Rires dans l‘assistance impatiente.
Sexton sentait la présence de sa fille derrière la cloison.
— Ne fais pas cela, souffla-t-elle. Tu le regretteras.
Il fit semblant de ne pas entendre.
— Je te demande de me faire confiance, insista-t-elle à voix plus haute. Tu commets une grave erreur.
Le sénateur rassembla sa pile en lissant les coins cornés.
— Papa ! implora-t-elle, avec ardeur. C‘est ta dernière chance de sauver ton honneur.
Il couvrit son micro d‘une main, se retourna comme pour s‘éclaircir la gorge, et regarda sa fille à la dérobée.
— Tu es tout le portrait de ta mère – idéaliste et étriquée.
Les femmes ne comprennent rien au pouvoir.
– 527 –
Quand il fit face à l‘auditoire de plus en plus avide, il avait déjà oublié sa fille. La tête haute, il parcourut le podium pour distribuer ses enveloppes dans les mains qui se tendaient. Il regarda les journalistes se répartir le butin, faire sauter les cachets de cire et déchirer à la hâte le papier toile comme s‘ils ouvraient des cadeaux de Noël.
Tous se figèrent en silence.
Sexton était en train de vivre un grand moment de sa carrière politique.
Cette météorite est une escroquerie. Et c‘est moi qui l‘ai révélée, jubilait-il.
Il avait prévu que les reporters mettraient un certain temps à comprendre la signification des documents : images GPR d‘un puits creusé dans la glace, photos d‘une espèce vivante presque identique aux fossiles de la NASA, roches terrestres dotées de chondres – ces pièces à conviction menaient toutes à la même conclusion scandaleuse.
— Monsieur le sénateur ? balbutia un journaliste, apparemment abasourdi. Tous ces documents sont vrais ?
Sexton poussa un soupir accablé.
— J‘en ai peur.
Des murmures déconcertés secouèrent l‘assistance.
— Je laisse à chacun de vous le temps de les parcourir, avant de répondre à vos questions et de vous éclairer sur leur signification.
— Vous affirmez que ces images sont authentiques ?
demanda un autre, totalement décontenancé. Elles n‘ont pas été truquées ?
— Elles sont authentiques à cent pour cent, déclara Sexton d‘une voix ferme. Je ne vous les aurais pas livrées si je n‘en étais pas certain.
Les journalistes semblaient de plus en plus perplexes et Sexton eut même l‘impression d‘entendre un rire – une réaction inattendue. Il craignit d‘avoir surestimé les capacités de synthèse de son auditoire.
— Euh... Monsieur le sénateur ? fit une voix bizarrement amusée. Vous vous portez officiellement garant de l‘authenticité de ces documents ?
– 528 –
Sexton commençait à s‘énerver.
— Chers amis, je ne le répéterai plus : les preuves que vous avez entre les mains sont d‘une exactitude totale. Et si quelqu‘un arrive à prouver le contraire, je mange mon chapeau !
Il attendit les rires, qui ne vinrent pas.
Un silence de mort. Des regards ébahis.
Le reporter qui venait de poser la question se dirigea vers lui, en réorganisant sa liasse de photocopies.
— Vous aviez raison, monsieur le sénateur. C‘est parfaitement scandaleux, affirma-t-il en se grattant la tête. Ce que nous ne comprenons pas, c‘est pourquoi vous décidez maintenant de rendre publique cette affaire, après l‘avoir d‘abord niée avec véhémence.
Sexton ne voyait pas du tout ce que cet homme voulait dire.
Il jeta un coup d‘œil sur les feuilles de papier que lui tendait le journaliste – et resta un instant hébété.
Incapable de prononcer un mot.
Les photos qu‘il avait sous les yeux lui étaient totalement inconnues. Du noir et blanc. Deux personnes. Nues. Bras et jambes entrelacés. Il n‘avait aucune idée de ce que cela pouvait représenter. Puis il comprit. Un boulet de canon lui transperça le ventre.
Il releva vers l‘assemblée un visage épouvanté. Tout le monde riait. Une bonne moitié des journalistes étaient déjà en train de dicter leurs articles par téléphone.
Sexton sentit alors une tape sur son épaule. Hagard, il fit volte-face. Rachel était debout derrière lui.
— Nous avons essayé de t‘arrêter. Nous t‘avons laissé une chance.
Une femme était à côté de lui. Sexton la regarda en tremblant. C‘était la journaliste au manteau de cachemire et au béret en mohair – celle qui avait fait tomber ses enveloppes. Il reconnut son visage et son sang se glaça dans ses veines.
Les yeux noirs de Gabrielle le transpercèrent tandis qu‘elle ouvrait son manteau, pour découvrir une liasse d‘enveloppes blanches serrée sous son bras.
– 529 –
132.
Le bureau Ovale était à peine éclairé par la lumière douce d‘une lampe en cuivre posée sur le bureau présidentiel. Le menton relevé, Gabrielle Ashe était debout face à Zach Herney.
Par la fenêtre derrière lui, elle voyait le crépuscule envahir peu à peu la pelouse ouest de la Maison Blanche.
— On m‘a dit que vous alliez nous quitter, dit le Président, avec une pointe de déception dans la voix.
Elle fit oui de la tête. Il lui avait proposé de l‘héberger le temps qu‘il faudrait à la Maison Blanche, à l‘abri des médias, mais elle avait refusé cette façon de se terrer lâchement pour surmonter son épreuve. Elle préférait partir le plus loin possible. Au moins pour un temps.
Herney la contemplait avec admiration.
— La décision que vous avez prise ce matin...
Il s‘interrompit, comme s‘il cherchait ses mots. Son regard était clair et direct – tellement différent de la profondeur énigmatique qui l‘avait autrefois attirée chez Sedgewick Sexton.
Elle lisait dans les yeux du Président une réelle bonté et une dignité qu‘elle n‘oublierait pas de sitôt.
— Je l‘ai fait aussi pour moi, répondit-elle enfin.
Il acquiesça.
— Je ne vous en suis pas moins reconnaissant.
Il se leva et lui fit signe de le suivre dans le vestibule.
— À vrai dire, j‘espérais vous garder ici assez longtemps pour pouvoir vous proposer un poste dans mon équipe budgétaire.
Elle lui lança un regard dubitatif.
— Pour « stopper les dépenses, parce qu‘un sou est un sou » ?
— En quelque sorte, répliqua-t-il avec un petit rire.
— Vous devez être conscient, comme moi, qu‘en ce moment je serais plus une casserole qu‘autre chose...
Herney haussa les épaules.
– 530 –
— D‘ici à quelques mois, tout sera calmé. De nombreux grands hommes – et femmes – ont traversé des épreuves similaires, et n‘en ont pas moins repris leur chemin d‘excellence. Certains étaient même présidents des États-Unis, ajouta-t-il avec un clin d‘œil malicieux.
Gabrielle savait qu‘il avait raison. Alors qu‘elle n‘avait démissionné de son poste que depuis quelques heures, elle avait déjà décliné deux offres – une de Yolanda Cole d‘ABC, et l‘autre de l‘éditeur St Martin‘s Press, qui lui avait proposé une avance indécente sur la publication de son autobiographie. Non merci.
En suivant le Président le long du vestibule, elle pensait aux photos que toutes les chaînes de télévision étaient en train de diffuser en boucle.
Les dégâts auraient pu être plus graves pour le pays, se dit-elle. Bien plus graves.
Après une visite à ABC pour récupérer les photos et emprunter le badge de Yolanda Cole, Gabrielle s‘était furtivement introduite dans le bureau de Sexton et y avait glissé les clichés dans des enveloppes identiques à celles du sénateur.