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être particulièrement importantes pour qu‘elle refuse de lui parler au téléphone, se dit Rachel.
Pickering reprit :
— Ne discutez de vos coordonnées finales avec personne.
Et plus de contact radio, est-ce clair ?
— Oui, monsieur. Nous serons à GAS-AC dans une heure.
— Quand vous aurez atteint votre destination ultime, vous pourrez m‘appeler au moyen de canaux plus sécurisés.
Il resta silencieux un instant.
— Permettez-moi d‘insister, le secret est la condition sine qua non de votre sécurité. Vous vous êtes fait de puissants ennemis ce soir. Prenez les mesures de précaution les plus draconiennes.
La communication fut coupée.
Rachel se sentait tendue en raccrochant ; elle se tourna vers Tolland et Corky.
— Changement de destination ? demanda Corky, impatient d‘obtenir une réponse.
Rachel acquiesça, à contrecœur.
— Le Goya.
Corky soupira, jetant un regard navré à l‘échantillon de la météorite dans sa main.
— Je n‘arrive toujours pas à imaginer que la NASA ait pu...
Il s‘interrompit, pris d‘une inquiétude croissante.
Nous le saurons bien assez tôt, songea Rachel.
Elle rentra dans le cockpit et rendit la radio au pilote.
Jetant un coup d‘œil vers le moutonnement de nuages qui les entourait, elle eut le pressentiment que ses compagnons et elle n‘allaient pas beaucoup aimer ce qu‘ils allaient trouver sur le bateau de Tolland.
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95.
William Pickering se sentait inhabituellement seul au volant de sa berline noire sur l‘autoroute de Leesburg. Il était presque 2 heures du matin et il était seul sur la route. Ça faisait des années que cela ne lui était pas arrivé.
La voix rauque de Marjorie Tench continuait de résonner dans sa tête.
« Rencontrons-nous au Mémorial Roosevelt. »
Pickering essaya de se rappeler sa dernière entrevue avec Marjorie Tench – jamais une expérience agréable –, deux mois auparavant, à la Maison Blanche. Tench était assise en face de Pickering à une longue table, autour de laquelle avaient pris place tous les membres du Conseil national de sécurité, les chefs d‘état-major, le directeur de la CIA, le président Herney, et l‘administrateur de la NASA.
— Messieurs..., avait commencé le directeur de la CIA en regardant Marjorie Tench droit dans les yeux. Une fois encore, je suis devant vous pour insister sur le fait que cette administration doit résoudre les problèmes de sécurité persistants de la NASA.
Cette déclaration n‘avait étonné personne dans la pièce.
Les difficultés de la NASA étaient devenues un sujet lancinant pour tous les responsables du renseignement et de la sécurité nationale. Deux jours plus tôt, plus de trois cents photos à haute résolution d‘un des satellites de la NASA avaient été dérobées par des pirates sur une base de données de l‘Agence spatiale.
Les clichés, qui révélaient l‘existence d‘un complexe militaire américain ultrasecret en Afrique du Nord, étaient réapparus sur le marché noir, où ils avaient été achetés par des services secrets ennemis au Moyen-Orient.
— Malgré ses excellentes intentions, poursuivit le directeur de la CIA d‘une voix lasse, la NASA continue de représenter une menace pour la sécurité nationale. En résumé, notre Agence spatiale n‘est pas équipée pour protéger les technologies qu‘elle développe.
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— Je sais, répondit le Président, qu‘il y a eu des indiscrétions. Des fuites préjudiciables. Et cela m‘inquiète beaucoup.
Il fit un signe à Lawrence Ekstrom, qui était assis de l‘autre côté de la table, le visage grave.
— Nous cherchons des moyens de renforcer la sécurité de la NASA, répliqua ce dernier.
— Avec tout le respect que je vous dois, rétorqua le directeur de la CIA, quels que soient les changements que la NASA met en œuvre, ils resteront inefficaces aussi longtemps que l‘Agence restera en dehors de la communauté américaine du renseignement.
Cette affirmation jeta un froid. Tout le monde devinait où il voulait en venir.
— Comme vous le savez, reprit le directeur de la CIA d‘un ton plus sec encore, l‘armée, la CIA, le NSA, le NRO, bref toutes les institutions gouvernementales qui traitent des données secrètes ou sensibles, ont des règles très strictes sur les informations qu‘elles glanent et les technologies qu‘elles développent. Encore une fois je vous demande à tous pourquoi la NASA, qui développe actuellement les technologies les plus pointues dans l‘aérospatiale, l‘imagerie, la propulsion, la reconnaissance et les télécoms, autant de technologies ultrasensibles, échapperait-elle à cette règle du secret ?
Le Président poussa un profond soupir. La proposition était claire. On le poussait à restructurer la NASA pour l‘intégrer à la communauté militaire au sens large. Bien que des réorganisations semblables soient déjà survenues avec d‘autres agences dans le passé, Herney refusait de placer la NASA sous les auspices du Pentagone, de la CIA et du NRO, ou de quelque autre hiérarchie du même type. Le Conseil national de sécurité commençait à se diviser sur cette question et plusieurs de ses membres étaient de l‘avis du directeur de la CIA.
Lawrence Ekstrom n‘avait jamais l‘air très heureux lors de ces réunions – et ce jour-là ne faisait pas exception. Il jeta un regard furieux au directeur de la CIA.
— Monsieur, au risque de me répéter, les technologies que la NASA développe servent des fins scientifiques avant d‘être
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militaires. Si votre service veut utiliser l‘un de nos télescopes spatiaux pour observer la Chine, c‘est votre problème.
Le directeur de la CIA ressemblait à une cocotte-minute sous pression.
Pickering lui adressa un clin d‘œil apaisant et se lança dans l‘arène :
— Larry, fit-il en prenant soin de parler d‘un ton neutre.
Chaque année, la NASA quémande au Congrès les subsides dont elle a besoin. L‘échec de certaines de vos missions est lié aux contraintes budgétaires auxquelles vous avez à faire face. Si nous incorporions la NASA dans la communauté du renseignement, elle n‘aurait plus besoin de mendier ses subventions au Congrès. Vous pourriez puiser dans les fonds secrets à des niveaux nettement plus élevés. Tout le monde serait gagnant. La NASA aurait l‘argent dont elle a besoin pour gérer ses projets convenablement, et la communauté du renseignement serait beaucoup plus tranquille si vos technologies étaient mieux protégées.
Ekstrom secoua la tête.
— Par principe, je ne suis pas d‘accord pour intégrer la NASA dans votre système. La NASA, c‘est la science de l‘espace ; nous n‘avons rien à voir avec la sécurité nationale.
Le directeur de la CIA se leva d‘un bond, du jamais vu dans ces réunions, en tout cas quand le Président était assis.
Personne ne s‘interposa. Il jeta un regard furibond à Ekstrom.
— Comment pouvez-vous affirmer que la science n‘a rien à voir avec la sécurité nationale ? Larry, ce sont des synonymes, pour l‘amour de Dieu ! Notre sécurité repose sur l‘avancée technologique et scientifique de ce pays et, que nous le voulions ou non, la NASA joue un rôle de plus en plus grand dans le développement de ces technologies. Malheureusement, votre Agence est une vraie passoire et elle a prouvé à de nombreuses reprises que sa sécurité était son point faible !