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– Bien, dit Vandoosler. Je pense comme vous. Et j'en ai vu plusieurs cas dans ma carrière. La victime, si elle le peut, et si elle le connaît, écrit toujours le nom de son assassin. Toujours.

Vandoosler, le visage soucieux, tira de sa veste l'enveloppe qui contenait le cliché de la voiture noire.

– Christophe Dompierre, reprit-il, a écrit un nom dans la poussière d'une carrosserie de voiture avant de mourir. Ce nom s'est promené dans Paris pendant trois jours. Le propriétaire de la bagnole vient seulement de découvrir l'inscription.

– «Georges Gosselin», dit Lucien.

– Non, dit Vandoosler. Dompierre a écrit «Sophia Siméonidis».

Vandoosler lança le cliché sur la table et se laissa tomber sur une chaise.

– La morte-vivante, murmura-t-il.

Muets, les trois hommes se rapprochèrent du cliché pour le regarder. Aucun d'eux n'osait le toucher, comme s'ils avaient peur. L'écriture au doigt laissée par Dompierre était faible, irrégulière, d'autant qu'il avait dû lever le bras pour atteindre le bas de la portière. Maïs il n'y avait aucun doute possible. Il avait écrit, en plusieurs temps, comme reprenant ses dernières forces, «Sofia Siméonidis». Le «a» de Sofia avait un peu dérapé, et l'orthographe aussi. Il avait écrit «Sofia» au lieu de «Sophia». Marc se rappela que Dompierre disait «Mme Siméonidis». Son prénom ne lui était pas familier.

Atterré, chacun s'assit en silence, assez loin du cliché où s'étalait, en noir et blanc, la terrible accusation. Sophia Siméonidis vivante. Sophia assassinant Dompierre. Mathias eut un frisson. Pour la première fois, le malaise et la peur tombèrent dans le réfectoire, ce vendredi, en plein début d'un après-midi. Le soleil entrait par les fenêtres mais Marc se sentait les doigts froids, des fourmis dans les jambes. Sophia vivante, manigançant sa fausse mort, faisant brûler une autre à sa place, laissant son caillou de basalte en témoin, Sophia la belle rôdant, la nuit, dans Paris, dans la rue Chasle. Tout près d'eux. La morte-vivante.

– Et Gosselin, alors? demanda Marc à voix basse.

– Ce n'était pas lui, dit Vandoosler sur le même ton. Je le savais déjà hier, de toute façon.

– Tu le savais?

– Tu te souviens des deux cheveux de Sophia que Leguennec a retrouvés le vendredi 4 dans le coffre de la voiture de Lex?

– Évidemment, dit Marc.

– Ces cheveux, ils n'y étaient pas la veille. Quand on a appris le jeudi l'incendie de Maisons-Alfort, j'ai attendu la nuit pour aller aspirer le coffre de sa voiture de fond en comble. J'ai conservé de nies années de service un petit nécessaire assez pratique. Dont un aspirateur sur batterie et des sachets bien propres. Il n'y avait rien dans le coffre, pas un cheveu, pas un bout d'ongle, pas un fragment d'habit. Que du sable et de la poussière.

Stupéfaits, les trois hommes dévisageaient Vandoos-ler. Marc se souvenait. C'était la nuit où, assis sur la septième marche, il avait fait de la tectonique des plaques. Le parrain qui descendait pisser dehors avec un sac en plastique.

– C'est vrai, dit Marc. J'ai cru que tu allais pisser.

– J'ai pissé aussi, dit Vandoosler.

– Ah bon, dit Marc.

– Ce qui fait, continua Vandoosler, que lorsque le lendemain matin Leguennec a fait saisir la voiture et qu'il y a trouvé deux cheveux, ça m'a fait bien rigoler. J'avais la preuve qu'Alexandra n'était pour rien dans ce meurtre. Et la preuve que quelqu'un, après moi, était venu déposer ces pièces à conviction dans la nuit, pour enfoncer la petite. Et ça ne pouvait pas être Gos-selin, puisque Juliette affirme qu'il n'est revenu de Caen que le vendredi pour déjeuner. Ce qui est vrai, j'ai fait vérifier.

– Mais pourquoi n'as-tu rien dit, bon sang?

– Parce que j'avais agi hors légalité et qu'il me fallait garder la confiance de Leguennec. Aussi parce que je préférais laisser croire à l'assassin, quel qu'il fût, que ses plans fonctionnaient. Lui laisser la bride sur le cou, laisser filer la ligne, voir où l'animal, en liberté et sûr de lui, allait réapparaître.

– Pourquoi Leguennec n'a-t-il pas saisi la voiture dès jeudi?

– Il a perdu du temps. Mais souviens-toi. On n'a été convaincus qu'il s'agissait du corps de Sophia qu'assez tard dans la journée. Les premiers soupçons se dirigeaient contre Relivaux. On ne peut pas tout saisir, tout geler, tout surveiller le premier jour d'une enquête. Mais Leguennec sentait qu'il n'avait pas été assez rapide. Ce n'est pas un imbécile. C'est pourquoi il n'a pas inculpé Alexandra. Il n'était pas sûr de ces cheveux.

– Mais Gosselin? demanda Lucien. Pourquoi avoir demandé à Leguennec de le mettre en garde à vue si vous étiez sûrs de son innocence?

– Même chose. Laisser l'action se dérouler, les événements se succéder, se précipiter. Et voir comment l'assassin allait en tirer parti. Il faut laisser les mains libres aux assassins pour qu'ils puissent commettre une erreur. Tu noteras que j'ai, par l'intermédiaire de Juliette, laissé filer Gosselin. Je n'avais pas envie qu'on l'emmerde pour cette vieille histoire d'agression.

– C'était lui, l'agression?

– Sûrement. Ça se voyait dans les yeux de Juliette. Mais les meurtres, non. Au fait, Saint Matthieu, tu peux aller dire à Juliette qu'elle prévienne son frère.

– Vous croyez qu'elle sait où il est?

– Évidemment qu'elle le sait. Sur la Côte, sans doute. Nice, Toulon, Marseille ou dans les parages. Prêt à partir au premier signe avec de faux papiers pour l'autre rive de la Méditerranée. Tu peux lui dire aussi pour Sophia Siméonidis. Mais que tout le monde prenne garde. Elle est toujours vivante, quelque part. Et où? Je n'en ai pas la moindre idée.

Mathias détacha son regard du cliché noir posé sur la table au bois brillant et partit sans bruit.

Abruti, Marc se sentait faible. Sophia morte. Sophia vivante.

– «Debout les morts!» murmura Lucien.

– Alors, dit Marc avec lenteur, c'est Sophia qui a tué les deux critiques? Parce qu'ils s'acharnaient contre elle, parce qu'ils risquaient de démolir sa carrière? Mais c'est impossible, des choses comme ça!

– Chez les cantatrices, c'est très possible, dit Lucien.

– Elle les aurait tués, tous les deux… Et puis plus tard, quelqu'un l'aurait compris… et elle aurait préféré disparaître que d'être tramée en justice?

– Pas forcément quelqu'un, dit Vandoosler. Ça peut être cet arbre. Elle était tueuse mais en même temps superstitieuse, anxieuse, vivant peut-être dans la hantise que son acte ne soit un jour découvert. Cet arbre arrivant mystérieusement dans son jardin a pu suffire à l'affoler. Elle y aura vu une menace, le début d'un chantage. Elle vous a fait creuser dessous. Mais l'arbre ne cachait rien ni personne. Il n'était là que pour lui signifier quelque chose. A-t-elle reçu une lettre? On n'en saura rien. Il reste qu'elle a choisi de disparaître.

– Elle n'avait qu'à rester disparue! Elle n'avait pas besoin de brûler quelqu'un d'autre à sa place!

– C'est bien ce qu'elle comptait faire. Se faire passer pour envolée avec Stelyos. Mais, toute à son projet de fuite, elle a oublié l'arrivée d'Alexandra. Elle s'en est souvenue trop tard et elle a compris que sa nièce nierait qu'elle ait pu disparaître sans au moins l'attendre, et qu'une enquête serait ouverte. Il lui a fallu fournir un cadavre pour avoir la paix.

– Et Dompierre? Comment aurait-elle appris que Dompierre enquêtait sur elle?

– Elle devait être planquée dans sa maison de Dourdan, à ce moment. C'est à Dourdan qu'elle a vu Dompierre aller chez son père. Elle l'a suivi, elle l'a tué. Mais lui, il a écrit son nom.

Soudain, Marc cria. Il avait peur, il avait chaud, il tremblait.

– Non! cria Marc. Non i Pas Sophia! Pas elle! Elle était belle! Horrible, c'est horrible!

– «L'historien ne doit rien refuser d'entendre», dit Lucien.

Mais Marc était parti en criant à Lucien d'aller se faire foutre avec son Histoire et il courait dans la rue, les mains plaquées sur les oreilles. – C'est un sensible, dit Vandoosler.