Les obsédés du complot et paranoïaques de tout poil clamaient que l‘invasion d‘hélicoptères silencieux et quasi invisibles était la preuve de l‘installation du nouvel ordre mondial décidé sous l‘égide des Nations unies. D‘autres affirmaient
qu‘il
s‘agissait
d‘engins
de
surveillance
extraterrestres. D‘autres encore, apercevant un soir les Kiowa en formation serrée, avaient cru distinguer un avion beaucoup plus grand, une sorte de soucoupe volante qui semblait capable d‘un vol vertical.
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Simple illusion d‘optique, mais les militaires avaient été ravis de la diversion.
Durant une récente mission clandestine, Delta 1 avait piloté un Kiowa équipé des gadgets technologiques les plus récents, et notamment d‘une arme holographique surnommée par dérision S/M. Loin de tout sadomasochisme, il fallait lire
« Smoke & Mirror » (fumée et miroir). Grâce à la technologie S/M, le Kiowa pouvait projeter des hologrammes d‘avions américains au-dessus d‘une installation antiaérienne ennemie.
Les batteries antiaériennes de ses adversaires paniqués criblaient le ciel de balles et de missiles sans parvenir à en déloger ces effrayants fantômes.
Quand l‘ennemi au sol se trouvait à court de munitions, l‘armée envoyait les vrais bombardiers.
Tandis que Delta 1 et ses hommes embarquaient dans l‘hélicoptère, celui-ci se remémora les paroles de son contrôleur.
Vous avez une autre cible. Doux euphémisme, si l‘on considérait l‘identité de la cible en question. Delta 1 se rappela aussitôt que ce n‘était pas à lui de remettre en question cette opération. Son équipe avait reçu des ordres, et elle allait les exécuter exactement comme on le lui avait appris, si choquante que cette action puisse paraître.
J‘espère seulement que le contrôleur est sûr de son coup, se dit-il.
Tandis que le Kiowa s‘élevait dans la nuit, Delta 1 le dirigeait vers le sud. Il avait déjà visité à deux reprises le Mémorial Roosevelt mais, ce soir-là, il allait l‘admirer pour la première fois depuis le ciel.
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93.
— Cette météorite a été découverte par un géologue canadien ? demanda Gabrielle Ashe, sidérée, au jeune programmeur Chris Harper. Et ce Canadien est mort ?
Harper acquiesça, l‘air défait.
— Depuis combien de temps êtes-vous au courant ?
questionna la jeune femme.
— Deux semaines. Après que l‘administrateur et Marjorie Tench m‘ont forcé à mentir devant la presse. Ils savaient que je ne pouvais plus revenir sur ma parole. Ils m‘ont dit la vérité.
Ce n‘est pas PODS qui a découvert la météorite ! s‘exclama-t-elle intérieurement.
Gabrielle n‘avait pas la moindre idée de ce qui allait résulter de cette information, mais elle était clairement scandaleuse. Mauvaise nouvelle pour Tench, géniale pour le sénateur.
— Comme je vous l‘ai dit, reprit Harper avec une mine grave, c‘est l‘interception d‘une transmission radio qui a alerté les autorités. Connaissez-vous un programme intitulé INSPIRE ?
Gabrielle en avait vaguement entendu parler.
— En résumé, fit Harper, il s‘agit d‘une série de récepteurs radio à très basse fréquence situés près du pôle Nord qui écoute les bruits en provenance de la terre – émissions d‘ondes plasma, pulsations à large bande des éclairs d‘orage, etc.
— Je vois.
— Il y a quelques semaines, un récepteur radio d‘INSPIRE
a capté une transmission d‘Ellesmere Island. Un géologue canadien
appelait
au
secours
sur
une
fréquence
exceptionnellement basse.
Harper s‘interrompit.
— En fait, la fréquence était si basse que seuls les récepteurs VLF de la NASA pouvaient l‘avoir entendue. Nous avons supposé que le Canadien émettait en très longues ondes.
— Vous pouvez préciser ?
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— Il émettait sur la plus basse fréquence possible pour obtenir une distance maximale sur sa transmission. Vous savez, il se trouvait au milieu de nulle part ; une transmission en fréquence standard n‘aurait probablement pas porté assez loin pour être captée.
— Et que disait-il dans son message ?
— La transmission fut brève. Le Canadien disait qu‘il était parti faire des sondages sur la banquise du glacier Milne, qu‘il avait détecté une anomalie ultra-dense sous la glace, qu‘il pensait qu‘il s‘agissait d‘une météorite géante, et que, pendant qu‘il prenait des mesures, il avait été bloqué par une tempête. Il donnait ses coordonnées, demandait de l‘aide, et la transmission s‘arrêtait là. Le poste d‘écoute de la NASA à Thulé a envoyé un avion de sauvetage. Ils l‘ont cherché pendant des heures et l‘ont finalement découvert à des kilomètres de sa base, mort au fond d‘une crevasse avec son traîneau et ses chiens.
Apparemment, il avait essayé de prendre la tempête de vitesse, il était parti à l‘aveuglette, il avait quitté sa piste et il était tombé dans une crevasse.
Gabrielle réfléchit à cette histoire, intriguée.
— Donc, tout d‘un coup, la NASA a appris l‘existence d‘une météorite dont personne n‘avait jamais entendu parler ?
— Exactement. Et paradoxalement, si mon logiciel avait fonctionné correctement, le satellite PODS aurait repéré cette même météorite, une semaine avant le Canadien !
La coïncidence laissa Gabrielle songeuse.
— Une météorite enfouie pendant trois cents ans sous la glace a failli être découverte deux fois la même semaine ?
— Je sais, ça peut sembler bizarre mais l‘histoire de la science regorge de coïncidences troublantes du même type.
Pénurie pendant des siècles et, tout d‘un coup, bombance. Quoi qu‘il en soit, l‘administrateur a décidé que nous aurions dû la découvrir, enfin si j‘avais fait mon travail correctement. Il m‘a dit que comme le Canadien était mort, si j‘utilisais PODS au-dessus des coordonnées qu‘il avait transmises dans son SOS, tout le monde n‘y verrait que du feu. Et il ne nous restait qu‘à prétendre que la découverte de la météorite revenait à PODS
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pour recouvrer le prestige et la crédibilité que notre échec avait ébranlés.
— Ce que vous avez fait.
— Je n‘avais pas le choix. La mission avait échoué par ma faute.
Il fit une pause.
— Ce soir, lors de la conférence du Président, quand j‘ai entendu que la météorite recelait des fossiles...
— Vous avez été stupéfié.
— Soufflé, vous pouvez le dire !
— D‘après vous, Ekstrom savait-il que la météorite contenait des fossiles avant de vous demander de prétendre que PODS l‘avait découverte ?
— Mais comment l‘aurait-il su ? Cette météorite était enterrée depuis des siècles au moment où la première équipe de la NASA s‘est rendue sur place. Je suppose que les experts de l‘Agence n‘avaient pas la moindre idée de l‘importance de leur découverte avant d‘effectuer des sondages et de passer les échantillons aux rayons X. Ils m‘ont demandé de mentir en croyant rattraper le coup avec une grosse météorite. Et, une fois là-bas, ils ont compris que c‘était la trouvaille du siècle.
La respiration de Gabrielle était rendue sifflante par l‘excitation.