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Sneeden lança un grand sourire au sénateur.

— Votre fille est certainement une femme occupée. C‘est sympa de vous voir tous les deux déjeuner ensemble alors que vos emplois du temps sont surchargés.

— Comme je l‘ai dit, la famille passe avant tout le reste, répondit le sénateur.

Sneeden acquiesça, mais son regard se durcit légèrement.

— Puis-je vous demander, monsieur, comment vous et votre fille arrivez à concilier des opinions diamétralement opposées ?

— Diamétralement opposées ?

Le sénateur Sexton inclina la tête, de l‘air de quelqu‘un qui ne comprend pas bien.

— À quoi faites-vous allusion ?

Rachel scruta alternativement les deux hommes avec une moue de dédain. Elle savait exactement ce que ce manège signifiait. Maudits journalistes, songea-t-elle. La moitié d‘entre eux était à la solde des politiciens. La question du reporter était une perche tendue : censée mettre le sénateur dans l‘embarras, elle lui donnait en fait, à point nommé, le moyen de se sortir d‘une ornière. Le coup était facile à parer et Sexton, ayant botté en touche, n‘entendrait plus cette question avant quelques semaines.

— Eh bien, monsieur...

Le journaliste toussa, simulant une hésitation à livrer le fond de sa pensée.

– 12 –

— L‘antagonisme vient du fait que votre fille travaille pour votre adversaire.

Le sénateur Sexton éclata de rire, désamorçant immédiatement la bombe.

— D‘abord, le Président et moi ne sommes pas des adversaires. Nous sommes simplement, cher Ralph, deux patriotes qui avons des idées différentes sur la gestion du pays que nous aimons.

Le journaliste sourit de toutes ses dents, une réponse impeccable.

— Donc... ? insista-t-il.

— Donc, ma fille n‘est pas employée par le Président ; elle est employée par la grande communauté du renseignement. Elle compile les rapports qu‘on lui envoie pour les adresser ensuite à la Maison Blanche, c‘est une position tout à fait subalterne.

Le sénateur s‘interrompit et jeta un coup d‘œil à Rachel.

— En fait, ma chérie, je ne suis, même pas sûr que tu aies jamais rencontré le Président, n‘est-ce pas ?

Elle lui jeta un regard brillant de colère contenue.

Soudain, comme pour marquer son exaspération devant la rhétorique de Sexton, le pager de Rachel se mit à biper dans son sac. Ce bruit strident, qui lui était d‘ordinaire très désagréable, lui sembla à ce moment précis presque mélodieux.

Furieux d‘avoir été interrompu, le sénateur lui décocha un coup d‘œil indigné.

Rachel plongea la main dans son sac et appuya sur une séquence préenregistrée de cinq touches pour confirmer qu‘elle avait bien reçu le message et qu‘elle était la propriétaire légitime du pager.

Le bip s‘interrompit et l‘écran LCD commença à clignoter.

Dans quinze secondes, elle allait recevoir un message en mode sécurisé. Le biper se manifesta à nouveau, forçant Rachel à regarder de nouveau son pager.

Elle déchiffra instantanément les abréviations et fronça les sourcils. C‘était inattendu et de mauvais augure. En revanche, il lui fournissait une bonne excuse pour s‘éclipser.

— Messieurs, dit-elle, je suis vraiment désolée, mais je vais devoir vous quitter... Une urgence au travail.

– 13 –

— Mademoiselle Sexton, reprit aussitôt le journaliste, avant que vous ne partiez, je me demande si vous pourriez commenter les rumeurs selon lesquelles vous auriez invité votre père à déjeuner pour discuter de la possibilité de quitter votre poste actuel pour rejoindre son équipe de campagne ?

Rachel eut l‘impression qu‘on venait de lui jeter une tasse de café brûlant à la figure. La question la prenait totalement au dépourvu. Elle regarda son père et comprit à son sourire crispé qu‘il l‘avait suggérée au plumitif. Elle faillit lui sauter dessus pour l‘étrangler.

— Mademoiselle Sexton ? insista Sneeden en dirigeant son magnétophone vers elle.

Rachel planta ses yeux, tels deux poignards, dans ceux du journaliste.

— Ralph Machinchose, écoutez-moi bien : je n‘ai pas l‘intention d‘abandonner mon travail pour collaborer avec le sénateur Sexton et, si vous imprimez le contraire, attendez-vous à vous faire botter le cul ; ce dont vous vous souviendrez longtemps.

Le journaliste écarquilla les yeux. Il coupa son magnétophone en essayant de masquer un petit sourire ironique.

— Merci à tous les deux, lança-t-il, avant de disparaître.

Rachel regretta aussitôt cet éclat. Elle avait hérité du tempérament impulsif de son père, une ressemblance dont elle se serait volontiers passée.

Il lui jeta un regard scandalisé.

— Tu ferais bien d‘apprendre à garder ton sang-froid, Rachel.

La jeune femme rassembla ses affaires.

— Ce rendez-vous est terminé, lâcha-t-elle d‘un ton glacial.

De toute façon, le sénateur en avait fini avec elle. Il sortit son portable et composa un numéro.

— Au revoir, ma chérie, passe quand tu veux au bureau me dire un petit bonjour. Et marie-toi, pour l‘amour de Dieu ! Tu as trente-trois ans...

— Trente-quatre, répliqua-t-elle sèchement. Ta secrétaire m‘a envoyé une carte de vœux.

– 14 –

Il eut un petit rire forcé.

— Trente-quatre ans, presque une vieille fille. Tu sais qu‘à trente-quatre ans, j‘avais déjà...

— Tu avais déjà épousé maman et tu baisais avec la voisine ?

Rachel avait prononcé ces mots d‘une voix plus forte qu‘elle ne l‘aurait voulu et ses paroles avaient résonné dans une salle soudain silencieuse. Les convives des tables voisines jetèrent des coups d‘œil étonnés.

Les yeux du sénateur Sexton étaient devenus deux glaçons qui la pétrifièrent instantanément.

— Surveille tes propos, Rachel, tu oublies à qui tu t‘adresses.

Rachel se dirigea vers la sortie.

C‘est plutôt toi qui devrais faire attention, sénateur, se dit-elle.

2.

Les trois hommes étaient assis, silencieux, dans leur tente polaire. Dehors un vent glacial ballottait leur précaire abri, menaçant d‘en arracher les pitons. Aucun des hommes ne semblait s‘en soucier ; chacun d‘eux avait vécu des situations beaucoup plus périlleuses que celle-ci.

Leur tente était d‘un blanc immaculé et ils l‘avaient installée dans une légère dépression, ce qui la rendait invisible.

Leurs appareils de communication, leurs moyens de transport et leurs armes étaient les plus performants du marché. Le chef du groupe portait le nom de code Delta 1. Il était musclé et agile, avec des yeux aussi désolés que le paysage dans lequel ils se trouvaient actuellement.

– 15 –

Le chronographe militaire sur le poignet de Delta 1 émit un bip strident. Le son coïncida exactement avec les bips émis par les chronographes de ses deux compagnons.

Trente autres minutes passèrent.

C‘était le moment.

Encore une fois.

Songeur, Delta 1 quitta ses deux acolytes et fit quelques pas dehors dans le noir et sous les rafales de vent. Il scruta avec des jumelles infrarouges l‘horizon éclairé par la lune. Comme toujours, il se concentra sur la structure. Elle se dressait à mille mètres de là ; un édifice énorme et inattendu érigé dans ce désert blanc. Lui et son équipe la surveillaient depuis dix jours maintenant, depuis sa construction. Delta 1 ne doutait pas que l‘information qui se trouvait à l‘intérieur allait changer le monde. Des vies avaient déjà été sacrifiées pour la protéger.