Delta 1 volait à très basse altitude au-dessus de l‘océan, scrutant les ténèbres à la recherche du petit hors-bord.
Supposant que le fuyard avait dû foncer vers le rivage et s‘éloigner au maximum du Goya, Delta 1 avait suivi la trajectoire initiale du Crestliner.
Normalement, pister un bateau nécessitait un radar ordinaire, mais comme le système de brouillage était activé et neutralisait tous les signaux à des kilomètres à la ronde, le radar était inutilisable. Désactiver le système de brouillage était impossible avant d‘avoir la confirmation que tous les passagers du Goya étaient morts. Pas question qu‘un seul SOS
téléphonique soit émis depuis le Goya ce soir-là.
Le secret de la météorite doit mourir. Ici même et tout de suite.
Heureusement, Delta 1 avait d‘autres cordes à son arc. À
commencer par son scanner thermique. Même sur cette zone très inhabituelle d‘océan aux eaux tièdes, repérer l‘empreinte thermique d‘un petit hors-bord était tout simple. La
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température de l‘océan devait être d‘une trentaine de degrés centigrades mais les émissions thermiques d‘un moteur de hors-bord de deux cent cinquante chevaux restaient aisément repérables.
La jambe de Corky Marlinson et son pied engourdis n‘enregistraient plus aucune sensation. Incapable de trouver une autre solution, il avait essuyé son mollet blessé avec un chiffon et y avait enroulé une bande de scotch adhésif argenté.
Le saignement avait cessé mais ses vêtements et ses mains étaient toujours maculés de sang.
Assis au fond de son embarcation, Corky se demandait, perplexe, pourquoi l‘hélicoptère ne l‘avait pas encore retrouvé.
Jetant un coup d‘œil alentour, scrutant l‘horizon derrière lui, il s‘attendait à voir le Goya au loin et l‘hélicoptère fonçant dans sa direction. Étrangement, il ne voyait rien. Les lumières du Goya avaient disparu. Il ne pouvait tout de même pas avoir parcouru une telle distance...
Corky crut soudain en ses chances. Peut-être avaient-ils perdu sa trace dans le noir. Peut-être allait-il arriver jusqu‘au rivage.
C‘est alors qu‘il constata que le sillage de son hors-bord n‘était pas rectiligne, il s‘incurvait progressivement comme s‘il suivait une trajectoire en arc plutôt qu‘en ligne droite. Surpris, Corky tourna la tête. Le sillage de l‘arc dessinait une courbe géante sur l‘océan. Un instant plus tard, il le vit.
Le Goya se trouvait à bâbord, à moins de cinq cents mètres. Terrifié, Corky comprit son erreur. En l‘absence d‘un pilote pour redresser la barre, la proue du Crestliner s‘était continuellement alignée sur le puissant courant circulaire du panache géant.
Je suis en train de tourner en rond ! se dit-il.
Il était revenu à son point de départ.
Sachant qu‘il était toujours dans la zone infestée de requins, Corky se rappela les sinistres paroles de Tolland.
« Grâce à leurs lobes olfactifs, les requins-marteaux sont capables de flairer une goutte de sang à un kilomètre et demi. »
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Corky regarda sa jambe et ses mains couvertes de scotch argenté.
L‘hélicoptère n‘allait pas tarder à le retrouver.
Arrachant ses vêtements pleins de sang, il tituba jusqu‘à la poupe. Sachant qu‘aucun requin ne pouvait suivre le bateau, il se rinça de son mieux dans l‘écume du sillage à l‘arrière du hors-bord.
Une simple gouttelette de sang...
En se relevant, complètement nu, Corky savait qu‘il ne lui restait plus qu‘une chose à faire. Il avait appris autrefois que les animaux se servaient de leur urine pour marquer leur territoire, l‘acide urique étant le fluide corporel qui dégageait l‘odeur la plus forte.
Plus fort que le sang, espérait-il. Il aurait voulu avoir bu quelques bières de plus ce soir-là. Corky posa son pied sur le bord et essaya d‘uriner sur son mollet couvert de scotch adhésif.
Se pisser dessus alors qu‘un hélicoptère vous traque n‘a rien d‘évident !
Finalement, Corky urina sur sa jambe, sans épargner un centimètre carré. Il se servit de ce qui restait dans sa vessie pour imprégner un chiffon qu‘il se passa ensuite sur le corps.
Dans le ciel au-dessus de lui, un rayon laser perçait les ténèbres et le cherchait comme la lame scintillante d‘une épée de Damoclès. L‘hélicoptère surgit d‘un angle inattendu, le pilote n‘avait visiblement pas prévu le retour de Corky vers le Goya.
Il enfila rapidement un gilet de sauvetage. Sur le plancher du bateau, à un mètre cinquante de Corky, une tache d‘un rouge brillant apparut.
Vite !
À bord du Goya, Michael Tolland ne vit pas le Crestliner Phantom 2100 voler en éclats dans un immense panache de flammes et de fumée.
Mais il entendit l‘explosion.
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117.
L‘aile ouest était habituellement tranquille à cette heure, mais l‘apparition inattendue du Président en peignoir de bain et pantoufles avait réveillé ses collaborateurs et les fonctionnaires de permanence qui somnolaient plus ou moins sur des canapés...
— Je n‘arrive pas à mettre la main dessus, monsieur le Président, disait un jeune homme en le suivant dans le bureau Ovale.
Il avait regardé partout.
— Mme Tench ne répond ni sur son pager ni sur son portable.
Le Président semblait exaspéré.
— Avez-vous regardé dans le...
— Elle a quitté la Maison Blanche, monsieur, annonça un autre collaborateur qui arrivait au pas de charge. Elle a signé le registre il y a environ une heure. Nous pensons qu‘elle s‘est peut-être rendue au NRO. L‘une des opératrices nous a dit que Tench et Pickering devaient se rencontrer ce soir.
— William Pickering ?
Le Président eut l‘air stupéfait.
Tench et Pickering avaient des rapports on ne peut plus distants.
— L‘avez-vous appelé ?
— Il ne répond pas, monsieur. Les standardistes du NRO
ne parviennent pas à le joindre. Ils disent que le téléphone mobile de Pickering ne répond même plus. C‘est comme s‘il avait purement et simplement disparu de la surface de la terre.
Herney dévisagea ses deux collaborateurs pendant quelques instants avant de se diriger vers le bar et de se servir une rasade de bourbon. Au moment où il portait le verre à ses lèvres, un homme du Secret Service entra d‘un pas rapide.
— Monsieur le Président ? Je ne voulais pas vous réveiller, mais je dois vous prévenir qu‘un attentat a eu lieu ce soir au Mémorial Roosevelt.
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Herney faillit en laisser tomber son verre.
— Quoi ? Mais quand ça ?
— Il y a une heure.
Le visage de l‘agent était grave.
— Et le FBI vient juste d‘identifier la victime...
118.
Le pied de Delta 3 était atrocement douloureux. Il se sentait flotter dans un état semi-comateux. Était-ce la mort ? Il essaya de bouger mais il était paralysé, à peine capable de respirer. Il ne voyait que des formes floues. Il se remémora les instants qui avaient précédé son évanouissement, se rappela l‘explosion du Crestliner, la colère dans les yeux de Michael Tolland quand l‘océanographe se tenait debout au-dessus de lui, pressant la charge explosive du fusil anti-requin contre sa gorge.