Une pensée, surtout, la hantait. Je vais mourir noyée.
Elle examina le tableau de bord du Triton à la recherche d‘un bouton ou d‘une manette qui pourrait l‘aider mais tous les voyants étaient éteints. Pas de courant. Elle était enfermée dans une boîte d‘acier en train de couler.
Les gargouillis des réservoirs s‘accéléraient maintenant et l‘océan ne cessait de monter ; à l‘extérieur du sous-marin, le niveau de l‘eau n‘était plus qu‘à un mètre du sommet du dôme.
Au loin, à travers l‘immense étendue plane, Rachel vit un liséré écarlate surligner l‘horizon. L‘aube se levait. Rachel songea avec angoisse que c‘était la dernière fois qu‘elle voyait la lumière.
Fermant les yeux pour refuser une réalité qu‘elle ne maîtrisait plus, la jeune femme revécut les images terrifiantes de son enfance.
Elle tombait à travers la couche de glace recouvrant la rivière. Elle partait à la dérive, n‘arrivait plus à respirer.
Impossible de remonter. Elle coulait.
Sa mère l‘appelait.
— Rachel ! Rachel !
Des coups sur la coque du sous-marin firent sursauter Rachel et la tirèrent de son délire. Ses yeux s‘ouvrirent d‘un coup.
— Rachel !
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La voix était étouffée. Un visage fantomatique apparut contre le dôme du sous-marin, tête en bas, tignasse brune ondulante. Elle le reconnut à peine.
— Michael !
Tolland remonta à la surface, soulagé d‘avoir vu Rachel bouger à l‘intérieur du sous-marin. Elle est vivante. Il redescendit d‘une brasse puissante vers l‘arrière du Triton et grimpa sur la plate-forme du moteur submergé. Les courants étaient chauds et lourds autour de lui tandis qu‘il se plaquait de son mieux contre le sous-marin et empoignait le volant en espérant être hors d‘atteinte de Pickering.
La coque du Triton était presque entièrement sous l‘eau maintenant, et Tolland devait faire vite pour libérer Rachel. Car une fois l‘écoutille sous l‘eau, son ouverture entraînerait le déversement d‘un torrent à l‘intérieur du cockpit, Rachel serait prise au piège à l‘intérieur et le naufrage du sous-marin s‘accélérerait.
C‘est maintenant ou jamais ! se dit Tolland en empoignant le volant de l‘écoutille et en le tournant. Impossible. Il essaya de nouveau, de toutes ses forces. Mais il n‘y avait rien à faire, le mécanisme était bloqué.
Il entendit Rachel, à l‘intérieur, lui lancer d‘une voix étouffée mais distinctement terrifiée :
— J‘ai essayé ! Je ne suis pas arrivée à la tourner !
Des vaguelettes submergeaient maintenant l‘écoutille.
— On va tourner ensemble, lui cria-t-il, pour vous c‘est dans le sens des aiguilles d‘une montre !
Il savait que la flèche indiquait clairement le sens de rotation.
— Maintenant !
Tolland s‘arc-bouta contre les ballasts et pesa de toutes ses forces sur le mécanisme d‘ouverture. Il entendit Rachel, de l‘autre côté de la paroi, qui en faisait autant. Le volant tourna de trois centimètres et se bloqua.
C‘est alors que Tolland découvrit le problème. L‘écoutille était légèrement voilée, comme le couvercle d‘un bocal aplati sur un point de sa circonférence. Elle était coincée. Les verrous
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étaient pliés. Il ne restait plus qu‘un moyen de l‘ouvrir : au chalumeau.
Alors que le sous-marin s‘enfonçait, Tolland fut saisi de terreur : Rachel Sexton ne pourrait pas s‘échapper du Triton.
Sept cents mètres plus bas, le fuselage déchiqueté du Kiowa chargé de missiles coulait, rapidement entraîné par la gravité et l‘impressionnante force de succion de la tornade sous-marine. À l‘intérieur du cockpit, le corps sans vie de Delta 1, défiguré par l‘extraordinaire pression régnant à cette profondeur, n‘était plus reconnaissable.
Et l‘hélicoptère continuait sa descente vers le fond de l‘océan où, sous une croûte de trois mètres d‘épaisseur, le dôme de magma, immense réserve de lave en fusion, bouillonnait à mille degrés centigrades. Le volcan attendait son heure.
128.
Tolland, debout sur le moteur du Triton, cherchait désespérément un moyen de sauver Rachel.
Il se retourna vers le Goya, se demandant s‘il y avait un moyen de relier le Triton à un treuil pour le maintenir à la surface. Mais c‘était impossible. Il se trouvait maintenant à cinquante mètres du bateau et Pickering avait pris position sur le pont supérieur, comme un empereur romain assis à la meilleure place pour un spectacle de cirque.
Réfléchis ! se dit Tolland. Pourquoi le sous-marin coule-t-il ?
Le principe de base de la navigation sous-marine est on ne peut plus simple : les ballasts se remplissent d‘air ou d‘eau selon qu‘on manœuvre le submersible pour monter ou descendre.
De toute évidence, les ballasts se remplissaient d‘eau.
Mais ils ne devraient pas ! songea-t-il.
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Tous les ballasts sont équipés de purges aussi bien dans la partie haute que sur leurs faces inférieures. Les clapets de purge inférieurs du Triton restaient toujours ouverts tandis que ceux situés sur le haut pouvaient être ouverts et refermés pour laisser l‘air s‘échapper et l‘eau se déverser à l‘intérieur.
Les clapets de purge du Triton étaient peut-être ouverts ?
Tolland ne parvenait pas à comprendre pourquoi. Il pataugeait sur la plate-forme du moteur submergé, ses mains tâtant à l‘aveuglette l‘un des réservoirs de ballast. Les clapets étaient fermés, mais ses doigts sentirent les trous causés par les projectiles.
Merde ! jura-t-il. Le Triton avait été criblé de balles quand Rachel avait sauté dedans. Tolland plongea immédiatement et nagea sous le sous-marin, contrôlant soigneusement le ballast le plus important du Triton, le réservoir négatif. Les Britanniques appellent ce réservoir « l‘aller simple pour le fond ». Les Allemands l‘appellent « les chaussures de plomb ». D‘une façon ou d‘une autre, le sens est clair : le réservoir négatif, quand il est plein, entraîne le submersible au fond.
En palpant le flanc du réservoir, Tolland sentit des dizaines de trous sous ses doigts. Il sentit même l‘eau se déverser à l‘intérieur. Le Triton allait sombrer, et tous les efforts de Tolland n‘y changeraient rien.
Le sous-marin était maintenant à un mètre sous l‘eau.
Tolland avança jusqu‘à la proue, appuya son visage contre le dôme d‘acrylique transparent et regarda à l‘intérieur. Rachel donnait des coups sur la paroi et hurlait. Il se sentait impuissant devant la peur panique de la jeune femme. Il se revit dans un hôpital gris et triste, face à la femme qu‘il aimait en train de mourir, et avec ce même sentiment d‘impuissance. Il ne supporterait pas cette épreuve une deuxième fois. « Tu vas survivre », lui avait dit Celia. Mais Tolland ne voulait pas survivre seul... pas une seconde fois.
Ses poumons lui faisaient mal et pourtant il restait là, avec elle. Chaque fois que Rachel tapait sur la vitre, Tolland entendait des bulles d‘air s‘échapper et le sous-marin s‘enfoncer un peu plus. Rachel criait quelque chose au sujet de l‘eau qui se déversait à la base du dôme.
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La vitre panoramique fuyait.
Une balle avait-elle percé le dôme ? Cela semblait peu probable. Alors que ses poumons allaient éclater, Tolland remonta. Tandis qu‘il prenait appui sur l‘énorme bulle d‘acrylique, ses doigts rencontrèrent un morceau de caoutchouc arraché. Un joint circulaire qui avait apparemment cédé dans la chute. C‘était pour ça que le cockpit fuyait.