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– Qu'est-ce qu'on peut faire? demanda Juliette.

– Je vais partir à Dourdan, voilà ce qu'on peut faire. Je vais chercher ce que Dompierre a cherché, Leguennec n'a aucun droit pour m'en empêcher, Siméonidis est libre de laisser lire ses archives à qui il veut. Les flics peuvent juste vérifier que je n'emporte rien. Tu as l'adresse du père à Dourdan?

– Non, mais n'importe qui te renseignera là-bas. Sophia y avait une maison dans la même rue. Elle avait acheté une petite propriété pour pouvoir aller voir son père sans vivre sous le même toit que sa belle-mère. Elle ne la supportait pas très bien. C'est un peu en dehors de la ville, rue des Ifs. Attends, je vais vérifier.

Mathias s'approcha pendant que Juliette partait chercher son sac dans les cuisines.

– Tu pars? dit Mathias. Tu veux que je t'accompagne? Ce serait plus prudent. Ça commence à flamber.

Marc lui sourit.

– Merci, Mathias. Mais c'est mieux que tu restes ici. Juliette a besoin de toi et Lex aussi. D'ailleurs, tu as le petit Grec en garde et tu fais ça très bien. Ça me calme de te savoir sur place. Ne t'en fais pas, je n'ai rien à craindre. Si j'ai à vous donner des nouvelles, je téléphonerai ici, ou chez Juliette. Préviens le parrain quand il rentrera.

Juliette revint avec son carnet.

– Le nom exact, c'est «allée des Grands-Ifs», dit-elle. La maison de Sophia est au 12. Celle du vieux n'est pas loin.

– C'est noté. Si Leguennec t'interroge, tu t'es endormie à onze heures et tu ne sais rien. Il se débrouillera.

– Évidemment, dit Juliette.

– Passe la consigne à ton frère, au cas où. Je fais un saut à la maison et je prends le prochain train.

Un brusque coup de vent ouvrit une fenêtre mal fermée. La tempête prévue arrivait, apparemment plus consistante qu'annoncée. Cela redonna de la vigueur à Marc. Il sauta de son tabouret et fila.

À la baraque, Marc fit rapidement son sac. Il ne savait pas au juste pour combien de temps il en aurait et s'il mettrait la main sur quoi que ce soit. Mais il fallait bien tenter quelque chose. Cette imbécile d'Alexandra qui n'avait rien trouvé de mieux que d'aller se promener en voiture. Quelle conne. Marc rageait en fourrant quelques affaires pêle-mêle dans son sac. II essayait surtout de se persuader qu'Alexandra était seulement allée faire un tour. Qu'elle lui avait menti seulement pour se protéger. Seulement ça et rien d'autre. Cela lui demandait un effort de concentration, de conviction. Il n'entendit pas Lucien entrer chez lui.

– Tu fais ton sac? dit Lucien. Mais tu écrabouilles tout! Regarde ta chemise!

Marc jeta un coup d'oeil à Lucien. C'est vrai, il n'avait pas cours le mercredi après-midi.

– Je me fous de ma chemise, dit Marc. Alexandra est dans de sales draps. Elle est sortie cette nuit, cette imbécile. Je file à Dourdan. Je vais fouiller dans les archives. Pour une fois qu'elles ne seront pas en latin ou en roman, ça me changera. J'ai l'habitude de dépouiller vite, j'espère que je trouverai quelque chose.

– Je vais avec toi, dit Lucien. Je n'ai pas envie que tu te fasses trouer le ventre à ton tour. Restons groupés, soldat.

Marc s'arrêta de bourrer son petit sac et regarda Lucien. Mathias d'abord et maintenant, lui. De la part de Mathias, il comprenait, et il était touché. Mais Marc n'aurait jamais pensé que Lucien puisse s'intéresser à autre chose qu'à lui-même et à la Grande Guerre. S'intéresser et même s'impliquer. Décidément, il se gourait souvent ces derniers temps.

– Et alors? dit Lucien. Ça a l'air de t'étonner?

– C'est-à-dire que je pensais autre chose.

– J'imagine ce que tu pensais, dit Lucien. Ceci posé, il vaut mieux être deux en ce moment. Vandoos-ler et Mathias ici, et toi et moi là-bas. On ne gagne pas une guerre tout seul, tu n'as qu'à voir Dompierre. Donc, je t'accompagne. Les archives, ça me connaît aussi et nous irons plus vite à deux. Tu me laisses le temps de faire mon sac et de prévenir le collège que je vais attraper une nouvelle grippe?

– D'accord, dit Marc. Mais fais vite. Le train est à 14 h 57 à Austerlitz.

29

Un peu moins de deux heures plus tard, Marc et Lucien rôdaient dans l'allée des Grands-Ifs. Le vent soufflait fort à Dourdan et Marc aspirait ce courant de nord-ouest. Ils s'arrêtèrent devant le n° 12, qui était protégé par des murs de part et d'autre d'une porte d'entrée en bois plein.

– Fais-moi la courte échelle, dit Marc. J'aimerais bien voir à quoi ça ressemble chez Sophia.

– Quelle importance? dit Lucien.

– J'ai envie, c'est tout.

Lucien posa délicatement son sac, vérifia que la rue était déserte et croisa solidement ses deux mains.:

– Retire ta chaussure, dit-il à Marc. Je ne veux pas que tu me dégueulasses les mains.

Marc soupira, retira une chaussure en se tenant à Lucien et grimpa.

– Tu vois quelque chose? demanda Lucien.

– On voit toujours quelque chose.

– C'est quoi?

– La propriété est grande. C'est vrai qu'elle était riche, Sophia. Ça descend en pente douce derrière la maison.

– Comment est la maison? Moche?

– Pas du tout, dit Marc. Un peu grecque, malgré les ardoises. Longue et blanche, sans étage. Elle a dû la faire construire. C'est drôle, les volets ne sont même pas fermés. Attends. Non, c'est parce qu'il y a des claustras aux fenêtres. Grecque, je te dis. Il y a un petit garage et un puitsr. Il n'y a que le puits qui soit ancien là-dedans. Ça ne doit pas être désagréable, l'été.

– On peut lâcher? demanda Lucien.

– Tu fatigues?

– Non, mais quelqu'un peut venir.

– Tu as raison, je descends.

Marc se rechaussa et ils arpentèrent la rue en regardant les noms sur les portes ou sur les boîtes aux lettres, quand il y en avait. Ils préféraient faire ainsi avant de demander à quelqu'un, pour que leur venue soit le plus discrète possible.

– Là, dit Lucien après une centaine de mètres. Cette petite bicoque entretenue avec les fleurs.

Marc déchiffra la plaque de cuivre ternie: K. et J. Siméonidis.

– C'est bon, dit-il. Tu te souviens bien de ce qu'on est convenus?

– Ne me prends pas pour un con, dit Lucien.

– Entendu, dit Marc.

Un assez beau vieillard vint leur ouvrir. Il les considéra en silence, attendant des explications. Depuis la mort de sa fille, il avait vu passer du monde: des flics, des journalistes, et Dompierre.

Lucien et Marc exposèrent alternativement le but de leur visite en y mettant de grandes doses de gentillesse. Ils étaient convenus de cette gentillesse dans le train, mais la tristesse que portait le vieux Siméonidis sur son visage la rendait plus spontanée. Ils parlèrent de Sophia tout doucement. Ils finirent presque par croire à leur propre mensonge en expliquant que Sophia, leur voisine, leur avait confié une mission personnelle, Marc raconta l'affaire de l'arbre. Rien de tel qu'un support véridique pour y suspendre un mensonge.

Qu'après cette affaire de l'arbre, Sophia était restée inquiète malgré tout. Un soir, en discutant dans la petite rue avant d'aller dormir, elle leur avait fait promettre, si par hasard il lui arrivait malheur, de chercher à savoir. Elle n'avait pas confiance en la police, qui, disait-elle, l'oublierait avec tous les portés disparus. À eux, elle avait fait confiance pour aller jusqu'au bout. C'est pourquoi ils étaient là, estimant par respect et par amitié pour Sophia qu'ils avaient à faire leur devoir.

Siméonidis écouta avec attention ce discours qui semblait plus stupide et lourd aux oreilles de Marc à mesure qu'il le débitait. Il les invita à entrer. Un flic en uniforme était là, qui interrogeait dans le salon une femme qui devait être Mme Siméonidis. Marc n'osa pas la dévisager, d'autant que le dialogue s'était interrompu à leur entrée. Il ne put que percevoir par l'angle de son regard une femme de soixante ans assez ronde, aux cheveux tirés derrière la nuque, qui ne leur marqua qu'un léger signe de bienvenue. Elle s'occupait des questions du flic et elle avait l'expression dynamique de ceux qui souhaitent être décrits comme des dynamiques. Siméonidis traversa la pièce d'un pas assez vif, entraînant Marc et Lucien, marquant une indifférence appuyée pour ce flic qui encombrait son salon. Mais le flic les arrêta tous les trois en se levant d'un mouvement brusque. C'était un jeune type à l'expression butée, bornée, conforme à la plus tragique idée qu'on puisse se faire d'un crétin à qui la consigne tient lieu de pensée. Pas de chance. Lucien poussa un soupir exagéré.