent pareilles à deux figues trop mûres tombées sur le chemin.

Nous quittons la chambre où se perpètre un adultère minier d’après le propre aveu de la dame. D’ailleurs, elle a une bonne excuse quand on sait l’état de la bitoune maritale.

Pour l’instant, la friponne nous conduit à l’extérieur par une porte arrière. Des champs catalauniques s’étendent au clair de lune ; on croit apercevoir la silhouette d’Attila et de son armée. En réalité il s’agit d’une plantation de noëlus jospinus à floraison blanche. Ces arbres dits « du désert » constituent un verger dont l’âge, si j’en crois mon instinct, ne doit pas excéder quatre ans.

— Il va falloir creuser, mon pauvre grand, fais-je à Jérémie. Or je suis inapte aux travaux des champs jusqu’à nouvel ordre.

Il bougonne :

— Tu aurais pu confier ce boulot au Gros !

— J’adore distribuer les rôles à contre-emploi ! Où sont les outils ? m’enquiers-je auprès de dame Smith.

Elle désigne un appentis attenant à la maison. Mon cher Vendredi (un saint !) s’y rend et, presque aussitôt, en ramène une pioche et une pelle.

Tandis qu’il attaque, je récite le Laboureur et ses enfants, de mon regretté Jean de La Fontaine :

— Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins. Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l’héritage Que nous ont laissé nos parents Un trésor est caché dedans.