POTUS.
Elle entrevit soudain une lueur d‘espoir. POTUS était un parfait mot de passe pour Sexton. Simple, positif, égocentrique.
Retenant sa respiration, Gabrielle tapa rapidement les lettres P, O, T, U, S.
MOT DE PASSE INVALIDE - ACCÈS REFUSÉ
La jeune femme capitula. Elle se dirigea vers les toilettes pour sortir. La sonnerie de son portable la fit sursauter.
S‘arrêtant net, elle prit son téléphone et jeta un coup d‘œil sur l‘horloge à laquelle Sexton tenait tant. Presque 4 heures du matin. À cette heure, ce ne pouvait être que lui. Il se demandait évidemment où elle était passée. Je décroche ou je laisse sonner ? Si elle répondait, Gabrielle allait devoir mentir. Mais si elle ne répondait pas, Sexton deviendrait soupçonneux.
Elle prit l‘appel.
— Allô ?
— Gabrielle ? Qu‘est-ce qui vous retarde ?
Sexton semblait très impatient.
— Le Mémorial Roosevelt. Le taxi a été bloqué là-bas et maintenant on est...
— Mais je n‘ai pas l‘impression que vous m‘appelez d‘un taxi...
— Non, dit-elle, son cœur battant plus fort. Non, je ne vous appelle pas d‘un taxi, j‘ai décidé de m‘arrêter à mon bureau, de prendre quelques documents de la NASA sur PODS. Je les cherche et j‘ai du mal à les retrouver.
— Bien, dépêchez-vous, je voudrais convoquer une conférence de presse pour demain matin et nous devons revoir tout ça en détail.
— J‘arrive très vite, fit-elle.
Il y eut un silence au bout de la ligne.
— Vous êtes dans votre bureau ?
Sexton semblait soudain troublé.
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— Oui, j‘ai besoin d‘encore dix minutes et j‘arrive chez vous.
Autre silence.
— Très bien, je vous vois tout à l‘heure.
Gabrielle raccrocha, trop préoccupée pour remarquer le triple tic si reconnaissable et sonore de l‘horloge que Sexton adorait et qui n‘était qu‘à un ou deux mètres d‘elle.
113.
Michael Tolland comprit que Rachel était blessée lorsqu‘il vit le sang sur son bras, en la tirant à couvert derrière le Triton.
À l‘expression de son visage, il sut qu‘elle n‘éprouvait aucune douleur. Après l‘avoir réconfortée, il chercha Corky.
L‘astrophysicien rampait vers eux, les yeux écarquillés de terreur.
Nous devons trouver un abri, songea Tolland, qui ne réussissait toujours pas à réaliser l‘horreur de ce qui venait de se produire.
D‘instinct, ses yeux examinèrent les ponts en gradins au-dessus d‘eux. Les marches menant au pont supérieur étaient toutes exposées aux tirs, et le pont lui-même était une boîte transparente, ils feraient des cibles trop faciles derrière ces parois. Grimper là-haut relevait du suicide, ce qui ne leur laissait qu‘une seule issue.
Pendant un bref instant, Tolland regarda avec une lueur d‘espoir le sous-marin Triton, se demandant s‘il pouvait y embarquer ses compagnons. Ils auraient au moins été à l‘abri des balles.
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Absurde. Le Triton ne pouvait abriter qu‘une personne et la mise à l‘eau au moyen du treuil prenait une bonne dizaine de minutes, le temps d‘atteindre l‘océan, dix mètres plus bas. De plus, ses batteries et ses compresseurs n‘étaient pas chargés, le Triton aurait été incapable de se déplacer dans l‘eau.
— Attention, ils reviennent ! hurla Corky d‘une voix stridente en pointant un index vers le ciel.
Tolland ne regarda même pas vers le ciel. Il désigna une cloison toute proche, à partir de laquelle une rampe d‘aluminium descendait vers les ponts inférieurs. Corky n‘avait besoin d‘aucun encouragement. Courbé en avant, il se rua vers l‘ouverture et disparut dans l‘escalier. Tolland prit Rachel d‘un bras ferme par la taille et le suivit. Tous deux disparurent vers le pont inférieur juste au moment où l‘hélicoptère repassait au-dessus de leurs têtes, criblant le pont de balles.
Tolland aida Rachel à descendre jusqu‘à la plateforme suspendue, tout en bas. Quand ils arrivèrent, Tolland sentit le corps de Rachel se raidir subitement. Il se tourna, craignant qu‘elle n‘ait été touchée par une balle qui aurait ricoché.
Quand il vit son visage, il comprit qu‘il s‘agissait d‘autre chose. Tolland suivit son regard vers l‘eau et comprit aussitôt.
Rachel était pétrifiée, ses jambes refusaient d‘avancer. Elle contemplait d‘un air fixe l‘univers improbable qui s‘étendait sous elle.
Les coques multiples du Goya, au design si particulier, évoquaient celles d‘un catamaran géant. Rachel et Tolland se trouvaient sur une coursive suspendue au-dessus du vide où, dix mètres plus bas, s‘agitait une mer déchaînée. Le bruit qui se répercutait sur la face inférieure du pont était assourdissant.
Ajoutant encore à la terreur de Rachel, les spots, restés allumés, éclairaient la mer d‘une effrayante lueur verdâtre. Elle aperçut six ou sept silhouettes fantomatiques sous le bateau. D‘énormes requins-marteaux nageaient sur place à contre-courant, leurs longs corps souples et forts ondulant inlassablement.
La voix de Tolland résonna dans son oreille.
— Rachel, tout va bien. Regardez devant vous, je suis là.
Sa main se posa sur le poing que Rachel gardait crispé sur la rampe, essayant doucement de lui faire lâcher prise. C‘est à ce
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moment-là qu‘elle vit la goutte de sang écarlate rouler, dégouliner sur son bras et tomber à travers le jour d‘une des marches. Ses yeux suivirent la goutte. Elle comprit à quel instant le sang s‘était mêlé à l‘eau de mer car d‘un seul coup, tous les requins-marteaux se précipitèrent à l‘unisson, poussant de toute la force de leurs queues puissantes et se ruant les uns contre les autres dans une frénésie de mâchoires voraces.
Ils disposent de lobes olfactifs extraordinairement sensibles... ils peuvent sentir quelques gouttes de sang à un kilomètre et demi de distance.
— Regardez droit devant vous, répéta Tolland, d‘une voix ferme et rassurante, je suis juste derrière.
Rachel sentit sur ses hanches les mains qui la poussaient en avant. S‘efforçant de ne plus voir le vide au-dessous d‘elle, la jeune femme descendit l‘escalier. Elle entendait plus haut les rotors de l‘hélicoptère. Corky était déjà loin devant, il avançait sur la petite coursive en titubant comme un ivrogne paniqué.
Tolland lui cria :
— Va jusqu‘en bas, Corky, jusqu‘en bas !
Rachel aperçut maintenant le terme de leur course. Au-dessus de leur tête, une série de rampes descendaient en zigzag.
Au niveau de l‘eau, un petit pont étroit courait sur toute la longueur du Goya, et attachés à ce pont principal se succédaient plusieurs petits ponts transversaux aménagés pour la plongée, comme le signalait un grand panneau :
Zone de plongée !
Manœuvrer avec précaution.
Rachel espéra que Michael n‘avait pas l‘intention de fuir à la nage. Son cœur battit plus vite quand elle vit Tolland s‘arrêter le long d‘une rangée de coffres à porte grillagée qui flanquaient la coursive. Il ouvrit les portes et en sortit des tenues de plongée, des tubas, des palmes, des gilets de sauvetage et des fusils sous-marins. Avant qu‘elle ait pu protester, il plongea sa main dans le coffre et s‘empara d‘un pistolet lance-fusées.