Quand je rendrai publique cette information, la Maison Blanche sera à moi, se dit-il.
Tout à son euphorie, le sénateur Sedgewick Sexton avait momentanément oublié l‘appel au secours de sa fille.
— Rachel est en danger ! s‘exclama Gabrielle. Sa note dit que la NASA et la Maison Blanche sont en train d‘essayer de...
Le téléphone-fax de Sexton se mit à sonner à nouveau.
Gabrielle pivota, regarda l‘appareil. Le sénateur aussi. Qu‘est-ce que Rachel pouvait bien lui envoyer d‘autre ? Des preuves ?
Combien y en avait-il encore ?
Mais aucune page ne sortit du fax. L‘appareil, qui n‘avait détecté aucun signal, commuta l‘appel sur le répondeur.
— Bonjour, commença le message enregistré de Sexton.
Vous êtes au bureau du sénateur Sedgewick Sexton. Si vous essayez d‘envoyer un fax, vous pouvez commencer la
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transmission dès maintenant. Sinon, laissez un message après le bip.
Avant que Sexton ait décroché, la machine se mit à biper.
— Sénateur Sexton ?
La voix de l‘homme semblait d‘une gravité inquiète.
— Ici William Pickering, le directeur du NRO. Vous n‘êtes probablement pas dans votre bureau à cette heure tardive, mais, si c‘est le cas, j‘ai besoin de vous parler immédiatement.
Il s‘interrompit comme s‘il attendait que quelqu‘un décroche.
Gabrielle tendit la main vers le combiné.
Sexton l‘écarta violemment.
Gabrielle eut l‘air stupéfaite.
— Mais c‘est le directeur du...
— Sénateur, reprit Pickering, qui semblait presque soulagé que personne n‘ait répondu. Je crains d‘avoir d‘assez mauvaises nouvelles pour vous. Votre fille Rachel court un très grand danger. J‘ai envoyé une équipe pour essayer de l‘aider. Je ne peux pas vous parler en détail de la situation au téléphone, mais on vient de m‘informer qu‘elle pourrait vous avoir faxé des informations relatives à la météorite de la NASA. Je n‘ai pas vu ces documents et je ne sais pas non plus de quoi il s‘agit, mais les gens qui menacent votre fille viennent de me prévenir que si vous ou quiconque divulguiez ces données, Rachel mourrait. Je suis désolé d‘être si brutal, monsieur, mais mon devoir est d‘être clair. La vie de votre fille est menacée. Si elle vous a vraiment faxé quelque chose, n‘en parlez absolument à personne. Pas encore. La vie de votre fille en dépend. Restez où vous êtes, je serai là sous peu.
Nouveau silence.
— Avec un peu de chance, sénateur, tout cela sera réglé au moment où vous vous réveillerez et, si par hasard vous aviez ce message avant que j‘arrive à votre bureau, restez où vous êtes et n‘appelez personne. Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour sauver votre fille.
Pickering raccrocha.
Gabrielle tremblait de tous ses membres.
— Rachel est retenue en otage ?
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Sexton sentit que sa collaboratrice éprouvait une sincère compassion pour sa fille. Sentiment que Sexton ne partageait pas. Il était plutôt dans l‘état d‘esprit d‘un enfant à qui l‘on vient de donner un jouet longtemps convoité et qui refuse de laisser qui que ce soit le lui reprendre.
Pickering veut que je me taise ?
Il réfléchit quelques instants, essayant de faire le point.
Dans un recoin froid et calculateur de son cerveau, les rouages d‘une vieille machine s‘étaient remis en route. Son ordinateur politique interne testait tous les scénarios possibles et en soupesait les conséquences. Il examina de nouveau la liasse de documents et comprit le puissant impact de ces images. La météorite avait fait voler en éclats son rêve de présidence. Mais ce n‘était qu‘une supercherie et ceux qui avaient tenté de le détruire allaient payer. La météorite créée pour l‘anéantir allait se retourner contre eux et le rendre plus puissant qu‘il ne l‘avait jamais rêvé. Sa fille y avait veillé.
Il n‘y a qu‘une seule décision à prendre pour un vrai chef, se dit-il.
Hypnotisé par la vision glorieuse de sa propre résurrection, Sexton quitta la pièce dans un état second. Il se rendit à la photocopieuse et l‘alluma, s‘apprêtant à dupliquer les documents que Rachel venait de lui faxer.
— Mais que faites-vous ? interrogea Gabrielle, stupéfaite.
— Ils ne tueront pas Rachel, déclara Sexton.
Même si l‘histoire se terminait mal pour sa fille, Sexton savait qu‘un tel assassinat le placerait en position de force pour l‘élection. De toute façon, il allait gagner. Au prix d‘un risque après tout acceptable.
— À qui destinez-vous ces photocopies ? s‘enquit Gabrielle.
William Pickering vous a demandé de n‘en parler à personne !
Sexton se tourna vers Gabrielle et la regarda, étonné de découvrir à quel point il la trouvait tout à coup insignifiante. En cet instant, le sénateur Sexton était inaccessible. Son rêve était sur le point de se réaliser. Plus personne ne l‘arrêterait. Il allait leur faire ravaler leurs accusations de corruption et leurs rumeurs obscènes.
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— Rentrez chez vous, Gabrielle. Vous n‘avez plus rien à faire ici.
125.
C‘est fini, se dit Rachel.
Elle était assise sur le pont à côté de Tolland, le regard tourné
vers
le
fusil-mitrailleur
du
commando.
Malheureusement, Pickering savait que Rachel avait envoyé le fax au bureau de son père.
Rachel songea qu‘il n‘entendrait peut-être jamais le message téléphonique que Pickering venait de lui laisser. Le patron du NRO avait certainement les moyens de pénétrer dans le bureau de Sexton bien avant qui que ce soit. Et si Pickering pouvait entrer, emporter le fax et détruire le message téléphonique avant l‘arrivée de Sexton, il n‘aurait pas à l‘assassiner. William Pickering était sans doute l‘une des très rares personnes, à Washington, à avoir les moyens de s‘infiltrer dans le bureau d‘un sénateur américain sans rendre de comptes à quiconque. Rachel était toujours étonnée d‘apprendre les violations de la loi commises par les services secrets au nom de
« la sécurité nationale ».
Et si ses agents n‘y parviennent pas, pensa Rachel, Pickering peut aussi envoyer un missile Hellfire à travers la fenêtre du bureau et faire tout sauter.
Mais quelque chose lui disait que ce ne serait pas nécessaire.
Assise contre Tolland, Rachel fut surprise de sentir sa main se glisser doucement dans la sienne. Les doigts de Tolland s‘entremêlèrent si naturellement aux siens, que Rachel eut l‘impression qu‘ils se tenaient la main depuis toujours. Tout ce qu‘elle voulait, à présent, c‘était le serrer dans ses bras, à l‘abri des effrayants tourbillons noirâtres qui rugissaient autour d‘eux.
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Jamais, comprit-elle. Ça n‘arrivera jamais.
Michael Tolland, lui, se sentait dans la peau d‘un condamné à mort à qui on a fait miroiter la grâce et qu‘on traîne finalement au poteau. La vie se moque de moi.
Pendant des années, après la mort de Celia, Tolland avait enduré des nuits de cauchemar où il appelait la mort, des heures d‘angoisse, de souffrance, de solitude dont il ne pensait pouvoir s‘échapper que par le suicide. Et pourtant, il avait choisi la vie, se répétant qu‘il s‘en sortirait. Aujourd‘hui, Tolland commençait à intégrer ce que ses amis lui répétaient depuis toujours.