Delta 1 scruta l‘image vidéo du Mémorial planté d‘arbres.
Le parking et la route d‘accès étaient toujours vides. Bientôt, songea-t-il. Le site du rendez-vous, situé en zone urbaine, était heureusement désert à cette heure. Delta 1 détourna ses yeux de l‘écran et se concentra sur son équipement.
Le missile Hellfire était l‘arme idéale pour une mission comme celle-ci. Le Hellfire, un missile antiblindage guidé par laser, permettait de « tirer et partir » en toute confiance. Le projectile atterrissait exactement à l‘endroit que lui désignait le laser – que le rayon soit guidé depuis le sol, depuis un autre appareil ou depuis l‘appareil procédant au tir. Ce soir-là le missile allait être guidé avec le désignateur laser monté sur le mât externe. Le Hellfire était une munition très répandue parmi les vendeurs d‘armes du marché noir, son usage ferait donc immédiatement penser à un groupe terroriste. Le Hellfire pouvant être tiré indifféremment du ciel ou du sol, on ne soupçonnerait sans doute pas la présence d‘un hélicoptère.
— Une berline arrive, fit Delta 2.
Delta 1 observa l‘écran. Une luxueuse berline noire sans signes distinctifs approchait sur la route d‘accès. Exactement à l‘heure prévue. Un modèle typique des hauts fonctionnaires. Le chauffeur mit ses phares en veilleuse en pénétrant dans le Mémorial. La voiture fit plusieurs fois le tour du parking et s‘arrêta près d‘un bosquet. Delta 1 regarda l‘écran, tandis que son partenaire dirigeait la caméra télescopique sur la vitre, côté
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conducteur. Au bout de quelques instants, on vit se dessiner à l‘écran le visage de celui-ci.
Delta 1 prit une courte inspiration.
— Cible confirmée, lâcha son compagnon.
Delta 1 regarda sur l‘écran de vision nocturne la croix menaçante se superposer à la cible, et il se sentit dans la peau d‘un sniper visant un chef d‘État.
Cible confirmée.
Delta 2 se tourna vers la gauche et actionna le désignateur laser. Il visa et, sept cents mètres plus bas, une petite tache de lumière apparut sur le toit de la berline, invisible pour son occupant.
— Cible pointée, dit-il.
Delta 1 inspira profondément et tira. Un sifflement strident se fit entendre sous le fuselage, suivi d‘un sillage blanc remarquablement fin qui fonçait vers la terre. Une seconde plus tard, la limousine explosait dans une aveuglante éruption de flammes et de débris métalliques pulvérisés. Les commandos virent les pneus en flammes rouler vers le bosquet.
— Mission accomplie, fit Delta 1, accélérant déjà pour quitter la zone.
— Appelle le contrôleur.
À moins de trois kilomètres de là, le président Zach Herney s‘apprêtait à se mettre au lit. Il n‘entendit pas l‘explosion, les vitres blindées de sa chambre, d‘une épaisseur de trois centimètres et demi, offrant une isolation acoustique presque totale.
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97.
La piste des gardes-côtes d‘Atlantic City est située dans une section spéciale de l‘aéroport international. Leur zone d‘intervention littorale s‘étend d‘Asbury Park jusqu‘au cap May.
Rachel Sexton fut réveillée en sursaut par le crissement des pneus de l‘avion sur le tarmac de la piste, isolée entre deux énormes hangars. Encore hébétée, elle regarda sa montre.
2 h 13 du matin. Elle avait l‘impression d‘avoir dormi pendant des jours. Une couverture de bord avait été soigneusement enveloppée autour d‘elle. En se tournant sur sa gauche, elle vit Michael Tolland qui venait de se réveiller et qui lui souriait, la mine lasse.
Corky remonta la travée en titubant et fronça les sourcils en les découvrant.
— Vous êtes encore là, vous ? À mon réveil, j‘espérais que la soirée d‘hier n‘était qu‘un cauchemar.
Rachel comprit exactement ce qu‘il ressentait.
Et dire qu‘il va falloir qu‘on retourne sur l‘eau...
L‘avion stoppa. Rachel et les autres descendirent sur une piste déserte. Le ciel était couvert, mais l‘air de la côte était lourd et chaud. Comparé à Ellesmere Island, le New Jersey semblait presque tropical.
— Par ici ! héla une voix.
Tous trois se tournèrent et aperçurent un hélicoptère Dolphin HH-65 écarlate, l‘appareil que les gardes-côtes utilisent en général. Un pilote en combinaison leur faisait de grands gestes, sa silhouette se détachait devant la bande blanche fluorescente apposée sur la queue de l‘appareil.
Tolland adressa à Rachel un hochement de tête impressionné.
— Quand votre patron claque des doigts, l‘intendance a l‘air de suivre !
Vous n‘avez même pas idée à quel point, se dit Rachel.
Corky se voûta légèrement.
— On repart déjà ? Et quand est-ce qu‘on dîne ?
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Le pilote leur souhaita la bienvenue et les aida à grimper dans l‘appareil. Sans demander leurs noms, il se contenta de multiplier les plaisanteries tout en égrenant les consignes de sécurité. Pickering avait visiblement fait comprendre aux gardes-côtes que ce vol n‘était pas une mission officielle.
Néanmoins, malgré la discrétion de son patron, Rachel réalisa que leurs identités n‘allaient pas rester secrètes très longtemps.
Le pilote reconnut immédiatement Michael Tolland sans le dire, mais ses yeux écarquillés étaient assez éloquents.
Rachel, assise à côté de Tolland, boucla son harnais de sécurité. Elle sentit une nervosité familière la gagner. Le moteur Aerospatiale de l‘hélicoptère se mit à rugir et le Dolphin vibra jusqu‘au moment où le rugissement atteignit un niveau sonore suffisant et le pilote considéra qu‘il pouvait décoller.
Quelques instants après, il se tournait vers eux et leur lançait :
— On m‘a dit que vous m‘indiqueriez notre destination une fois que nous serions en l‘air.
Tolland donna au pilote les coordonnées d‘un site au large de la côte, à près de quarante-cinq kilomètres au sud-est de leur position du moment.
Son bateau se trouve à environ dix-huit kilomètres de la côte, songea Rachel, en appréhendant le moment de l‘amerrissage.
Le pilote saisit les coordonnées dans son système de navigation. Puis il lança ses moteurs à pleine puissance.
L‘hélicoptère piqua en avant et se dirigea vers le sud-est.
Rachel essayait de faire abstraction de l‘océan noirâtre qui s‘étendait tout autour d‘eux. Malgré son angoisse croissante, elle tenta de se réconforter en se disant qu‘elle était accompagnée par un marin expérimenté. Dans l‘étroite cabine, elle sentait les hanches et les épaules de Tolland pressées contre les siennes. Aucun d‘eux ne fit la moindre tentative pour changer de position.
— Je sais que je ne devrais pas dire cela, leur lança le pilote brusquement comme s‘il n‘en pouvait plus d‘excitation, mais vous êtes Michael Tolland et je ne peux pas ne pas vous en parler ! Eh ben on a regardé la télé toute la soirée ! La
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météorite ! C‘est complètement dingue ! Vous devez être sous le choc !
Tolland acquiesça patiemment.
— Oui, je suis resté sans voix.
— Le documentaire était fantastique ! Vous savez, on n‘arrêtait pas de le passer en boucle. Aucun des pilotes de service ne voulait faire cette course parce que tout le monde était scotché à la télé, et c‘est moi qui ai tiré la courte paille.