Rachel tomba sur le dos contre la cloison arrière du cockpit. À moitié submergée par l‘eau, elle regarda vers le dôme qui fuyait, suspendu au-dessus d‘elle comme une gigantesque fenêtre donnant sur la nuit... et la pression de ces milliers de tonnes d‘eau accumulées qui l‘entraînaient au fond.
Rachel voulut se lever, mais son corps était engourdi et lourd. Sa mémoire la renvoya une nouvelle fois à son début de noyade, autrefois, dans l‘eau glacée d‘une rivière.
— Lutte, Rachel ! criait sa mère, en cherchant fébrilement sous la glace à agripper la main de sa fille. Accroche-toi !
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Rachel avait fermé les yeux. Ses patins lourds comme du plomb l‘entraînaient vers le fond. Elle aperçut sa mère allongée les bras en croix pour répartir au maximum son propre poids sur la glace, essayant de l‘attraper.
— Pousse sur les cuisses, Rachel ! Comme pour la brasse !
Rachel faisait de son mieux. Son corps remonta un peu vers le trou dans la glace. Une lueur d‘espoir. Sa mère s‘empara de son poignet.
— C‘est ça ! Aide-moi ! Pousse avec les cuisses !
Sentant la ferme poigne de sa mère la tirer vers le haut, Rachel avait donné tout ce qui lui restait d‘énergie pour pousser et sa mère avait réussi à la sortir de l‘eau. Elle avait tiré sa petite fille trempée jusqu‘à la rive avant de s‘effondrer en larmes.
Rachel rouvrit les yeux sur le piège noirâtre de plus en plus humide et chaud qui la retenait prisonnière. Elle entendit sa mère chuchoter de sa tombe, d‘une voix toujours aussi claire, même dans ce sous-marin en train de couler.
Pousse !
Rachel leva les yeux vers le dôme. Mobilisant ses dernières forces, elle s‘allongea sur le siège du cockpit qui était maintenant presque horizontal. Étendue sur le dos, Rachel plia les genoux et projeta ses jambes vers le haut le plus fort possible. Avec un hurlement désespéré, elle donna un puissant coup de pied en plein centre de la coupole. Le choc lui meurtrit les tibias et la répercussion la laissa un instant sonnée.
Brusquement, ses oreilles sifflèrent et elle sentit la pression décroître, en même temps que le cockpit se remplissait d‘eau.
L‘attache du dôme d‘acrylique sur le côté gauche avait cédé et l‘énorme lentille s‘était enfin entrebâillée.
Le torrent submergea le cockpit et écrasa Rachel contre le dossier. Dans un formidable rugissement, les tourbillons la soulevèrent de son siège et la projetèrent vers le haut. Rachel chercha désespérément à quoi se cramponner mais elle était emportée par une force invincible. Le sous-marin sombrait de plus en plus vite, à mesure que le cockpit se remplissait. Elle était maintenant clouée à la cloison. Dans un tourbillon d‘écume et de bulles, elle se sentit enfin partir vers la gauche et remonter à la surface tandis que le rebord du dôme lui raclait la hanche.
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Libre, je suis libre !
Tournant sur elle-même, elle s‘efforçait de remonter à la surface, ses poumons réclamant désespérément de l‘air. Rachel cherchait la lumière, mais en vain. L‘océan était uniformément noir, sans pesanteur, sans haut ni bas.
Rachel faillit céder à la panique, ne sachant pas dans quel sens nager.
Au fond de l‘océan, la pression gigantesque finissait d‘écraser le Kiowa. Les cônes de cuivre et les charges explosives des quinze missiles antichars AGM-114 Hellfire résistèrent encore quelques secondes. À trente mètres du fond, la formidable succion de la tornade marine happa les restes de l‘hélicoptère et les entraîna vers le bas en les projetant contre la croûte du dôme de magma chauffé à blanc. Comme une boîte d‘allumettes qui s‘enflammeraient à tour de rôle, les missiles Hellfire explosèrent, perçant un trou béant dans le dôme magmatique.
Michael Tolland, qui avait été contraint de remonter à la surface pour respirer avant de replonger fiévreusement, scrutait l‘obscurité à la recherche de Rachel quand les missiles explosèrent. L‘éclair blanc qui se propagea vers le haut lui renvoya une extraordinaire image qu‘il ne devait jamais oublier, une scène saisissante tout en ombres chinoises.
Il aperçut la silhouette de Rachel, trois mètres au-dessous de lui, marionnette désarticulée. Plus bas, le Triton chutait, son dôme à moitié détaché. Les requins de la zone s‘éparpillaient rapidement vers des eaux plus calmes, sentant le danger approcher.
Le bonheur de Tolland à la vue de Rachel enfin libérée fut aussitôt éclipsé quand il réalisa la catastrophe. Essayant de mémoriser sa position alors que l‘obscurité retombait, Tolland plongea vers son amie.
À quelques centaines de mètres, tout au fond, la croûte du dôme de magma explosait et le volcan sous-marin entrait en éruption, vomissant dans la mer une lave chauffée à mille deux cents degrés. La lave en fusion vaporisait des dizaines de mètres
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cubes d‘eau, produisant un énorme geyser de vapeur qui remontait furieusement vers la surface sur l‘axe central de la tornade. Obéissant aux mêmes lois de la mécanique des fluides que les tornades, ce transfert vertical d‘énergie fut contrebalancé par une spirale anticyclonique qui propulsa de l‘énergie dans la direction opposée.
Dans la double spirale qui entourait cette colonne de gaz montante, les courants océaniques augmentèrent rapidement.
La vapeur montante créa une énorme dépression qui aspira des millions de litres d‘eau vers le bas, au contact du magma. Au moment où cette masse heurta le fond, elle se transforma à son tour en vapeur et fusionna avec la colonne de gaz montante, aspirant toujours plus d‘eau dans son sillage. A mesure que cette folle spirale s‘accélérait, la tornade se renforçait de seconde en seconde tout en remontant vers la surface.
Un trou noir océanique venait de naître.
La chaleur humide et obscure qui enveloppait Rachel lui donnait d‘étranges sensations. Des pensées désordonnées se succédaient dans son esprit. Respirer. Elle lutta contre ce réflexe. L‘éclair qu‘elle avait aperçu ne pouvait venir que de la surface et pourtant il semblait si loin... Une illusion d‘optique, sans doute. Remonte à la surface. Rachel se mit à nager en direction de la lumière. Une aura rouge irréelle remonta vers elle. La lumière du jour ? Elle nagea de plus en plus vigoureusement.
Soudain, une main saisit sa cheville. Rachel faillit pousser un cri, et exhaler ce qui lui restait d‘air dans les poumons.
Elle la tirait dans la direction opposée. Puis, Rachel sentit une main familière serrer la sienne. C‘était Michael qui l‘entraînait dans l‘autre sens.
Et si son esprit lui disait qu‘il l‘entraînait vers le bas, son cœur lui soufflait que Michael savait ce qu‘il faisait.
Pousse, lui murmurait sa mère.
Rachel poussa aussi fort qu‘elle pouvait.
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130.
Au moment où Tolland et Rachel émergèrent, Michael comprit que c‘était fini. Le dôme de magma était entré en éruption.
Dès que la tornade atteindrait la surface, elle entraînerait tout vers le fond. Étrangement, le monde terrestre lui semblait bien différent de celui qu‘il avait quitté quelques instants plus tôt. La bourrasque cinglait et le bruit était assourdissant, comme si une tempête s‘était déclarée pendant sa plongée.