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— Si bien qu’il vous séquestre ?

— Le mot est excessif ; disons qu’il me contraint à la discrétion…

— Il est sur la dunette, présentement ?

— Trois heures encore : j’en profite pour m’aérer.

Comme elle tient la tête penchée, j’ai la découpe de son profil dans l’obscurité. Et c’est sincèrement de toute beauté.

— Vous naviguez souvent avec lui ?

— Toujours. C’est compris dans les clauses de son contrat.

— Vous n’avez pas d’enfants ?

— Il n’en veut pas, prétend que cela nuirait à notre union.

— Vous le pensez également ?

— Je crois que si j’étais en charge d’un bébé je ne pourrais plus l’accompagner.

— Je peux vous demander votre nom ?

— Pia.

Impossible de faire plus bref.

À cet instant, la lune se dégage d’un gros nuage tentaculaire et file un coup de projo sur cette petite grand-mère. Et comme elle est bien inspirée ; je voudrais que vous vissiez le tableautin ! C’est tout bon, rien à jeter ! Quelle grâce ! Quelle harmonie ! De quoi se faire déterger le panais à l’acide chlorhydrique. De grands yeux noirs dont l’éclat intense vous farfouille le devant du slip. Ils sont « ombragés » de longs cils recourbés. « Ombragés », n’oublie surtout pas, c’est incontournable en littérature glandulante. T’écris un polar où l’héroïne n’a pas les yeux « ombragés » de longs cils, tu te plantes. On te catalogue illico lavedu de la plume.

Mieux encore que tout le reste, ce qu’elle a d’ensorcelateur, c’est son parfum. Si suave, si délicat. Tu mets quelques secondes à le déceler. Une fois que c’est fait, il t’investit à la sournoise ; te capte, enchante, transporte. Tu mollis du cœur et durcis du chinois. Un plaisir capiteux t’empare. Ce qui me tartine les noix, par contre, c’est de me trouver au-dessous d’elle.

— Vous permettez, je croate (ou croasse).

Sans attendre, je gravis les degrés de fer pour me hisser sur sa petite plate-forme. Une fois arrivé, ne puis m’incliner, on se toquerait du bocal. Son souffle me pavane les muqueuses.

— Seigneur, balbutié-je, vous valez les marches que je viens de monter. J’ai l’impression de voir une femme pour la première fois.

Aucune réaction.

Elle m’empare du regard. Me fait la connaissance ! Dans son sac à bourses déliées, Mister Braquedu se met à jouer l’intéressant.

Et puis il y a la mer frangée d’écume sous la lune, tu comprends ? Le dodelinement du yacht qui joue à nous rapprocher.

Ce dont.

Plus rien à se dire.

Juste à se bouffer la gueule.

Ce dont.

Vu ?

7

La vie ne serait rien sans les rencontres…

Il y a les bonnes, et les mauvaises.

Les bonnes sont si rares que ça ne vaut pas la peine d’en parler ; d’autant qu’elles finissent par devenir mauvaises. Quel amour, quelle amitié résistent au temps ? À la longue, je me suis aperçu que les mauvaises étaient préférables : on s’y retrouve mieux. Tu finis par t’organiser avec la merderie quand t’as pigé qu’elle est fertilisante. Les gentillesses t’amollissent, alors que les coups bas te blindent. À force d’en dérouiller, tu acquiers une bonne ceinture abdominale, kif celle de mon condisciple Dutoit, jadis. Son bonheur c’était qu’on lui place des taquets dans le burlingue. « Cogne plus fort ! » il suppliait. Je frappais, en retenant malgré tout. Il possédait un ventre dur, ayant, depuis l’enfance, travaillé ses abdominaux. Marrant, comme les plaisirs des gens sont électiques. T’en as qui se font lécher sous les couilles, d’autres qui portent des cilices ; et ils vivent cependant des existences à peu près identiques.

Ce à quoi je médite dans ma cabine, ne pouvant y trouver le sommeil.

Le Polak ronfle de façon désagréable. Un bruit rageur, je dirais même « dangereux » ; cela évoque le grognement d’un animal sauvage, hautement nuisible. En l’écoutant je réfléchis très intensément à propos de ce type. Je me dis qu’il est un fauve sanguinaire et rusé. Qu’un être de sa trempe ne saurait s’avouer vaincu. Parce que ça lui est impossible. Réduit, enchaîné, il doit fatalement ourdir des plans.

Je me lève et, à la lumière de ma petite lampe-stylo, vais examiner ses entraves, des fois qu’il aurait entrepris de les bricoler en loucedé ; mais non : tout semble conforme.

Je décide que, dès le lendemain, je passerai à la phase number two de mon plan.

* * *

Chaque morninge, M. Blanc vient toquer à ma porte pour me signifier que le petit dèje est servi. Nous le prenons tous trois dans leur cabine, malgré les remugles ménageresques laissés par le Gravos. Ses noyes, à Césarin, c’est pas celles de Valpurgis, mais de Va-te-purger ! Aux aurores, sa piaule est à court de chlorophylle. Et les hublots qui s’ouvrent pas, tu mords ?

Il a remplacé le caoua par une boutanche de blanc.

On cause. Il déclare sans jambages qu’il se plume à bord. Certes, on y écluse à satiété, mais ça manque trop de bistrots, décidément. S’il faut encore passer des décades dans cette ambiance, sans gonzesses à tirer, sans choucroutes alsacos à bouffer, sans enquêtes à tambourbattre, il change de turbin au retour, l’artiste, s’engage dans la Légion ou se fait con-voyeur de fonds. Il se réveille avec un chibroque qui ferait peur à une jument poulinière ! Il a beau se le passer à l’eau froide en évoquant l’enterrement de sa mère ou la frime à Juppé, l’objet continue de chiquer les mâts de Gascogne.

Et le temps qui coule à vide, dites ? Vous y pensez-t-il au temps qui coule à vide ? Qu’y a même pas la téloche pour se changer les pensées moroses ! Il est tricard de Bruno Masure, Philippe Gildas, Poivre d’Arvor. S’il nous disait qu’il raffole les émissions du gentil Jacques Pradel, si consterné de tout c’ qu’arrive à ses protégés et qui fait du slalom entres les jeunes filles étranglées, les garçons enculés, les grand-mères détroussées, les jumeaux séparés à la naissance se retrouvant soixante ans plus tard dans une pissotière de gare où ils se sont reconnus à leurs bites fourchues. Des tranches de vit, tout ça ! Et William Leymergie, dites, vous vous en passez facilement, vous autres au matin, si tonique, le grand, avec ses ratiches du bonheur écartées comme celles d’un râteau à foin ? Et m’sieur Guy Roux, du fote ? Qu’a toujours l’air d’avoir échangé trois vaches laitières contre un joueur de première division pas trop panard.

C’t’ un monde, la téloche : on y prend goût. Bon, ils te nous cloquent les soirées à la con, faut admettre, telles que la remise des Molière et des César, dont au cours desquelles on fait passer trois ou quatre gaziers pour des loches après en avoir élu un autre meilleur comédien de l’année ! La distribution des prix, façon maternelle d’autrefois ! Faut-il avoir des betteraves dans le cigare, bordel à cul, pour rentrer dans un jeu pareil ! S’en foutre la gueule en l’air dans sa belle robe des dimanches, kif une perruche de la dernière couvée, venir pomper l’air des télé-spectres-hâbleurs avec ces mômeries, gonzesseries, bredouilleries de branleurs honorés de leur bout de ferraille à s’en pisser parmi comme disent mes bons Helvétiens.

Des mômes, qu’il nous garantit, l’Hénorme. Troudeballerie et consorts ; et consœurs ! M’as-tu-vu-dans-mes-beaux-atours ? Seigneur, qu’ils sont admirablement cons, les cons. Poils de chatte emperlés de rosée ! Larmichette à l’œil. La grande hydratation, urbi et hors bite ! Et le pire : les vioques qui se rappellent même plus leur méno et te nous font un salut « petite fille modèle », malgré leur arthrite !

Mais ça va finir quand est-ce, ces niaiseries ? Je demande. Y en a pas un qui va se sentir gêné un jour, bordel ! D’autant que j’y aperçois des gars de valeur dans cette Kermesse Chatte-folle. Malgré tout, ils ont suivi toute la panurgerie panurgeante, faire plaisir à m’sieur Cravenne, qui vend depuis si longtemps ce salmigondis de gloire à la criée dans un enjalousement général. Qu’un jour je vais débarquer en loucedé : Molière de la plus belle queue ! Et de dégainer mon goume sur la scène, montrer ce qu’ c’est qu’un vrai paf, bien incontestable. Y ferai faire mimi par les dames nominées vobiscum et déflaquerai dans le décolleté de l’élue : récompense suprême !